.jpg)
Profession : nettoyeur post-mortem
« Je ne me lève pas le matin en me disant : “Tiens, je vais nettoyer telle ou telle chose, ça va me faire plaisir…” Ça me dégoûte même un peu », m’explique très calmement Baptiste Girardet, autour d’une tasse de café alors que l’aspirateur robot s’agite sur les carreaux blancs du sol du salon. Il m’a accueillie chez lui, dans sa maison qui fait également office de bureau. En voyant cet intérieur impeccablement soigné, je ne peux m’empêcher de faire le lien avec l’activité de mon hôte, véritable professionnel du nettoyage.
Spécialisé dans la décontamination post-mortem, Baptiste Girardet est, dans d’autres termes, un “nettoyeur de scènes de crime”. En réalité, cet ancien pompier de Paris, passé par la case de la police scientifique, s’occupe principalement des “morts oubliées”, et des suicides. Les crimes se font beaucoup plus rares. « Si on devait résumer mon métier, c’est d’éviter aux familles d’enlever les traces des conséquences du décès. Ce n’est pas le nettoyeur de ceci ou de cela. »
Car on n’y pense pas forcément, mais à la suite d’un décès, les proches doivent s’occuper de nettoyer les lieux. Et si les corps ne sont plus là, les odeurs, les fluides corporels, le sang laissent des images indélébiles dans les esprits. Baptiste Girardet le sait pertinemment pour avoir effectué lui-même le nettoyage après deux drames familiaux. En assistant à de nombreuses scènes de crime en tant que “criminalisticien de sécurité intérieure”, il trouvait alors “inhumain” de devoir redonner les clés des logements aux familles, comme si de rien n’était, dans ces endroits où les traces du drame étaient encore bien présentes. « Il y a un syndrome post-traumatique impressionnant », poursuit-il.
Faciliter le processus de deuil
Après avoir suivi une formation à Montréal, Baptiste Girardet a obtenu une certification de technicien en nettoyage de sites d’incidents traumatiques et s’est alors donné pour mission de faciliter le processus de deuil des familles, qui en plus du traumatisme, peuvent être exposées à des risques sanitaires. « Ça ne pose problème à personne a priori, aussi bien ceux qui nous gouvernent que ceux qui gèrent notre santé sur le territoire français, que des êtres humains décèdent dans leur habitat privé et qu’on confère à redonner cet habitat soit au restant de la famille, soit au bailleur », souligne-t-il.
À chaque fois qu’il intervient, Baptiste arrive avec sa combinaison blanche de “cosmonaute” et met en place un protocole bien défini pour venir à bout des bactéries mais aussi parfois des insectes qui se sont installés. Il faut utiliser les bons produits, et les bonnes techniques. « Quand la décontamination est mal faite, vous avez en fonction des aléas climatiques des odeurs avec la dilatation des matériaux qui peuvent ressortir », précise-t-il.
Au-delà d’engager un travail de décontamination, l’intervention peut déboucher sur l’élimination de détails qui peuvent paraître anodins mais pesants pour les familles comme les brosses à dents, le gel douche ou encore le parfum. En fonction des missions, il est également possible d’entamer un travail de tri et se pose la question de retirer auquel cas des éléments qui pourraient potentiellement perturber les proches. Finalement, le but est de pouvoir laisser un environnement ne venant pas troubler l’image du défunt. Tout est propre, jusqu’aux toilettes.
« Je ne suis pas un surhomme »
Si Baptiste tire une vraie satisfaction à ce que tout soit impeccable pour les familles, il est bien conscient que l’exercice de sa profession est impactante psychologiquement. Certaines scènes peuvent, rien qu’avec les fluides humains, retranscrire les étapes du décès. Mais, c’est aussi tout simplement le fait de porter la mort sur soi qui est pesant : « Plus le temps avance dans la journée et plus on porte des traces sur la combinaison. Visuellement, c’est pas intéressant de voir l’autre avec des traces parce que c’est des choses qui imprègnent le cerveau et la psyché », assure-t-il.
Baptiste a ainsi décidé de faire appel à une neurocoach pour pouvoir effacer les images traumatisantes et avancer dans son travail. « Je ne suis pas un surhomme. Je n’ai pas une cape dans le dos. J’ai des capacités et des outils qui me permettent techniquement d’y parvenir psychologiquement. »
Au-delà des scènes compliquées à appréhender, il est aussi indispensable de se tenir loin des vivants et des histoires pour ne pas être davantage impactés. Mais parfois, Baptiste se retrouve malgré lui à “faire du social”. Il lui est déjà arrivé de facturer une intervention un euro pour une étudiante qui n’avait pas les moyens de s’offrir ses services, après le meurtre de sa mère la veille de Noël.
Non seulement la plupart des familles ne s’attendent pas à devoir nettoyer les traces du décès, mais faire appel à une société de nettoyage n’est pas accessible à tout le monde. Qui plus est, la profession de Baptiste n’est pas réglementée en France, laissant la porte ouverte à n’importe qui.
Depuis le 25 avril 2022, un nouveau décret permet désormais la prise en charge sur frais de justice du nettoyage post-mortem dans le cadre d’un crime. Une avancée, permettant aux proches des victimes de ne plus subir cette double peine psychologique.