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Prendre l’avion et payer pour compenser ses émissions de CO2 : bonne idée ou bonne conscience facile ?

50 nuances de crédits carbone.

Par
Sandrine Rastello
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L’arrivée de l’été s’accompagne, plus que jamais, d’une grosse envie de prendre le large pour rattraper les deux dernières années, maintenant que voyager retrouve le goût « d’avant ».

Mais on ne va pas se mentir. Le dépaysement dont beaucoup rêvent implique généralement plusieurs heures d’avion (ou beaucoup de temps libre, voire une passion pour la voile). En 2022, il devient difficile d’ignorer que l’on contribue aux changements climatiques chaque fois qu’on fait une escapade à 30 000 pieds d’altitude.

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, la référence en la matière), est clair là-dessus : prendre moins l’avion fait partie des mesures les plus efficaces qu’on puisse adopter, à titre individuel, pour contribuer à atténuer le réchauffement de la planète.

« Il n’y a pas vraiment d’aviation durable en vue. »

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« Il n’y a pas vraiment d’aviation durable en vue », en dépit des promesses et des nouveaux carburants, déclare Anne Siemons, chercheuse à l’Öko-Institut en Allemagne, un organisme spécialisé en environnement qui a lancé un site très complet sur la question l’an dernier.

Mais si Greta Thunberg a éveillé les consciences et mobilisé les foules sur les questions climatiques, peu de gens sont prêts, comme elle, à renoncer à l’avion. Alors, on fait quoi ?

Crédits et dilemmes

Entre abstinence et insouciance, il y a un vaste espace où le marché de la compensation carbone volontaire a trouvé sa clientèle. Le principe est simple (trop, disent les critiques) : les gaz à effet de serre issus de nos activités peuvent être neutralisés en contribuant financièrement à certains projets qui, eux, retirent le carbone de l’atmosphère ou diminuent les émissions.

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Exemple emblématique : les arbres, qui séquestrent le CO2 dont ils ont besoin pour se développer. Carbone boréal, un organisme rattaché à l’Université du Québec à Chicoutimi, plante de 150 000 à 200 000 épinettes noires par an, au nord du Lac-Saint-Jean et sur des parcelles agricoles inexploitées. Son programme de compensation l’aide à soutenir sa recherche.

Ce marché de la compensation volontaire, ouvert à tou.te.s et peu encadré, est distinct des marchés du carbone.

Vols et croisières en Europe, milliers de kilomètres parcourus en auto, congrès à Whistler… le registre des donateurs révèle les motivations derrière chaque contribution, offrant une véritable plongée dans les dilemmes climatiques personnels de notre temps.

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« La demande a augmenté, particulièrement après 2018, lorsqu’il y a eu les marches pour le climat, où les gens ont plus pris conscience que la compensation était quelque chose qu’ils pouvaient faire », analyse Claude Villeneuve, le professeur qui a démarré le programme en 2008.

Pas le Saint Graal

Ce marché de la compensation volontaire, ouvert à tou.te.s et peu encadré, est distinct des marchés du carbone, plus gros et réglementés, où entreprises manufacturières, producteurs d’électricité et distributeurs de carburant s’échangent des crédits. Il a quand même dépassé le milliard de dollars (US) de transactions l’an dernier, d’après les estimations de l’OBNL spécialisé Ecosystem Marketplace. Les entreprises, en particulier, se ruent sur des projets leur permettant d’annoncer leur (future) carboneutralité.

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Les organismes de compensation suivent deux approches. Certaines contribuent à séquestrer le carbone (grâce aux arbres), d’autres à faire baisser les émissions, par exemple à travers des projets d’énergie renouvelable.

Daniel Normandin en est un client convaincu. Pas étonnant, direz-vous, quand on dirige un centre de recherche spécialisé en économie circulaire à l’ÉTS. Mais attention, prévient-il : « Il ne faut pas que les gens pensent que c’est le Saint Graal au niveau des solutions, qu’on va continuer à surconsommer tout, y compris les voyages, et acheter des crédits carbone pour se donner bonne conscience. »

Daniel, lui, a diminué son nombre de vols de cinq ou six à un ou deux par an, mange très peu de viande et n’utilise sa voiture que pour sortir de la ville. Il fait la promotion des crédits carbone autour de lui, mais reconnaît qu’il existe un certain cynisme autour du sujet, à cause de projets frauduleux qui ont fait les manchettes.

Bons et moins bons crédits

Le magazine Protégez-Vous s’est penché sur la question en 2020 et a passé au crible 11 organismes de compensation carbone.

Les spécialistes de l’environnement ne sont pas enthousiasmé.e.s par ce marché.

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Parmi ses critères, on trouve notamment la notion de permanence, pour s’assurer que l’impact du projet soit irréversible. C’est le talon d’Achille des arbres, qui mettent des décennies à capturer la quantité de carbone voulue, mais peuvent mourir de maladie ou brûler en cours de route, libérant le gaz dans l’air. (Carbone boréal, par exemple, répond que 30 % de ses arbres ne sont pas attribués, afin de garder une marge de sécurité si certains sont détruits).

Autres critères : pouvoir faire certifier les projets par des entités externes, prouver qu’ils n’auraient pas vu le jour sans ce programme et s’assurer que le même crédit n’est pas vendu à plusieurs acheteurs. Le magazine a aussi valorisé la transparence et l’aspect éducatif du site internet.

C’est l’organisme Planetair qui en est ressorti le mieux noté. Ses projets d’efficacité énergétique ou d’énergies renouvelables sont certifiés par l’organisme Gold Standard, ce que de plus en plus de gens recherchent afin d’éviter les « protocoles maison », indique le PDG Marc Paquin.

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Responsabilité climatique

Malgré ça, les spécialistes de l’environnement ne sont pas enthousiasmé.e.s par ce marché. Non seulement parce que les crédits devraient être un dernier recours, mais aussi parce que même les certifications ont leurs faiblesses, note Anne Siemons, la chercheuse allemande. Plusieurs organisations sont d’ailleurs récemment apparues pour améliorer la gouvernance du marché.

Le prix relativement bas risque aussi d’envoyer le mauvais message. Compenser un aller-retour Montréal-Paris avec le portefeuille « mondial » de Planetair coûte moins de 50 $, ou 13 arbres (environ 60 $) chez Carbone boréal. Pas de quoi remettre le voyage en question.

Aujourd’hui, on commence plutôt à parler de responsabilité climatique, selon Anne. Le concept est « de se détacher de l’idée qu’on peut compenser nos émissions » tonne par tonne et de contribuer plutôt financièrement à des projets, après avoir calculé le réel coût de notre impact. Et dans ce cadre, les chercheurs et chercheuses mettent le prix du CO2 beaucoup, beaucoup plus haut.

Vous voilà prévenue.s. Bon été quand même !

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