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L’autre soir, je traînais mon ennui devant Facebook, et j’ai vu passer cette pub pour Intermarché :
https://www.youtube.com/watch?v=T4ou2A4wjxM
« Chaque repas a son histoire », tel le nom de la campagne publicitaire. On y voit un papa courir pour ne pas être trop tard à l’école et récupérer son fiston, le ramener à la maison et lui promettre « un repas entre hommes » avec « son plat préféré », gnagnagnagnagna. Finalement, son fils veut des pâtes bolo, ils vont à Inter acheter des nouilles, le papa fait des bêtises en cuisinant parce que manifestement il n’est pas trop habitué, il fait tomber la poêle. Il s’assoit par terre, au bout du rouleau. Son petit garçon, qui a fait le tour de l’appartement et a compris que sa maman avait pris la tangente, prépare un sandwich à son père dépassé par les événements. On voit donc un homme bouleversé par sa nouvelle situation familiale, devant prendre des responsabilités nouvelles pour lui, ratant un plat archi simple, rassuré par son enfant. Le père est aussi un enfant, dans cette histoire. En tout cas, il a un gros problème de communication. Je dis ça comme ça, mais il aurait dû être sincère avec son fils et lui dire ce qui se passait dès le départ, au lieu de prendre son enfant pour un idiot. Ensuite, il n’était pas obligé de se compliquer la vie en cuisinant de vraies bolognaises, mais apparemment seul un vrai repas maison peut faire du bien. Faut voir notre héros couper les oignons comme une quiche en soufflant, avec sa chemise bien repassée, car un vrai homme cuisine lui-même.
Je regarde ça et je me dis : mais il n’a jamais touché un couteau de sa vie, en fait ? Tu m’étonnes qu’elle se soit cassée. Le gars arrive en retard à l’école, ne se souvient plus du plat préféré de son enfant (« je travaille trop », qu’il dit à son petit garçon), n’est pas franc et ne communique pas sur la situation familiale (bon ok, je suis un peu de mauvaise foi, la maman aurait pu aussi en parler), va à Inter alors que c’est largement l’heure de se coucher et laisse le môme en chaussons (donc il ne pense pas à mettre les chaussures, je pense qu’il ne doit pas avoir l’habitude de sortir avec son fils), veut jouer le héros devant sa poêle, rate tout et c’est son fils qui le nourrit à la fin.
J’imagine que l’idée de l’agence de com’, c’était de faire un truc paritaire, égalitaire. C’est raté.
Je suis devant la publicité d’Intermarché et je vois un homme qui n’est pas à l’aise, qui n’a jamais été seul avec son fils, qui ne lui a pas fait à manger, qui a besoin de lui prouver que ça va aller, qu’ils vont s’en sortir, et je soupire, vraiment, profondément. Pourquoi va-t-on plaindre un homme qui mérite manifestement sa situation ? Pourquoi avoir choisi ce point de vue et pas celui de la mère ? Ok, d’après quelques sources, il semblerait que les femmes soient majoritaires désormais à demander le divorce (sans doute parce que c’est plus facile et qu’elles travaillent plus qu’avant). J’en conclue que la mère de la pub qui s’est barrée en avait ras-le-bol de se taper tout le boulot à la maison en plus de son job, que son grand enfant de mari n’avait aucune conscience de ce boulot « caché », charge dont on estime encore de nos jours super légitime qu’elle revienne aux femmes, et que cela devient un acte de courage et de générosité quand c’est le père qui s’en charge. J’imagine que l’idée de l’agence de com’, c’était de faire un truc paritaire, égalitaire. C’est raté.
Imaginons la même pub avec un scénario légèrement différent : c’est la mère qui est quittée. Elle va chercher sans courir son enfant à l’école. Elle rentre à la maison où les placards sont vides, installe son enfant sur le canapé : et lui fait un câlin en lui expliquant que papa et maman sont séparés mais qu’ils l’aiment très fort et qu’ils sont toujours une famille. Elle lui propose de cuisiner son plat préféré, des pâtes bolognaises, elle coupe les oignons, elle ne fait pas tomber la poêle, ils mangent tous les deux, se font des câlins, fin de l’histoire. Forcément, ça a moins de tronche que le pauvre papa débordé avec sa beubar de trois jours.
Globalement, tous les films avec des pères m’énervent rien qu’à la bande-annonce.
C’est comme ça, on plaint toujours les hommes qui se retrouvent seuls face à leur fie de famille que les femmes dont on attend d’emblée qu’elles assurent. Le père brouillon qui fait de son mieux, paye ton cliché. Je pense au film Un nouveau départ, où Matt Damon campe un père veuf qui ne sait même pas où s’achète un CARTABLE (oui, je crie). C’est pas mignon, ça ? Nan, ça ne l’est pas. Je n’ai pas tenu plus de cinq minutes devant ma téloche. Globalement, tous les films avec des pères m’énervent rien qu’à la bande-annonce. Le père qui se retrouve seul, planté par sa femme qui n’en peut plus de tout gérer, et qu’on regarde attendri faire les devoirs avec son fils et découvrir la passion pour la danse de sa fille, mais dans quel monde c’est mignon, ça ? Une mère agirait comme lui elle serait déjà agonie d’insultes par les trois quarts des spectateur.ices du film, parce que ce qu’on pardonne à un homme, on ne le laisse jamais passer ça à une femme. Bien sûr, ces histoires de père abandonnés face à leurs enfants sont touchantes, il paraît que Romain Duris s’en sort bien dans Nos Batailles, bien sûr la bande annonce me replonge dans mon quotidien. Mais aurait-on fait ce film si c’était une femme l’héroïne ? Ben non, pardi. Trop réaliste, trop normal. Et perso, j’en ai marre qu’en fiction, même dans les pubs, mes modèles ça soit des hommes.
Je n’oublierai jamais Maria Pacôme dans La Crise de Coline Serreau (encore une histoire de mec quitté par sa femme, tiens). Elle a passé sa vie à s’occuper de son mari et de ses enfants et quand elle décide de vivre pour elle, elle se fait traiter d’égoïste. Ça alors. Cela ferait une bonne pub, pourtant, pour Intermarché : une femme qui a retrouvé sa liberté se fait plaisir en s’achetant enfin ce qu’elle aime et pas ce qui plaît aux autres, elle va d’un rayon à l’autre et passe devant les yaourts aux fruits sans s’arrêter. Car « chaque repas à son histoire », pas vrai ?
Photo : Quand je ne sais plus comment on cuisine des pâtes à la bolognaise.