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Il est loin le temps où on courait avec un tee-shirt USEP 3000 hérité du Cross de CM2 et un short de basket piqué dans les armoires de famille, servant initialement d’outfit pour passer la tondeuse. Aujourd’hui, le fancy s’invite sur les parcours de course à pied, du 10 km au marathon de New-York en passant même par les Foulées de nos bleds de France. Et qu’on soit joggeur du dimanche ou “runneur.se” de compétition, ce phénomène traduit un changement sociétal dans la pratique sportive de la course. Chaussez vos plus belles baskets avec semelle carbone et amorti mousse, on décrypte ça ensemble.
Paillettes sur le nez comme en festoche, short qui affute, et chaussures stylax : depuis que j’ai intégré la commu des coureurs pour préparer mon premier semi-marathon (comme approximativement 90% des habitants d’Île-de-France autour de la trentaine, je sais), j’ai bien remarqué que participer à une course impliquait d’être certes sportif.ve mais aussi stylé.e pour pas mal de gens. Et je vais pas vous mentir : en prévision de mes prochains 21,1km, j’ai moi aussi prévu mon outfit de compèt, un mélange équilibré entre praticité et esthétchisme. Et ptet même que j’ai assorti mes baskets à mes chaussettes, eh ouais. Mais suis-je un pur produit des standards de beauté actuels qui se déploient dans le running ? Y a des chances, flûte alors ! En tout cas, la question mérite d’être posée, mais surtout répondue.
Pour Olivier Bessy, sociologue du sport et du tourisme spécialisé en course à pied et lui-même coureur, “l’esthétisation de la course à pied est liée à l’esthétisation de notre société d’une manière générale”. D’après lui, “on cherche à se présenter le mieux possible sur la scène de la vie sociale, donc sur les scènes sportives et donc sur les scènes de course à pied. Les tenues participent à la mise en spectacle de soi qui est une caractéristique de notre hyper-modernité”.
Strava is the new Skyblog
Cette tendance à la mise en avant et au top-modélisme – j’ai totalement inventé ce terme – sur les courses à pied va de pair (de chaussures) avec les nouvelles normes sportives : montrer ses perfs et exploits. Parce que oui, au fond, on est tous des gros.ses prouveur.ses, et encore plus quand on est en quête de kudos sur Strava, cette appli de tracking sportif bien connue de mes coureur.ses sûr.es. Guilty, passez-moi les menottes. “Les réseaux sociaux, internet et les applis sont inscrits dans notre société et nos modes de fonctionnement, explique Olivier Bessy. Ils accompagnent l’activité course à pied dans le fait qu’on puisse en parler avant, pendant, après, avec un selfie devant l’Arc de Triomphe lorsqu’on fait le marathon de Paris… Tout ça contribue énormément à la mise en spectacle de soi. Plus l’événement a de la notoriété et est reconnu, plus les profits symboliques de le terminer sont forts et plus le nombre de posts est important.” Et pas question de porter une tenue de plouc pour arborer fièrement sa médaille de finisher sur son post Insta, accompagné de sa légende “Mentalité Kaïzen”.
La nouvelle implication des réseaux sociaux dans la pratique de la course à pied a en parallèle largement contribué à l’explosion du nombre de clubs de runnings informels et de leurs inscrits. Faites pas genre, vous aussi, vous les avez vus passer les reels Instagram qui vous invitent à courir un 5km pour bouffer des parts de flan à l’arrivée et surtout les TikTok qui vantent les mérites du running pour ses coureurs bg. C’est d’ailleurs grâce à l’émergence de ces clubs fondés sur les réseaux et les applis que Strava est depuis quelques mois qualifié de “Tinder des sportifs”. Et c’est aussi comme ça qu’on voit désormais des tutos “Comment être beau.lle en courant” et autre inspi “makeup pour un marathon” cumuler des milliers de vues sur les réseaux.
Courir est devenu le nouveau cool, loin de l’image un peu looseuse du jogging du dimanche matin en gros survêt (brûlez-moi cette tenue décontractée que je ne saurais voir). Il n’y a qu’à mater comment les dossards s’arrachent au point de devoir créer des listes d’attente de participants pour certaines courses. Au-delà des réseaux, le renouveau du running s’est aussi fait grâce aux 20-35 ans. Selon Olivier Bessy, “les jeunes cherchent dans la course à pied un moyen de se construire leur propre identité dans une société un peu délitée.” Et l’utilisation des réseaux dans la pratique de la course, tout comme les récents clubs de running, permettent ainsi “le partage avec les autres et l’appartenance à une communauté. Et cette communauté n’est pas insensible non plus à l’esthétique. Parfois même, on s’habille tous pareil pour montrer qu’on fait partie d’un club.” Coiffure tirée aux quatre épingles, lunettes arc-en-ciel de vitesse et veste d’hydratation qui matche avec les pompes sont donc aussi un signe de reconnaissance entre adeptes des RP et des tests VMA.
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La confiance en soi porte des chaussures qui courent vite
Sur CNN, Intisar Abdul-Kader, multimarathonienne, expliquait voir le port de maquillage comme ”une façon d’être fière de participer à une course préparée pendant des mois”. “Je ne vais pas y aller en n’étant pas au top”, souligne-t-elle. Se sentir bien et avoir l’air bien, ça passe autant par l’intérieur que par l’extérieur.” Car au-delà de la question de l’apparence et du nombre de likes sur sa story “Run du soir, bonsoir”, soigner son image en course à pied est également une histoire de confiance en soi. Comment s’imaginer éclater le record marathon d’Eliud Kipchoge si on porte une tenue dans laquelle on se sent comme en terminale B sur le 3x500m au baccalauréat, hein ? Je vous le demande ! “Moi, j’ai pas envie d’aller courir avec un short vilain ! Je pense que c’est aussi lié à la façon dont on se représente le vêtement dans la vie de tous les jours, explique encore le sociologue du sport Olivier Bessy. La confiance en soi est multifactorielle : c’est l’éducation qu’on a reçu, le niveau d’entraînement qu’on a, mais aussi l’équipement qu’on va utiliser”, qui nous rassure ainsi indirectement sur nos capacités sportives et nos chances de succès.
Je vous l’accorde : se maquiller et porter une tenue sophistiquée pour aller courir semble paradoxal sachant qu’après un run, on finit généralement aussi luisant qu’une plaquette de beurre oubliée au soleil (ça m’arrive tout le temps perso), avec plus d’auréoles sur le tee-shirt que tous les saints de la Bible réunis. “0n peut être taxé d’esclave d’une norme esthétique, mais on peut aussi considérer que dans une juste mesure, bien s’habiller permet d’être bien dans son corps, de donner davantage confiance, conclut Olivier Bessy. C’est une question d’équilibre : on n’échappera pas au dictat des canons corporels, mais le plus important, c’est se sentir bien et en confiance. Et si aujourd’hui les gens participent autant à la course à pied, c’est qu’ils ont le sentiment que la course à pied a changé son image et qu’ils vont pouvoir améliorer leur propre image dans la course à pied.” À 50 balles le dossard pour un 10km (si vous savez, vous savez…), y a de quoi avoir envie d’être potable sur les photos et de se sentir à l’aise dans ses baskets (de running).