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Quand Noël n’est pas un cadeau
« Coucou URBANIA. Je me demandais si vous alliez faire un article sur Noël qui s’en vient, pour les personnes qui n’ont pas de famille. Après une année d’isolement (certain.e.s l’étaient déjà en fait, isolé.e.s), la pandémie n’a fait qu’exacerber cet isolement. Il y a du monde qui se meurent et qui n’en peuvent plus. »
Ça, c’est un extrait d’un message que nous a adressé Isabelle* (son nom a été changé pour préserver son anonymat). L’équipe d’URBANIA a été très touchée par son témoignage, nous avons donc voulu discuter avec elle.
Allez-vous parler de nous?
« Moi, j’ai pas d’endroit avec un gros sofa où je peux aller m’écraser émotionnellement. »
Si pour bon nombre de gens la tradition de la dinde fumante en famille et des cadeaux sous le sapin revient année après année, d’autres n’ont pas ce privilège. Particulièrement cette année.
« En temps normal, hors pandémie, on oublie souvent qu’il y a des gens qui n’ont pas de famille, affirme Isabelle, âgée de 32 ans. Personnellement, je ne suis plus en contact avec ma mère et mes sœurs depuis 5 ans, pour des raisons qui m’appartiennent. Donc des temps des Fêtes sans famille, j’en ai vécu quelques-uns et laisse-moi te dire que c’est vraiment pas évident. »
Noël, un baume?
Pour beaucoup de gens, la période des Fêtes rime avec repos, rassemblements en famille, films de Noël en pyjama et confort inconditionnel. Mais ce n’est absolument pas le cas pour tout le monde. « Pour plein de gens, Noël est un baume, une période pour décrocher et se reposer de leur fin de session, de leur année folle, etc. Mais moi, j’ai pas ça. J’ai pas d’endroit où je peux aller le dimanche soir. J’ai pas d’endroit où il y a un gros sofa où je peux aller m’asseoir et faire comme chez moi. J’ai pas d’endroit où je peux aller m’écraser émotionnellement, un genre de coussin émotionnel qui m’accueille inconditionnellement », me confie Isabelle.
«la majorité des personnes qui se retrouvent seules à Noël ne l’ont pas choisi. Il y a une énorme pression sociale d’être entouré à Noël.»
Selon la jeune trentenaire, pandémie ou pas, on a tendance à oublier les gens qui n’entrent pas dans un modèle familial normatif. « Je pense aux personnes des communautés LGBTQ+ qui sont exclues de leur famille biologique et qui se retrouvent isolées, aux personnes âgées, aux immigrants, etc. Ces gens-là vivent parfois de la détresse et de l’isolement, et pour le vivre moi-même, je peux affirmer que c’est vraiment violent comme sentiment », affirme Isabelle, qui croit que la majorité des personnes qui se retrouvent seules à Noël ne l’ont pas choisi. « Il y a une énorme pression sociale d’être entouré.e à Noël. Certaines années, avant Noël, je me dis même que je devrais pardonner à mes sœurs, juste pour ne pas être seule le 24 décembre. Ça montre que le poids de l’isolement atteint des sommets aux Fêtes », ajoute la jeune femme.
Quand j’entends chanter Noël
Afin de contourner la solitude et tenter de créer un sentiment de communauté, Isabelle a passé quelques réveillons dans la famille d’ami.e.s qui l’ont invitée à se joindre à eux.
« je rêve d’ouvrir un cadeau de Noël depuis des années. »
« C’est sûr que ça part d’une bonne intention, mais réveillonner dans une famille qui n’est pas la tienne, ça peut être dur, explique Isabelle. Je me suis souvent sentie de trop, comme un cheveu sur la soupe. Ça crée aussi une sorte d’obligation de silence: tu veux pas raconter pourquoi tu es seule à Noël — je ne veux pas raconter mon histoire à n’importe qui, surtout que c’est lourd — je veux pas être la personne déprimante qui dit: “Je suis triste, parce que j’aimerais être avec ma propre famille, mais elle n’est pas là pour moi!” En fait, je ne peux jamais être réellement moi-même. Oui, je suis reconnaissante d’être accueillie, mais en même temps, ça vient toucher la blessure exactement là où ça fait le plus mal », avoue Isabelle, qui dit vivre beaucoup de détresse pendant la période des Fêtes.
