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Quand des civils mènent l’enquête

Résultat: un cold case résolu grâce à Google Maps et un serial killer arrêté grâce à une blogueuse.

Par
Oriane Olivier
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La curiosité n’est pas un vilain défaut ! Elle permet même de résoudre des cold-cases. Alors méfiez-vous de la soi-disant sagesse populaire, comme des potes qui promettent de vous taxer “juste une clope” en début de soirée et restez à l’affût, car l’indiscrétion est parfois un bienfait. La preuve avec trois affaires, qui ont fait avancer la science et la justice au cours des dix dernières années.

LA DISPARITION RÉSOLUE GRÂCE À GMAPS

En 2019, Jerry Nyman, un programmeur informatique résidant dans l’état de Floride, a résolu une affaire vieille de 22 ans. Avant de poursuivre, arrêtons-nous un instant sur les circonstances pour le moins nébuleuses de cette découverte. L’enquêteur en herbe était en effet en train de retracer virtuellement sur Google Maps le chemin qui mène de la maison de son ex-copine, à l’école des enfants de cette même ex-copine. Ce qui n’est absolument pas TERRIFIANT.

Mais accordons-lui le bénéfice du doute, puisque l’homme en question travaille au sein d’un service en charge des transports scolaires, et qu’il a donc pris pour habitude de s’assurer de la sécurité des itinéraires empruntés par les élèves du comté dans le cadre de ses différentes missions. Et c’est ainsi qu’au détour d’une pelouse brûlée par la chaleur et d’une piscine pixellisée, tandis qu’il tentait de vérifier que le trajet des enfants de son ex ne passait pas par un passage à niveaux ou une manifestation spontanée, que notre bon samaritain a remarqué une tâche suspecte au fond de l’étang attenant au domicile de son ancienne compagne. Une voiture ? Un camion de glace ? La dignité de Gérald Darmanin ? Impossible à dire derrière son écran. Ni une, ni deux, le Colombo d’Internet a donc appelé son ex pour lui demander de sonder les profondeurs de l’étendue d’eau. Ce qu’elle n’a évidemment pas fait puisqu’elle n’est pas en mesure de voir à travers 5 mètres de vase. En revanche, elle a contacté la police, qui s’est chargée de repêcher un véhicule vraisemblablement immergé depuis plusieurs années. Sur le siège conducteur de l’épave : le squelette de William Moldt. Cet habitant du coin avait disparu 22 ans auparavant après une soirée en boîte, et attendait patiemment qu’on le ramène à la surface.

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LES RESTES DE RICHARD III SOUS UN PARKING

En ce moment à l’affiche, The Lost King dresse le portrait incroyable d’une britannique férue d’Histoire, qui a permis de mettre au jour les restes du souverain Richard III. Car depuis sa mort au XVème siècle lors d’un affrontement avec le prétendant au trône d’Angleterre Henri Tudor, personne n’était parvenu à déterminer l’emplacement exact de sa dépouille. Et c’est grâce à l’acharnement d’une femme, Philippa Langley, que ses ossements ont pu être exhumés sous un parking. Pour mener à bien son projet, la quinquagénaire obstinée a pu bénéficier du soutien financier de la Richard III Society, dont elle était alors secrétaire. L’association œuvre depuis les années 1920 à réhabiliter le monarque accusé de tous les maux (cruel, félon, amateur de latte au soja…), et dépeint par Shakespeare (fervent défenseur de la maison Tudor) comme un tyran difforme.

Là encore, les circonstances de cette découverte ne manquent pas de sel, puisque Philippa attribue son intime conviction à une “intuition” : celle que le dernier représentant de la maison royale Plantagenêt tentait de lui souffler la localisation de son tombeau. Une intuition qui s’est d’ailleurs confirmée, un an plus tard, lorsqu’elle s’est aperçue que la lettre “R” avait été inscrite sur la place de parking. “R” comme Richard ? Ou comme “royauté” ? Plutôt comme “place réservée”. Mais il ne lui en fallait pas davantage pour se persuader d’avoir raison. D’autant plus que cette piste flottait déjà depuis quelques années parmi les Ricardiens, qui supposaient que l’ancienne église franciscaine de la ville se trouvait sous cette bande de bitume ordinaire. Grâce à plusieurs levées de fonds, quelques ronds de jambe et malgré les de prises de tête avec les institutions, les universitaires et les archéologues peu enclin.es à entreprendre des fouilles sur la base d’un pressentiment ou d’une notification d’outre-tombe, la dernière demeure de l’ancien souverain a finalement été localisée.

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Alors on n’en sait toujours pas davantage sur la cruauté supposée du monarque, mais l’étude de ses ossements a tout de même permis de déterminer que son sobriquet de “crapaud bossu” était largement exagéré (bien qu’il ait effectivement souffert d’une scoliose), qu’il avait une très bonne descente, et qu’il aimait particulièrement s’enfiler des plateaux d’huîtres ou des ragoûts de hérons. La bonne nouvelle pour ses partisans qui auraient souhaité qu’il conserve le trône ? S’il n’avait pas péri sur le champ de bataille, il serait probablement mort d’une ascaridiose : une contamination par de gros vers parasitaires, qui squattaient joyeusement son intestin grêle depuis plusieurs années.

LE SERIAL KILLER ET LA BLOGGUEUSE

En 2018, après quatre décennies de traque infructueuse, le Golden State Killer – auteur de 13 meurtres et d’une cinquantaine de viols dans tout l’État de Californie – est finalement arrêté dans la banlieue de Sacramento. Cet ancien officier de police a été formellement identifié grâce à une recherche d’ADN par parentèle, qui a permis de retrouver l’un de ses lointains cousins dans la base de données d’une société proposant des services de généalogie aux particuliers. Le cadeau de Noël idéal pour celles et ceux qui voudraient savoir s’ils ont du sang Navajo, ou une partie du patrimoine génétique de Nordahl Lelandais.

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Mais l’arrestation de Joseph James DeAngelo n’aurait sans doute pas eu lieu sans l’obsession pour cette affaire sordide de la journaliste, blogueuse et spécialiste des faits divers Michelle McNamara. Et même si le bureau du shérif en charge de l’enquête se défend d’avoir utilisé le profil établi par la détective amateur pour confondre le criminel – un profil étonnamment proche de celui du coupable – toutes ces années consacrées à recouper les récits des différents témoins et victimes du tueur en série, et ces interminables nuits blanches passées à retracer avec précision son itinéraire sanglant, ont permis de relancer l’intérêt des autorités locales pour ce cold-case.

Malheureusement, Michelle McNamara n’a jamais eu l’occasion de voir la justice faire son oeuvre. Elle est décédée dans son sommeil, quelques mois avant son interpellation. Une mort prématurée causée par une malformation cardiaque non détectée, mais aussi par l’ingestion des nombreux somnifères et calmants (dont certains à base de Fentanyl, un opioïde très puissant) qu’elle prenait pour lutter contre les insomnies et les angoisses qui l’étreignaient depuis qu’elle avait commencé son long travail d’enquête. Mais le livre paru à titre posthume et documentant ces années d’investigation (Et je disparaîtrai dans la nuit) est resté en tête des ventes de nombreuses semaines aux Etats-Unis. Et si le serial killer qui a hanté ses cauchemars est aujourd’hui à l’ombre, la soif de justice et l’acuité de cette journaliste demeureront pour toujours en pleine lumière.

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