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Pride 2025 : la radicalité queer effraie les réacs, et c’est pas plus mal

Les débats autour de l’affiche jugée « trop violente » de la Marche des fiertés parisienne tendraient à nous faire croire que la radicalité n’a pas sa place dans la politisation queer. Pourtant, l’histoire des luttes LGBTQ+ prouve le contraire.

Par
Pacha Hadziavdic
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La stupéfaction m’envahit. Comment donc ? Qu’ouïs-je ? La Pride serait… politique ? Des voix se sont élevées en réaction à l’affiche de la Marche des fiertés 2025 de Paris, publiée par l’Inter-LGBT et dessinée par l’artiste Tola Vart, pour dénoncer un trop-plein de « trop » : « trop politique », « trop violente », « trop radicale ». Sur l’image, on distingue six personnages aux couleurs du drapeau LGBTQ+. Parmi elleux, un militant d’Act Up, une femme portant le voile, une autre arborant plusieurs badges, dont un aux couleurs du drapeau palestinien. Un autre personnage vient visiblement d’assommer un homme qui, au vu de la croix celtique tatouée sur son cou, symbolise le fascisme.

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Il ne s’agit pas ici de se lancer dans un exercice de « débunkage » pour réfuter point par point les fausses informations autour de l’affiche. D’autres médias s’en sont déjà chargés, comme Mediapart, qui s’est d’ailleurs entretenu avec Tola Vart pour expliciter ses choix artistiques. En revanche, nous souhaitons revenir sur une idée reçue, perceptible à travers de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux : celle selon laquelle la Pride ne serait qu’une simple marche, un aimable moment de partage entre pinecos sous le soleil de juin, destiné à célébrer les identités sexuelles et de genre. D’une certaine manière, ça peut l’être. Mais réduire la Pride à ça, et seulement ça, revient à faire l’impasse sur les avancées des droits LGBTQ+ obtenues aussi grâce à une forme de radicalité dans les luttes.

Effectivement, il faut tout de même avoir conscience qu’avec le temps, les dérives capitalistes et une inclusion légèrement débordante — coucou les chars de flics LGBTQ+ dans les cortèges —, la Marche des fiertés a perdu de sa fringance révolutionnaire. La démarche de l’Inter-LGBT et de Tola Vart a justement été de réinjecter une dose de radicalité dans un contexte de violences généralisées à l’encontre des LGBTQ+ partout dans le monde. C’est précisément cela qui dérange celles et ceux qui souhaitent extraire de la Pride — et des mouvements queers — leur substance politique, au point de les déraciner de leur terreau originel : celui d’une lutte pour les droits, marquée par le sang, les arrestations, les agressions, les destructions — et parfois, la mort.

« Marsha P Johnson est morte pour que les homosexuels du marais puissent manger des toasts saumon-avocat »

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Dans l’éternel torrent de bullshit que X est en mesure de nous fournir quotidiennement, on est tombé sur @Geraniumbleu, qui avoue regretter la « Pride dans sa version d’origine, pacifique et festive ». Alors, cher @Geraniumbleu, la Pride dans sa version d’origine, pour résumer, ce sont des jets de bouteilles, de briques et d’objets enflammés contre les keufs, lesquels avaient assiégé le bar du Stonewall Inn en barricadant les portes. Les queers sur place ont alors incendié le bar. Les origines de la Pride, ce sont aussi des vitrines explosées, des voitures renversées, de nombreux blessés et plusieurs dizaines d’arrestations violentes. And the list goes on. On a connu plus good vibes.

Il y a aussi @DocteurMller, un anti-intersectionnel notoire, qui écrit : « LGBTQIA+ : Lesbienne, Gay, Bi, Trans, Queer, Intersexe — pas Anarchiste, Anticapitaliste, Antispéciste, Antifasciste… On voulait juste se marier et bruncher, pas faire tomber le système. » Ce à quoi @Polamath a magistralement répondu : « Marsha P. Johnson est morte pour que les homosexuels du Marais puissent manger des toasts saumon-avocat ». Rien à ajouter.

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Beaucoup ont également critiqué la présence d’un drapeau palestinien sur l’affiche, à l’instar de @martelf, qui whippin tout en affirmant que « le combat LGBT ne peut être politisé entre un drapeau palestinien et une femme voilée. Les gays sont assassinés par le Hamas à Gaza, et sept pays musulmans les condamnent à mort. » Car oui, @martelf, il est bien connu que les musulmans queers n’existent pas, donc à quoi bon les représenter ou les visibiliser ? Et le peuple palestinien ne se résume qu’à une haine profonde des personnes LGBTQ+, c’est ça ? Bonjour l’essentialisation.

En réponse à la polémique, l’activiste, juriste et responsable LGBTI+ pour Amnesty France, Sébastien Tüller, pose une question essentielle : où se situe la violence lorsque « l’année écoulée a été marquée par une vague inquiétante de régressions en matière de droits humains, visant particulièrement les personnes LGBTI+ » ? Dans de nombreuses régions du monde, des gouvernements ont adopté ou renforcé des lois discriminatoires. Sébastien Tüller cite notamment le Ghana, la Malaisie, le Mali et l’Ouganda — des pays qui ont renforcé ou confirmé l’interdiction des relations consenties entre personnes de même sexe. Il évoque également le Mexique, marqué par de nombreux transféminicides, ainsi que la Tunisie, la Hongrie, la Bulgarie, ou encore les États-Unis de Donald Trump, où les droits des personnes trans sont attaqués par une politique de restrictions. Et la liste n’est pas exhaustive. Comme le souligne Sébastien Tüller, la véritable violence se trouve au niveau des LGBTIphobies.

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L’activisme queer est historiquement révolutionnaire et radical

En dehors de Stonewall, dans le cas français, le contexte de création des Pride n’était pas non plus tout rose. La toute première et véritable manifestation LGBTQ+ en France a lieu en 1977, à Paris ; et elle est avant tout féministe. On la doit à l’initiative du Groupe de Libération Homosexuelle (GLH) et du Mouvement de libération des femmes (MLF). La démarche visait alors à s’opposer au réformisme homosexuel, considéré comme une forme de normalisation ou d’assimilation des identités LGBTQ+ dans un modèle hétéro-patriarcal ou néolibéral.

Dans le cortège, on retrouve les Gouines Rouges, un collectif lesbien féministe radical, qui joue un rôle central dans la visibilisation de la question lesbienne, en lien avec le féminisme et la critique du patriarcat. On y trouve aussi les Gazolines, considérées par certain·e·s comme l’un des premiers groupes trans-militants français. Formées au cours des années 1970, elles s’identifient comme « folles » et participent aux actions et aux réflexions du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire). Leur objectif : briser l’approche trop intellectuelle, hiérarchique et parfois conformiste des milieux gays militants de gauche. Elles s’opposent aux codes esthétiques du genre, à la mode du costume-cravate et à la pensée « travail-capital ».

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Et si l’on souhaite vraiment creuser plus loin dans l’historique des luttes et révoltes queers, on peut s’intéresser au travail du mouvement queer insurrectionnaliste états-unien Bash Back!, qui retrace la chronologie des insurrections dites gender fuck — c’est-à-dire toute force allant à l’encontre des normes de genre — dans l’ouvrage collectif Vers la plus queer des insurrections. On y apprend, par exemple, qu’en Grèce, dès l’an 390, un commandant de milice nommé Butheric fait arrêter un artiste de cirque populaire au nom d’une nouvelle loi punissant « l’efféminité masculine ». Les habitants se révoltent… et tuent Butheric.

Sur ces belles paroles, joyeux mois des fiertés à toutes et tous :

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