Des jouets par milliers
Oui, Noël est une fête de famille, de partage et d’amour, mais c’est aussi une fête de consommation. Mais il faut l’avouer, un cadeau sincère, ça fait toujours plaisir. « J’ai une amie qui a des préoccupations écologiques très grandes et ce sont vraiment des valeurs que je partage. Un jour elle m’a dit: “Ça me fait chier Noël, le monde consomme, achète tellement d’objets par obligation et par construction sociale, c’est pas écolo”. Je me souviens m’être dit: “Oui OK, mais moi je rêve d’ouvrir un cadeau de Noël depuis des années”, se remémore Isabelle, qui a souvent l’impression que beaucoup de gens ne sont pas toujours conscients du privilège que représente le fait d’avoir une famille présente et aimante.
« Ne plus avoir de contact avec sa famille, encore plus si c’est ta décision, c’est vraiment tabou. »
Si elle a elle-même décidé de prendre des distances avec sa famille, pour des raisons valables à ses yeux, Isabelle constate que les impacts et que le regard des autres sont pesants: « Ça fait 5 ans que je suis isolée et c’est difficile de trouver le “bon” discours pour en parler aux autres. Ne plus avoir de contacts avec sa famille, encore plus si c’est ta décision, c’est vraiment tabou. Et quand tu avoues être seule aux Fêtes, beaucoup de gens sont portés à te shamer et te dire que c’est de ta faute. Joyeux Noël, hein! »
All I want for Christmas is YOU
Je ne vous apprends rien: cette année, les plans de Noël sont contrecarrés par la pandémie. Pour les personnes qui ne sont pas en contact avec leurs familles, le sentiment de solitude, désormais partagé par l’ensemble de la population, est exacerbé. « Depuis mars dernier, les enjeux d’isolement et de solitude ont beaucoup fait parler, mais ils existaient bien avant la pandémie et le confinement, constate Isabelle. C’est sûr que je suis triste pour les personnes isolées depuis 9 mois, mais il y a des gens qui vivent entre leurs quatre murs depuis des années et qui n’ont pas de soutien là-dedans », déplore Isabelle, qui est persuadée que les contacts humains sont essentiels au bien-être.
« Noël, dans le contexte de la pandémie, ça vient vraiment renforcer l’isolement. »
La jeune trentenaire témoigne que cette année, la solitude pour les personnes déjà en situation d’isolement est insoutenable. « Après une année aussi dure, imagine comment se sentent les personnes seules, qui sont peut-être précaires financièrement, qui sont plus âgées. Avec le confinement, les gens se sont refermés sur leur couple, leur famille immédiate, c’est normal. Quand toi, tu as pas ça, et que tu as déjà un cercle social restreint, il te reste plus grand monde. Donc Noël, dans le contexte de la pandémie, ça vient vraiment renforcer l’isolement », constate Isabelle.
Cette année, Isabelle aimerait faire du bénévolat dans un organisme communautaire, pour souligner Noël. « Pour l’instant, je n’ai pas eu de confirmation. Si ça ne marche pas, j’essaye de me faire à l’idée que je vais passer les Fêtes seule chez moi. »
Isabelle, qui a souhaité partager son expérience en guise de solidarité envers les personnes qui vivent une réalité similaire à la sienne, désire également que les gens qui ne composent pas avec l’isolement y soient sensibilisés. « C’est important de prendre des nouvelles des personnes seules, mais surtout, de les accueillir émotionnellement quand elles vous partagent leur réalité. Que les gens bien entourés reconnaissent leurs privilèges et soient bienveillants envers nous, ça serait un beau cadeau de Noël. »