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Quand l’esprit et le corps dissimulent une grossesse

On fait le point sur ce phénomène encore tabou avec une psychanalyste.

Par
Marine Langlois
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Tous les deux ou trois ans, un événement vient remettre le déni de grossesse sur le devant de la scène et quelques médias sortent un article pour expliquer ce phénomène que beaucoup ne comprennent pas. Cela peut être un fait divers tragique, la sortie d’un documentaire, un tweet qui fait le buzz, etc. Ou dans le cas de cet article, la dernière saison de SKAM France.

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette série, SKAM France est l’adaptation française d’un programme norvégien intitulé SKAM. Disponible sur France TV Slash, la série suit les aventures d’un groupe de lycéens parisiens. Chaque saison se concentre sur un personnage et aborde souvent une thématique particulière : l’homosexualité, la religion, le handicap, etc. La saison 7 – en cours de diffusion – a pour héroïne Tiffany (Lucie Fagedet).

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La vie de cette élève en terminale est chamboulée quand, lors d’une compétition de gymnastique, elle est prise de crampes très douloureuses au ventre. Les pompiers arrivent et annoncent à Tiffany qu’elle est sur le point d’accoucher. Quelques semaines plus tard, une gynécologue expliquera à l’adolescente un peu perdue : « Même si vous n’avez rien senti pendant neuf mois, vous avez créé un être humain. » Tiffany a fait un déni de grossesse.

Un corps qui ne montre aucun signe

Pour Karine Denza, psychanalyste et autrice du mémoire Le double déni de grossesse : Corps, psyché et gestation (éditions Harmattan) sorti en janvier 2021, le déni de grossesse peut se définir comme « une grossesse qui n’est pas conscientisée donc pas visible ». En France, ce n’est pas considéré comme une pathologie. D’après une étude de la psychiatre Élise Humeau, en 2016, environ 1600 femmes auraient fait un déni de grossesse dans l’Hexagone. Et encore, elle estime que ces chiffres ont sûrement été sous-estimés, preuve que ce n’est pas un phénomène rare.

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Il existe plusieurs types de dénis de grossesse. Il peut être partiel (découvert avant l’accouchement) ou total comme Tiffany (découvert au moment de la naissance). Mais comment peut-on ne pas réaliser que l’on est enceinte ? « Le corps et l’esprit sont en interaction et pour moi, c’est l’esprit qui donne l’impulsion au corps. L’enfant se place derrière les côtes, la femme continue à avoir ses règles, elle ne grossit pas. Parfois, elle peut prendre quelques kilos mais n’interprète pas ces signes comme un état de grossesse. Par contre pour le déni partiel, dès qu’on lui apprend qu’elle est enceinte, le ventre sort instantanément, quelques heures après la révélation. Cela peut paraître incroyable », explique Karine Denza.

Les spécialistes se rejoignent sur une chose : il n’existe pas de profil type de femme touchée par un déni de grossesse. Cela peut arriver à tout le monde et en France, ces patientes ne sont pas toujours bien suivies par les professionnels de santé. « On ne peut pas imposer de prise en charge à ces femmes mais on devrait la proposer systématiquement. » Surtout que le déni de grossesse peut être une expérience traumatisante pour la mère. Karine Denza parle d’une période de sidération et de confusion qui fait que le déni, dans certains cas, n’est levé qu’à l’arrivée de l’enfant ou quand ce dernier rencontre d’autres membres de la famille. Il s’impose alors comme réel.

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Un phénomène qui fascine et effraie

En France, ce phénomène reste tabou ou mal compris. Pendant de longues années, les femmes victimes d’un déni de grossesse n’étaient pas crues. Si les mentalités commencent à évoluer, la honte reste bien présente. L’entourage peut parfois juger la mère et la trouver irresponsable. Comment n’a-t-elle pas pu savoir ? Ce que beaucoup ne comprennent pas, c’est que le déni est un mécanisme de défense contre l’angoisse. La grossesse peut raviver un traumatisme et donc l’esprit souhaite la dissimuler.

Le déni de grossesse est aussi trop souvent assimilé à des faits divers tragiques comme l’affaire dite « des bébés congelés », où Véronique Courjault a été condamnée à de la prison ferme pour trois infanticides. « Il y a un amalgame dessus, affirme Karine Denza. Même s’il existe des cas, il faut qu’on arrête d’associer déni total de grossesse et néonaticide. Souvent les femmes s’investissent auprès de leurs enfants après un déni. »

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Est-ce l’unique raison qui fait que le déni de grossesse reste peu abordé en France ? La psychanalyste a une autre théorie : « Pour moi, c’est parce que cela touche au sacré. C’est-à-dire à la vie et à l’enfant. Je parle d’un double déni de grossesse dans mon livre car il y a aussi un déni de la société. Reconnaître le déni de grossesse serait reconnaître le pouvoir de la psyché sur le corps. C’est fascinant et cela peut faire peur. » Alors que faut-il faire pour convaincre les sceptiques ? « La seule preuve, c’est de voir ces femmes. » La dernière saison de SKAM France a le mérite de mettre en lumière un sujet que son jeune public ne doit pas beaucoup connaître.