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Profession : médecin légiste

Premier épisode d’une série sur les métiers de la mort.

Par
Capucine Japhet
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Après avoir marché une trentaine de minutes depuis la gare d’Avignon, sous une chaleur caniculaire, je trouve enfin refuge dans la salle d’attente du funérarium municipal. C’est ici, entre ces murs frais et tristes, que m’a donné rendez-vous le docteur Romain Mosnier. Ce médecin légiste vient fréquemment pour pratiquer des examens de corps. Les autopsies ont lieu à l’Institut Médico-légal de Nîmes.

Nous commençons à discuter dans le bureau, puis le médecin me conduit dans une ancienne salle d’autopsie, histoire de planter un peu le décor. Je me dis alors que des milliers de cadavres ont dû défiler sur cette table, dans cette salle tapissée de carrelage blanc. Romain Mosnier me montre quelques outils de torture et m’autorise à le prendre en photo. Je dois faire vite, j’ai déjà largement débordé sur la durée de notre entretien. Car Romain Mosnier est un homme pressé. En plus de pratiquer la médecine légale, il enfile sa casquette de médecin généraliste à Carpentras. Puis, entre un patient et une autopsie, Romain Mosnier, alias Docteur Roma prend le temps de raconter les dessous de sa profession sur TikTok où il est suivi par plus de 25 000 personnes.

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https://www.tiktok.com/@docteurroma/video/7013414803318263045?is_copy_url=1&is_from_webapp=v1&lang=fr

L’objectif est de pouvoir faire de la pédagogie sur un métier souvent fantasmé. À l’opposé de ce que véhiculent les séries américaines, Romain Mosnier côtoie pour la plupart du temps le monde des vivants. Une grande partie de son travail consiste à recevoir des victimes de violences : un aspect de sa profession qu’il a appris à apprécier davantage au fur et à mesure de sa pratique. « Au départ, je trouvais beaucoup plus intéressant de pouvoir faire parler des corps », m’explique-t-il. Le médecin avait choisi la médecine légalE pour le volet “thanatologie”. Ce n’est donc pas aussi fréquent que dans les fictions TV, mais Romain Mosnier est confronté quotidiennement à des corps morts. Il doit alors, si cela est nécessaire, les ouvrir pour rechercher les causes du décès. Si ça peut sembler impressionnant ou insurmontable pour le commun des mortels, le médecin voit les choses différemment.

« Si l’on se dit qu’on a une personne sur la table d’autopsie, qu’on va lui ouvrir le thorax, alors votre cerveau ne va pas comprendre ce qu’il se passe »

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Les odeurs de corps en putréfaction ou les vers qui “bouffent les tissus”, le dérangent peu. « Si l’on se dit qu’on a une personne sur la table d’autopsie, qu’on va lui ouvrir le thorax, alors votre cerveau ne va pas comprendre ce qu’il se passe, précise-t-il. Mais si on se focalise, sur un bras, une jambe comme le ferait un chirurgien, ça passe mieux ». Pour autant, les autopsies ne sont pas sans désagréments. « Ce sont les bruits qui sont impressionnants comme la première fois où l’on sort une scie pour faire le cerveau et qu’on entend le “clac” au niveau des os pour pouvoir ouvrir la boîte crânienne », me raconte-t-il, impavide.

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Si comme moi, vous avez en tête une scène digne d’un film d’horreur, n’oubliez pas que découper des cadavres pour trouver la raison de la mort, cela permet aussi à celles et ceux qui restent d’avoir des réponses. Et c’est aussi le faire en respectant les personnes allongées sur la table d’autopsie. « Il y a un travail de reconstruction. Une fois qu’on a tout remis en place, que l’on ferme le thorax, que l’on suture, on ne doit rien voir lorsque la personne est habillée. »

« La banalité de la violence est notre plus mauvaise amie »

Romain Mosnier me raconte très calmement des épisodes de morts horribles, des histoires qui l’ont marqué mais aussi des morts bêtes. Des situations parfois “comiques” qui permettent aussi de décompresser avec les collègues. « Il faut arriver à se sortir de ça, donc il y a beaucoup de dérision ». Le médecin est accompagné par une psychologue, indispensable selon lui pour pouvoir relâcher la pression. « Ce ne sont pas tant les histoires, c’est la violence. Il n’y a que des épisodes violents et en s’habituant à la violence, on a des réactions qui ne sont pas adaptées, poursuit-il. Cette violence habituelle, c’est traumatisant. La banalité de la violence est notre plus mauvaise amie ».

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En réalité, le plus dur pour Romain Mosnier est de travailler avec… les vivants. Le fait d’être confronté aux émotions de femmes ou d’enfants violentés, le touche davantage. « Le corps mort, est un corps mort. Il y a peut-être une fracture qui nous impressionne ou une tête qui est complètement éclatée, mais quand on a quelqu’un qui arrive avec des émotions, ça nous impacte obligatoirement », explique-t-il.

Le médecin tiktokeur a par ailleurs du mal à faire la scission entre sa vie privée et professionnelle puisqu’il peut être appelé à n’importe quel moment. Comme si la mort n’était jamais loin. Si le médecin est conscient (plus que personne d’autre) que la vie peut s’arrêter à chaque instant, il assure ne pas avoir peur de mourir. « Tout ce qui reste à côté est important, c’est juste une continuité. Je ne vois pas la mort comme une étape infranchissable ».

Avec la pratique de la médecine légale, Romain Mosnier a appris à s’investir davantage auprès des familles. Si c’est “toujours plus dur” de mettre de l’émotion en accompagnant les proches des défunts mais aussi des victimes de coups, de viols, ou encore d’inceste, le médecin veut impérativement être à l’écoute. Et ne surtout pas banaliser la violence de ces histoires du quotidien.