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« Salut ! ». Hey hey, bonjour vous, et vous là-bas au fond, et là-bas caché.e derrière votre écran ! Eh oui, « salut ». C’est notre première rencontre. Comme si nous étions en soirée. J’imagine que vous êtes en face de moi, avec un verre à la main, peu importe le contenu, alcoolisé ou non, ça me fait rêver d’être à une fête, ou à un concert ou à l’intérieur d’un café avec des personnes.
Première rencontre, il faut se présenter. Je suis Dorothée Caratini, je suis née en 1979 (je vous laisse compter), j’habite dans le nord de la France, je suis la maman de deux petites filles de 6 ans et 4 ans. C’est ma prés’ version courte. Là, vous diriez : « Ah, je viens de Trucmuche-sur-mer ». Et j’ajouterais : mon nom sonne italien (mais il est Corse), mon prénom évoque une animatrice télé des années 80, et ça, ça en dit déjà un peu sur moi, non ?
Dans une discussion en face à face, viendrait ensuite la classique « et tu fais quoi ? », et cette question provoquerait dans un premier temps un profond soupir qui me laisserait le temps de réfléchir. Et de me lancer, en une envolée, sans respirer, en regardant un peu mes pieds ou dessus de l’épaule de mon interlocuteur.rice : « Je suis autrice, enfin j’ai écrit un livre, et je fais un peu de communication en free lance, mais je m’occupe beaucoup de mes filles, parce que leur père est décédé il y a trois ans, et que je suis – ben – seule, puis, bon, c’est difficile, surtout que l’aînée est aveugle de naissance, mais elle va bien, hein ! OK, elle a pas mal de rendez-vous, et elle fait de l’épilepsie par-dessus le marché, alors disons que je suis maman à temps plein, mais pas que! J’organise aussi des quiz musicaux dans des bars et je dessine. Mais ça va, hein. Et toi ? »
Après, des éléments arriveraient dans le désordre. Je suis aussi une femme cis, qui se questionne sur son orientation sexuelle, j’aime les livres, les concerts, les friperies, les tatouages. Ma famille est en Normandie, d’où je viens, j’ai deux grandes sœurs et un frère jumeau, mon père est à la retraite, son épouse travaille. J’ai été journaliste en presse locale dans une ancienne vie. Une carrière qui s’est achevée avec un burn-out bien cogné (je vous ferai régulièrement un point sur ma santé mentale, j’adore, passion dépression).
Je suis une femme blanche, issue d’un milieu favorisé, avec les privilèges que cela implique. Je suis veuve, dépressive au carré, je vis comme je peux, avec mes petits traumas sous le bras et mon statut de parent isolé. D’autres dans ma situation s’en sortent sans se plaindre, sans larmes, sans antidépresseurs, avec un courage et une vitalité que jalouseraient pas mal d’athlètes olympiques. Je suis plongée dans le quotidien avec les manches relevées jusqu’aux coudes, avec des cahiers et des agendas remplis de listes urgentes ou importantes à faire. Les rappels des vaccins à ne pas oublier, l’ordonnance à faire renouveler, les activités du mercredi à caler, la voiture à faire réviser, les filles à nourrir, soigner, élever, éduquer, dans des vêtements, si possible, propres et à la bonne taille. Je pense souvent à ma mère, qui est décédée en 1997, qui a eu quatre enfants. Je regrette de ne pas lui avoir dit merci.
Féministe, je ne trouve pas le temps de militer, en échange je suis à la tête d’un gang de meufs (si on compte ma chatte Câline, on est quand même quatre, hein, ça commence à peser dans mon HLM) et nous terrorisons le quartier en hurlant des comptines le matin, le midi et le soir. Il ne doit y avoir que la nuit que personne n’entend ma fille aînée chanter à pleins poumons Abba, Anne Sylvestre, Henri Dès ou les Clash (snob à six ans, punkette en herbe, elle fait la paire avec sa sœur qui s’est autoproclamée « princesse-reine-des-neiges-licorne »*).
Grosso modo, voilà qui je suis. J’ai conscience que malgré les épreuves qui ont décidé de jalonner mon petit chemin de vie ces dernières années, et le chemin encore plus petit de mes filles, qui elles, n’ont rien demandé, j’ai de la chance. Même si à force de relativiser, on me prend au mot de la lettre.
« Mais ça a l’air d’aller, en fait ! », me répond-on, très souvent. C’est ce qu’on va voir.