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Bien entendu, être parent est un vrai travail. Qui que l’on soit, quel que soit son genre, quelle que soit la configuration parentale. C’est du taf, un job de longue durée, sans période d’essai, t’es direct en CDI. Quand t’es parent, tu cravaches sans arrêt. Ma situation administrative, et concrète, c’est « parent isolé ». Mon quotidien, à mon sens, chacun.e peut s’y reconnaître.
Mes deux co-employeuses de 6 et 4 ans attendent tout de moi. Mes horaires vont de minuit à 23 heures 59. Tous les jours de la semaine. Ma disposition est totale. Lorsqu’elles ne sont pas avec moi, je travaille encore pour elles. C’est le temps des courses, du linge, des repas à préparer. J’ai bien entendu un privilège, celui de ne pas avoir de travail salarié (avec la précarité qui va avec) et donc du temps pour moi, que je consacre au maximum… à travailler pour moi. Quand je peux. J’écris. Je développe des projets. OK, le lancement d’une auto- entreprise dédiée aux blind tests (en entreprise, lors d’évènements familiaux, dans les théâtres) juste avant l’arrivée difficilement « anticipable » du Covid n’était pas l’idée du siècle. Ne croyez pas, en tout cas, que mon temps sans enfant est un temps de glande.
Mes employeuses ont besoin que tout soit prêt en temps et en heure. Dix minutes de retard le matin, et c’est toute une journée qui peut être bouleversée.
Mes employeuses ont besoin que tout soit prêt en temps et en heure. Dix minutes de retard le matin, et c’est toute une journée qui peut être bouleversée. Mes filles sont des petits patrons qui s’ignorent et qui attendent des résultats : chantage affectif (« Mamaaaaaan, je peux regarder un petit Peppa Pig ? », demande la plus jeune les yeux humides), injonctions contradictoires (« Mamaaaaan, je veux un livre, non, un jouet qui fait du bruit et un temps calme »), délais impossibles à tenir (quand il est 18 heures et qu’une veut manger tout de suite-là-maintenant alors que tu vides le lave-vaisselle et que l’autre enfant est dans le bain), brutalité (cris, coups sur la table, pleurs…).
Mes employeuses changent les objectifs fixés à un instant T très souvent : si on a décidé d’aller au parc, au moment de partir, il faudra peut-être chercher un manège. En plus, elles ne sont pas d’accord entre elles, ce qui crée des conflits en interne.
Je n’ai pas le droit de tomber malade. Pas d’arrêt possible : je n’ai pas de remplaçant.e.
Mon travail est souvent dénigré. « Elle est bonne, la purée ? », « Nan, c’est pas bon ! ». Alors que, comme dans toute bonne entreprise, elles ne pourraient rien faire sans moi. C’est moi qui fais tourner la baraque.
Mes pauses pipi sont minutées et surveillées. Il m’est impossible de rester seule cinq minutes sans entendre des cris, une réclamation ou voir l’une de mes filles surgir.
Je dois avoir de multiples compétences et être bonne en tout : animatrice, cuisinière, agente d’entretien, infirmière, pédopsy, conteuse, dessinatrice, enseignante, agence de voyage, secrétaire, etc.
Tout ça pour un salaire médiocre et une reconnaissance de la société proche de zéro. T’as des enfants ? Assume. Peu importe la situation. Sans parler de difficulté à trouver un.e bon.ne ami.e dans ce contexte. Ça ne me rapporte pas de point de retraite mais un burnout parental bien corsé. Faut avoir un moral d’acier pour affronter la Caf, la Sécurité sociale, et dans mon cas la MDPH (Maison départementale du Handicap), les écoles et les PAI (Projet d’aide individualisée), les ESS (réunions de l’Équipe de suivi de la scolarisation,) la psychiatre qui pense que tout ne va pas si mal, finalement (parce que elle, elle sait mieux que toi). Tout le monde sait mieux que toi, globalement, comment tu dois gérer ta petite famille, exactement comme au boulot. On sait mieux que toi mais on se garde bien de t’aider.
Même si on peut choisir d’élever un ou des enfant.s seul.e : vous méritez de l’aide.
Ok, je caricature, la notion de travail se discute. Je ne sais pas s’il faut rémunérer ce travail parental qui, hélas, retomberait sur les mères à n’en pas douter (un bon gros revenu universel serait une piste, me semble-t-il). Et je sais que n’importe quel parent qui me lit se reconnaîtra. Même si on peut choisir d’élever un ou des enfant.s seul.e : vous méritez de l’aide. Mais oui, oh oui, je ne vais pas me gêner pour protester : « Maman en colère, marre de la galère. » Hic : je n’ai pas le droit de grève.
Et mes employeuses ? Eh bien, ce sont des bombes à câlins qui explosent régulièrement. Je reçois des projections de bisous et mille messages d’amour. Paradoxalement, je ne veux même pas revivre en couple (de toutes façons, je vous jure que vu le contexte, personne ne cherche à s’encombrer avec ma mifa).