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Quand je veux être une bonne maman féministe

Les carnets de Dorothée Caratini.

Par
Dorothée Caratini
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Quand on vient chez nous, la première fois, on peut être surpris, et j’ai déjà entendu des remarques du genre : « Ah mais les filles ont une cuisine, des balais et des poupées ? Pas très féministe ça… » Ah, il semble donc que, en tant que maman de deux fillettes, et en tant que féministe, je dois absolument retirer tous les jouets estampillés « petite fille » des mains encore potelées de mes enfants. Allez, à la poubelle les licornes, les Barbies, la baguette de fée et la robe Reine des Neiges. Je ne conserve que le de foot, la voiture télécommandée, le train et le garage. Les dinosaures et les dragons ? Validés ! La peluche de sirène ? À la benne. Toboggan, trampoline, tout ce qui est physique : ok. Instruments de musique : ok.

Pareil pour les looks (pour information, mes filles sont souvent surnommées Punky Brewster, ou « brousteur », comme on dit en français), il va falloir tout revoir : adieu, jupes à froufrous en tulles et paillettes, au-revoir tee-shirts Minnie, remballons les pantalons fleuris et robes aux imprimés chaton, ne conservons que les motifs « masculins ». En général, les couleurs du côté des p’tits gars vont du bleu marine au vert kaki, en passant par le gris avec, ô folie, une touche de jaune moutarde. Nous, on mélange un peu tout ça, sauf quand ma petite veut absolument porter sa robe dorée qui tourne et ses bottes roses qui font de la lumière quand elle saute. Je leur dis tout bêtement ne sont pas obligées d’être des petites filles stéréotypées pour se sentir bien. Mais qu’elles ont le droit de s’y conformer si elles en ont envie. Et vous savez quoi : je ne crois pas que cela fait de moi une mauvaise mère féministe.

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J’essaie de les éduquer du mieux que je peux, comme à peu près tous les parents. Je leur parle droits des femmes, droits des personnes trans, des différentes familles qui existent, de la nôtre. Je leur explique que les garçons n’ont pas tous les droits, qu’une fille peut se déguiser en Spider-Man, un garçon en fée, et la littérature jeunesse nous aide bien. Par contre, notre situation, le décès de leur père, comment l’aborder ? Suis-je vraiment un père et une mère ? Suis-je une maman au carré ? Que pensent-elles, quand on leur demande où est le papa, ou si j’ai trouvé un « remplaçant » ? Pourquoi « un », d’ailleurs ? Est-ce que mes filles sont moins bien loties que les familles où un père violent fait sa loi ? Doivent-elles avoir un père à tout prix ? (D’ailleurs, leur père n’aurait pas remis en cause l’éducation féministe, inclusive et intersectionnelle que j’essaie de mettre en place).

Ce qui manque, à elles comme à moi, c’est un deuxième adulte, homme ou femme, pour leur montrer qu’il y a d’autres modèles (et aussi conforter mon « autorité »). Globalement, tous les adultes sont à peu près d’accord sur les trucs que les enfants ne peuvent pas faire, comme faire des trucs dangereux ou manger ses crottes de nez. Bizarrement, mes filles ne me croient pas toujours concernant le deuxième point. C’est toujours chouette d’avoir des personnes qui leur montrent d’autres choses, et qui complètent ainsi ce que je leur apporte.

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À mon sens, avoir autour de nous des personnes cis et trans, ou en situation de handicap, grosses, racisées, jeunes, vieilles, lesbiennes, non-binaires, gays… C’est juste avoir – au risque de paraître niaise – la vie autour de nous. Le monde, quoi. Au-delà de la couleur de la jupe, des jouets ou des activités extra-scolaires (ici, danse contemporaine et musique), le mieux qui puisse arriver à mes filles, c’est de voir des adultes bien dans leurs baskets. Enfin bon, vous voyez, c’est un idéal : elles sont souvent confrontées à l’hétéronormativité.

Elles vont devoir faire face à d’autres discours, et ça commence très tôt. A trois ans, ma fille ne voulait plus mettre de jupe car son camarade de classe lui avait dit qu’elle avait de « grosses jambes ». Heureusement, elle a changé d’avis. Ma fille aveugle, elle, est souvent montrée du doigt dans la rue, à cause de son handicap. Et souvent, on la qualifie de « petit garçon », parce qu’elle a les cheveux courts. Et même si elle porte une robe. Je ne sais pas trop quoi en penser. Je m’en fiche un peu, mais je pense que c’est mieux pour ma fille de rectifier auprès des personnes qui se trompent. Ma grande poupounnette d’amour (oui, je suis encore niaise, là) a parfois du mal à se situer en tant que personne face aux autres. Mais éternelle question : notre genre définit-il notre personnalité ? Du coup, je suis parfois embêtée pour l’habiller. Il faut que cela soit confortable, facile à enfiler et retirer, joli si possible. Je n’ai pas envie de la vêtir éternellement selon mes goûts, mais comment déterminer les siens ? Je vais devoir élaborer un questionnaire détaillé pour savoir si elles préférerait des vêtements colorés, plutôt neutres ou sombres, les jupes ou les pantalons, les chaussures ou les baskets. Cela n’a l’air de rien, mais cela m’oblige à m’interroger sur ce qu’on attend des petites filles et des petits garçons. Et l’image que l’on s’en fait.

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Suffit de demander aux petits garçons aux cheveux longs si c’est facile pour eux… On n’est pas sorti.es des ronces. Et dois-je répondre aux attentes de la société ? Et si non, est-ce à ma fille de porter ce (humble) combat dont je ne suis pas sûre qu’elle l’ait bien compris ? J’ai l’impression de lui imposer des choix. J’essaie de lui apprendre à s’affirmer, et ça me prend beaucoup de temps, comme si celui dont je dispose est infini (non, bien sûr), mais franchement, je pense que rose, rouge, violet ou noir, c’est un peu pareil pour elle. Ce qu’elle aime bien, c’est quand elle sent des trucs en relief sur ses tee-shirts (je dis pour celleux qui voudraient lui offrir un cadeau, hein la famille).

Ces considérations « futiles » (mais pas tant que ça) de maman-bobo-woke ne doivent pas cacher mes autres angoisses, liées au sexisme de notre société. Qui prend bien bien son temps pour évoluer, Ça avance t…r…è…s lentement. Je crains pour mes bébés les moqueries, le harcèlement, la violence. Et je suis nulle en punchlines, sinon on travaillerait là-dessus. J’ai autant de répartie que quand j’avais douze ans, c’est-à-dire aucune. Trouver la bonne réponse qui cloue le bec, je ne sais pas faire. Si on me colle une main aux fesses, je sais très bien foutre une gifle, par-contre. Dois-je dire à mes filles que les garçons sont des prédateurs en puissance ? Comment peuvent-elles se défendre ? Faut-il leur apprendre des sports de combat ? Comment leur dire « si on te tape, tu répondes », et en même leur interdire de se bagarrer. Il est où le curseur ? J’observe, avec confiance malgré tout, ces personnes grandir, s’affirmer, je ne peux faire qu’une chose : avoir confiance.

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