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Il y a une vraie contradiction que je dois assumer. Elle est liée aux injonctions de la société et à mes besoins. Il y a une histoire de valeurs, de traditions, de patriarcat, de maternité et désirs. Étant seule à élever mes deux filles, dont l’aînée a des besoins spécifiques, je suis parfois confrontée à des situations délicates qui exigent le soutien d’une tierce personne, voire de plusieurs personnes. Quand on est une femme, on nous apprend à ne pas trop demander de l’aide, à se débrouiller seule : on est supposées tout assumer. Avoir plusieurs journées en une. Travailler, éduquer, ranger, cuisiner, laver, soigner, etc. Alors je ne dois pas trop me plaindre. Il faut assumer mes choix, être une bonne veuve. Il ne faut pas se laisser aller, être active. Ne pas pleurer, ne pas geindre, ne pas s’apitoyer. Mais, car le mais est important, je ne peux pas vivre comme cela aux détriments de ma santé et du bien-être de mes filles. Donc, je peux demander de l’aide, mais pas trop. Et je n’ai pas toujours le choix.
Parfois, je dois demander de l’aide. Par exemple, quand ma fille est malade au milieu de la nuit et qu’elle doit aller aux urgences : qui vais-je réveiller pour s’occuper de ma deuxième fille (qui, à quatre ans, n’a pas sa place à l’hôpital mais ne peut pas rester seule à la maison) ? Ou lorsque qu’il a fallu payer les obsèques de leur père, et que je n’avais pas un sou ? Une amie m’a dit : lance une cagnotte. Pour payer des obsèques. Pas pour réserver un voyage au tour du monde à dos d’âne, pas pour financer une opération vitale, pas pour offrir une surprise party d’enfer à mes filles, non, des obsèques. Il faut bien, parfois, et cela ne devrait pas être une gêne, que je demande de l’aide. Quand la fin de mois est difficile, hé bien j’appelle mon père. Faut ravaler ma fierté. Idem quand il faut aller voir l’assistante sociale, quand il faut payer la facture d’électricité, quand il faut négocier l’inscription au centre de loisirs à la mairie dont les animateur.rices se demandent ce qu’ils vont bien pouvoir faire avec une enfant aveugle dans le groupe (NdA : ils s’en sortent très bien).
Non, je ne peux pas prendre un train pendant huit heures avec mes filles pour squatter une maison qu’on veut absolument me prêter pendant un week-end. C’est gentil, mais pas adapté.
Parfois, quand je suis tellement épuisée que je voudrais pouvoir faire tenir mes paupières avec de la colle forte, et que même mes pilules au magnésium (marin !) et ma vitamine D ne servent à rien, je serais prête à accepter de l’aide de n’importe qui… Sur le papier, en réalité non. Je ne vais pas laisser mes enfants à des inconnu.es, au prétexte qu’ils compatissent. Et non, même si ça part d’un bon sentiment, je ne veux pas qu’on vienne faire le ménage chez moi. Et non, je ne peux pas prendre un train pendant huit heures avec mes filles pour squatter une maison qu’on veut absolument me prêter pendant un week-end. C’est gentil, mais pas adapté.
Parfois, je dois faire avec ces offres bancales. On veut bien prendre mes enfants deux heures, mais pas deux jours. Et je dois les déposer. De l’autre côté de la métropole. Ou alors, on vient prendre une des deux filles pour le week-end. De 10 heures le samedi à 16 heures le dimanche. Mais on ne prend pas la plus « difficile », pas la petite handicapée, là. Ou on te file dix balles sur une cagnotte mais on ne t’invite pas un apéro en terrasse (ce qui aiderait plus, de temps en temps) (en ce qui me concerne) (invitez-moi) (bon, ok, filez-moi dix balles, j’ai un Patreon en plus).
Parfois, on me propose de l’aide pour faire « comme si », même si la promesse ne peut pas, matériellement, concrètement, et pour de bonnes raisons, être tenue. Mais peu importe : le job de bon sauveur a été fait. Je ne peux pas dire que je suis complètement seule et isolée dans ma bulle. J’ai l’air sacrément ingrate, hein ? Oui, je sais. My bad, mais je ne suis pas votre bonne action.
