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Propagande pro-vie : ou quand CNews balance des infos dangereuses sur l’avortement

De quoi orienter le débat sur la constitutionnalisation du droit à l'IVG.

Par
Oriane Olivier
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Vous pensiez que CNews touchait déjà le fond du seau de la déontologie journalistique ? Détrompez-vous, il est toujours possible de faire pire ! Et contre toute attente, Pascal Praud n’y est pour rien cette fois-ci. En effet, depuis dimanche c’est En quête d’esprit, une émission dominicale d’obédience catholique tendance Civitas, qui suscite la polémique et risque de faire boire la tasse à son équipe de grenouilles de bénitiers.

A seulement trois jours de l’examen par le Sénat du projet de loi visant à faire rentrer le droit à l’IVG dans la Constitution, la thématique du numéro de dimanche 25 février (“Avortement : une blessure à l’âme ?”) laissait déjà a priori peu de place au doute quant à l’entreprise de propagande anti-avortement à l’oeuvre au sein du programme religieux du média made in Bolloré.

Toutefois, on aurait pu naïvement espérer que les conventions passées avec l’ARCOM (le gendarme de l’audiovisuel français), limiteraient un tant soit peu le pouvoir de nuisance de la campagne pro-vie et de la croisade conservatrice menées sur tous les fronts depuis quelques années par le milliardaire breton. Mais après avoir déjà enterré la décence en faisant grimper la côte de l’essayiste masculiniste Eric Zemmour dans les sondages à la veille de la dernière élection présidentielle, l’industriel a semble-t-il également décidé de peser de manière totalement assumée sur la vie politique du pays et d’orienter explicitement le débat public, à la veille d’un vote historique qui pourrait protéger durablement les femmes en cas de changement de majorité. Quitte à basculer dans l’illégalité.

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C’est donc en toute décontraction que le présentateur de l’émission Aymeric Pourbaix, a déclaré – infographie à l’appui – que l’avortement était la première cause de mortalité dans le monde, devant le cancer et le tabagisme. Et non, l’animateur ne parlait bien entendu pas des femmes qui décèdent dans des conditions déplorables lors d’avortements clandestins, en tentant désespérément d’interrompre une grossesse non désirée au sein de pays où il est interdit d’avorter. Il parlait bien des embryons et des fœtus, avec un sous-entendu gros comme les glands de ses mocassins cirés, qui insinue donc que l’IVG est un meurtre, et non un acte médical encadré. Extrait :

« En 2022, il y avait 234 300 avortements enregistrés en France. C’est aussi la première cause de mortalité dans le monde, selon l’institut Worldometer : 73 millions en 2022, soit 52 % des décès »

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Alors non content de balancer des chiffres issus d’un site (Worldometer), dont la fiabilité des données est régulièrement critiquée car elles sont obtenues à partir d’extrapolations de data récoltées sur le web, ou auprès de médias nationaux et d’ONG ; non content aussi de manipuler ensuite lesdits chiffres pour diffuser une infographie teintée idéologiquement, et erronée au regard du droit français, puisque les foetus et embryons n’ont pas de personnalité juridique jusqu’à leur naissance : CNews ne respecte pas ses obligations légales, réglementaires et conventionnelles, en manquant éhontément à son devoir d’honnêteté de l’information.

Car si une chaîne privée peut diffuser des émissions religieuses à la télévision, au nom de la liberté éditoriale, une possibilité énoncée dans la loi Léotard (un texte fondateur du paysage audiovisuel français), elle doit tout de même faire un minimum semblant de contrôler la réalité des informations relayées dans ses programmes, fusse-t-ils prosélytes. Mais sous l’ère Bolloré, le PAF n’est qu’un grand far-west où l’éthique, le professionnalisme et la probité importent moins que le volume sonore des intervenants, et l’aplomb trumpien avec lequel ils présentent des contre-vérités. Et tant pis s’il faut rétropédaler ensuite, quand le mal est déjà fait.

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Ainsi face au tollé provoqué par l’émission, qui a suscité la colère de nombreux responsables politiques mais également de plusieurs personnalités médiatiques, l’animatrice Laurence Ferrari a présenté les excuses officielles de la chaîne et reconnu “une erreur qui n’aurait pas dû se produire”. Ce à quoi on serait tenté de répondre qu’une erreur, c’est une coquille sur un bandeau en direct, pas une manœuvre délibérée de désinformation au cours d’une émission préparée chaque semaine, et dont les prises de paroles ont été validées en amont. D’ailleurs, plus tôt ce lundi, l’autrice et militante féministe Rose Lamy révélait qu’Europe 1, un autre média récemment acquis par l’empire Bolloré, avait déjà anticipé les critiques et coupé au montage le replay radiophonique d’En quête d’esprit, pour en retirer le passage polémique avant même sa rediffusion.

Un revirement probablement calculé et terrifiant, qui en dit long sur les stratégies adoptées par l’empire médiatique de Bolloré pour continuer à délivrer ses messages réactionnaires, tout en se réfugiant derrière des mea culpa hypocrites mais sans effet, et qui démontre également qu’en matière de contraception comme de discours intégriste et dangereux : la technique du retrait ne fonctionnera jamais.

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