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Profession : thanatopractrice

Deuxième épisode d’une série sur les métiers de la mort.

Par
Capucine Japhet
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Petite fille, j’ai le souvenir désagréable d’avoir vu mon grand-père sur son lit de mort. Avant la crémation, ma famille a décidé de lui dire au revoir une dernière fois. À l’époque, mon grand-père avait alors été habillé et maquillé “pour ressembler à ce qu’il était de son vivant”, se rappelle ma sœur. Si ce genre de procédés est en réalité complètement inutile pour le défunt, cela permet de faciliter le processus de deuil des vivants. Gommer les stigmates de la mort aide en effet certains à garder une dernière image digne et apaisée du défunt. C’est pourquoi, les services funéraires proposent aux familles de pratiquer des soins de thanatopraxie. En plus d’une simple toilette funéraire, le thanatopracteur est amené à injecter une substance chimique, communément appelée formol dans le corps pour ralentir sa décomposition.

Pour comprendre les dessous de cette profession méconnue et parfois incomprise, j’ai poussé les portes du funérarium de Pontoise pour y retrouver Lätitia Petit, thanatopractrice depuis une dizaine d’années. La trentenaire se déplace en Ile-de-France avec sa valise à roulette pour pratiquer en moyenne trois soins par jour.

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Lätitia est lumineuse. Vêtue d’une robe à fleurs, la jeune femme entre dans la chambre funéraire et enfile son équipement. Mission du jour : s’occuper d’une vieille femme décédée il y a 48 heures. Depuis son plus âge, Lätitia sait qu’elle souhaite travailler avec les morts. « J’adorais jouer à la poupée, habiller mes barbies et arrivée au collège, ce que je préférais, c’était les dissections en biologie. Ce métier reprend tout ce que j’aimais faire sans avoir la responsabilité liée au médecin légiste », résume-t-elle.

La thanatopractrice sort la défunte d’une cellule réfrigérée. J’essaie de faire bonne figure mais la vue d’un cadavre m’est difficile à supporter. Passionnée par la mécanique du corps humain, Lätitia n’est jamais dégoûtée ou horrifiée de voir quotidiennement des morts. « Je sais que c’est une personne mais je n’y peux rien s’ils sont morts. Mon job, c’est de m’occuper d’eux pour qu’ils soient présentables pour la famille après moins j’en sais sur leur vie, mieux c’est car tu n’as pas envie que ça t’atteigne ».

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Le corps de la vieille femme n’est pas en très bon état. L’abdomen est vert. Les bactéries ont commencé à s’y installer. Des œufs de mouche se sont nichés dans son cou. « La putréfaction commence souvent au niveau de l’abdomen », m’explique Lätitia qui s’est attelée à nettoyer méticuleusement la tête et le visage. J’essaie de me concentrer sur les mots et les gestes de la professionnelle mais je suis obligée de sortir quelques instants de la salle pour reprendre mes esprits.

« Ce n’est pas mon deuil »

Je poursuis finalement mon stage d’observation, qui s’avère être laborieux. Je regarde le sol, me bouche le nez, et demande à Lätitia de me décrire les étapes de son travail. « Le fluide va prendre la place du sang et pousser le sang vers le cœur et moi je vais aspirer en circuit fermé comme ça le formol remplace le sang, dans les vaisseaux et les cellules », détaille-t-elle, lors de l’injection du produit. La jeune femme a en amont cousu la bouche pour pouvoir mettre « les traits du visage en place ». Après l’injection du formol et le méchage des orifices, la défunte est prête à être maquillée. Je me rapproche du corps, le visage est moins creusé. « Il faut que la personne paraisse reposée, naturelle », m’explique Lätitia qui déplore de voir certains soins de thanatopraxie “bâclés”. La thanatopractrice s’applique à reproduire un chignon à partir d’une photo récente de la vieille femme et maquille sobrement son visage. Elle tente du mieux qu’elle peut de lire la personne. Car un soin raté peut alors complètement transformer l’apparence du défunt, jusqu’à ne plus pouvoir le reconnaître.

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Un paramètre que la jeune femme avait en tête lorsqu’elle à dû effectuer un soin de conservation sur sa grand-mère, à la demande de cette dernière. Si cela a été émotionnellement difficile, Lätitia a pu passer un dernier moment privilégié avec elle et s’assurer d’effectuer un travail soigné. « Ça a permis aux gens de ma famille qui voyaient mon métier d’un mauvais œil, de voir ce que c’était et à partir de là, ils se sont ouverts à ma profession et tu sentais que le regard avait changé ».

« La vie peut s’arrêter d’un instant à l’autre »

Arrivée à la fin de mon observation, la vieille dame en mauvais état est habillée, maquillée et paraît presque reposée. Et je comprends, le sentiment de satisfaction que Lätitia peut avoir en voyant “l’avant-après”. Je suis fascinée de voir à quel point la thanatopractrice est animée par cette profession qu’elle pratique avec beaucoup de sérénité. Je suis fascinée aussi de voir, que le fait de côtoyer des morts ne semble pas l’ébranler. « La seule fois où ça m’a touchée, c’est un corps que je n’ai pas préparé. Une femme était en robe de mariée avec son nouveau-né sous le bras. Elle était morte en couche », me raconte-t-elle. Pour la jeune femme, c’est très simple : la thanatopraxie n’est pas une voie que l’on choisit par dépit. « Si tu rentres chez toi le soir, en pensant à ta journée. Si ça doit te demander un effort psychologique, fuis ! »

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Si Lätitia est satisfaite de pouvoir présenter des corps bien préparés aux familles, elle préfère se tenir loin des émotions. « Je n’ai pas envie de récupérer leur énergie, explique-t-elle. Je ne veux pas être un aimant à tristesse, ce n’est pas mon deuil. » En dehors de son activité professionnelle, Lätitia aime danser et voyager, sa “troisième passion”. Ces activités ne sont pas là, selon elle, « pour compenser quoi que ce soit ». Lätitia n’estime pas son métier difficile à vivre psychologiquement mais considère que cela lui permet d’avoir un autre regard sur la vie, bien consciente qu’elle « peut s’arrêter d’un instant à l’autre ».