On a donc, d’un côté, les amis généreux.ses mais que je n’ai pas envie d’embêter au moindre pépin (ça m’apprend à dépasser mes limites, j’adore, parfait pour me forger le caractère, si ce n’était pas déjà fait), parce qu’ils ont leurs propres difficultés et familles à gérer. C’est bien compréhensible. Je dois aussi me mettre à la place des copaines. On a, de l’autre côté, les bons samaritains du dimanche prêts à tout pour t’aider mais en fait, non, cette semaine c’est pas possible, ni les suivantes, d’ailleurs. Puis les inconnus sincères qui aimeraient te prendre dans leurs bras en soupirant que tu es une sacrée « leçon de vie ». Qui te disent qu’elles n’y arriveraient pas à ta place (bien sûr que si).
Mais il est où le curseur entre « assez », « pas assez », « pas du tout », « trop » ? Cela me conduit à minorer mes difficultés, à ajouter des « fariboles » dans mon récit, comme m’a dit ma psy.
Il y a également, au bord du cercle, les bonnes âmes qui se lovent dans la souffrance des autres, se l’approprient, et voudraient pouvoir l’éradiquer de la surface du monde, et qui vivent à coup de jolies citations instagrammables. Que je reçois sur mes messageries privées. Et qui me racontent leur vie et qui disent « j’ai vécu ça aussi » (souvent, ce n’est pas du tout le cas, mais cela ne m’empêche pas de ressentir de l’empathie pour elles, bien entendu, juste que je ne suis peut-être pas la meilleure personne à qui confier ses malheurs). Ah, je ne dois pas oublier celleux qui culpabilisent de ne pas être assez disponibles, qui me le font savoir, ce qui n’arrange rien. Je ne veux pas rendre les gens malheureux.
Ça, c’est compliqué à gérer, personnellement, je me sens redevable. Je suis quand même aidée, hein. Mais il est où le curseur entre « assez », « pas assez », « pas du tout », « trop » ? Cela me conduit à minorer mes difficultés, à ajouter des « fariboles » dans mon récit, comme m’a dit ma psy. On ne me prend pas assez aux sérieux parce que je suis joyeuse ou trop timorée. « Excusez-moi de vous demander pardon, j’ai besoin d’aide là, mais si vous ne pouvez pas, hauts les cœurs, je me débrouillerai ! ». Forcément, le message est brouillé.
Je suis donc complètement, archi, super difficile, alors que le postulat est simple et tient en une phrase : j’ai besoin d’aide.
Un mec, une fois, m’a reproché de demander trop de coups de mains aux copains sur Facebook pour sortir et voir des concerts. Je crois qu’il me trouvait gonflée de demander de l’aide pour ça. Parce que bon, à 40 piges, une maman reste chez elle et répare les chaussettes trouées de ses mômes en regardant la tévé, elle doit assumer sa vie. Le type, bien entendu, vivait sa meilleure vie de mec célib’, avec enfants ados en garde alternée. Il se barrait quand il voulait en week-end faire des trucs de bonhomme, genre cuire des chipos sur un feu qu’il avait allumé lui-même, comme s’il préparait sa candidature à Koh Lanta.
Ma sentence est irrévocable : ce mec était inutile.
Dernière contradiction : je ne veux pas créer de nouvelles relations amicales ou amoureuses avec pour seul objectif d’être aidée. Je ne cherche pas un deuxième parent. J’ai besoin de coups de main ponctuellement, c’est cool pour mes filles de voir d’autres adultes, d’être confrontées à d’autres environnements sûrs mais je ne suis pas à la recherche d’un.e nounou à temps plein qui serait à la fois amant.e, amoureux.se, parent et aide ménager.ère.
Je suis donc complètement, archi, super difficile, alors que le postulat est simple et tient en une phrase : j’ai besoin d’aide.