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Pourquoi tous les réseaux sociaux commencent à se ressembler

C'est l'histoire de YouTube qui devient TikTok qui devient Instagram qui devient OnlyFans.

Par
Malia Kounkou
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Ces derniers temps, naviguer sur Instagram revient à régulièrement se demander : ai-je accidentellement cliqué sur TikTok ? À chaque nouvelle mise à jour — comme celle des reels vidéos, ou du fil d’accueil envahi de suggestions algorithmiques —, les frontières entre les deux médias sociaux s’affinent un peu plus. Et la dernière modification en date ne fait que confirmer ce virage progressif; désormais, au lieu de l’habituel affichage carré sur les profils d’utilisateur.trice.s, toutes les publications sont présentées à la verticale. Une esthétique qui incite à plus de publications vidéo et qui fait surtout écho à l’interface de TikTok.

Depuis la fin du fil chronologique, les changements sur Instagram font régulièrement grincer des dents. Cette dernière mise à jour n’a pas été une exception. Une pétition pour « Faire qu’Instagram [soit] encore Instagram » a même été lancée par la photographe américaine Tati Bruening et comptabilise à ce jour près de 200 000 signatures — dont celles de Kylie Jenner et Kim Kardashian, rien de moins. L’influenceuse postera une autre publication revendiquant ce même retour aux sources et réunira cette fois-ci plus de deux millions de likes.

Tour à tour, les réseaux sociaux piochent donc ce qui semble fonctionner chez le voisin et le mettent en place sur leurs propres interfaces.

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Toutefois, les émulations entre réseaux sociaux voisins ne datent pas d’hier. TikTok, autrefois roi de la brièveté, a pris quelques pages dans le manuel de YouTube en permettant désormais des vidéos de dix minutes. YouTube s’est à son tour inspiré de TikTok en proposant de courts formats verticaux nommés YouTube Short. Les stories autrefois uniques à Snapchat ont été consécutivement copiées par Instagram, Facebook, Twitter et même LinkedIn. Tour à tour, les réseaux sociaux piochent donc ce qui semble fonctionner chez le voisin et le mettent en place sur leurs propres interfaces, au risque d’en trahir leur essence première.

Afin de comprendre ce phénomène à la racine, nous nous sommes entretenus avec Camille Alloing, professeur en relations publiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et expert en réseaux sociaux.

D’un usage unique à un usage plateforme

Au commencement, la simplicité. Lorsqu’est fondé en 1997 le tout premier réseau social numérique, SixDegrees, il n’offre à ses adeptes qu’une seule fonctionnalité : se construire une toile sociale à l’aide de leurs cercles amicaux et familiaux. Suivront ensuite d’autres sites web à visée interactive qui, tout comme SixDegrees, auront chacun une particularité bien précise. « Facebook, c’était l’idée de se mettre en valeur par son réseau, Twitter, c’était vraiment la micromessagerie, Reddit, c’était un forum avec un concept de conversation, MySpace, c’était la musique, YouTube, c’était les vidéos », énumère ainsi Camille Alloing.

« Ça porte bien son nom, une plateforme. On est censé ne pas en sortir et avoir tout sur place. »

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Aujourd’hui, tout se mélange allègrement. Un peu de Twitch peut se retrouver sur YouTube tandis que Twitter et Instagram zieutent par-dessus l’épaule d’OnlyFans. Ce basculement d’un site à usage unique vers une sorte de buffet à volonté, Camille Alloing l’explique par le côté plateforme des réseaux sociaux actuels. « Ça porte bien son nom, une plateforme, dit-il. On est censé ne pas en sortir et avoir tout sur place. Quand je vais sur Facebook, je suis censé pouvoir écouter de la musique, acheter, regarder des vidéos, converser. Tout ce que je peux faire ailleurs sans avoir besoin d’en sortir. »

Le but ultime est donc de retenir l’usager ou l’usagère le plus longtemps possible en concentrant tout ce dont il ou elle pourrait avoir besoin en un seul et même espace. Et pour ce faire, on change l’algorithme interne afin de proposer du contenu non plus voulu, mais suggéré par la somme des données personnelles de la personne inscrite. En fin de compte, tout le monde semble gagnant : l’internaute qui consomme ce que le réseau social lui renvoie en miroir et ledit réseau qui, grâce au temps d’utilisation prolongé de ses usagers et usagères, gagne d’importants revenus publicitaires.

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Une formule tout-en-un

Pour qu’une plateforme soit tout ce qu’un utilisateur ou une utilisatrice désire, il ou elle devra y retrouver un environnement similaire à ses autres applications préférées. Ainsi, en cas de basculement d’une interface à l’autre, il n’y aura aucun dépaysement. « Parce que si vous êtes perdu, vous n’allez pas vouloir revenir et rester, élabore Camille Alloing. L’objectif de ces plateformes, c’est d’être dans un endroit où vous vous repérez et dans lequel vous pouvez très rapidement développer des usages de routine pour arriver à rester. »

ET FACE À CE MIMÉTISME, NOUS POURRIONS NOUS DEMANDER : QU’EST-CE QUI DISTINGUE ENCORE UN RÉSEAU SOCIAL D’UN AUTRE, DE NOS JOURS?

Cette logique de fidélisation via effet de familiarité sera observée par Instagram, par exemple, lorsque l’application empruntera à Snapchat son concept de stories. Idem pour tous les autres réseaux sociaux qui, après avoir observé le succès des mots-clés sur Twitter, s’approprieront cet outil. En copiant un outil qui a déjà fait ses preuves — et dont ils n’auront pas à essuyer les coûts d’usage et risques d’échec liés à sa toute première mise en place — les réseaux sociaux comptent aussi sur la venue d’un public déjà accoutumé aux fonctionnalités qu’ils intègrent. Ils espèrent ainsi la répétition de son succès sur ses interfaces, car, tel que le souligne Camille Alloing, « les personnes qui savent faire des vidéos verticales sur TikTok pourront le refaire sur Instagram, sur Facebook ».

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La formule n’est pas infaillible, toutefois, et un succès observé chez quelqu’un d’autre peut donner différents résultats chez soi. Twitter en a malheureusement fait les frais en discontinuant ses stories Fleets moins d’un an après leur inauguration par manque d’intérêt de sa communauté.

La poule et l’œuf

Et face à ce mimétisme, nous pourrions nous demander : qu’est-ce qui distingue encore un réseau social d’un autre, de nos jours ? En 2020, la journaliste Arielle Pardes résumait déjà cette confusion croissante dans le média Wired. « La copie sur les réseaux sociaux a conduit à des plateformes qui se ressemblent étrangement, avec moins de choses qui les distinguent, écrit-elle à ce sujet. Il est plus difficile de savoir à quoi sert une plateforme donnée quand elles font toutes la même chose. Quelle plateforme principale dispose d’un fil d’actualité, de messages qui disparaissent, d’une messagerie privée et d’une fonction de diffusion en direct? Ce serait… toutes. »

Se pourrait-il donc que nos propres usages dont s’inspirent justement ces changements si critiqués soient à l’origine de notre désagrément ?

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Mais selon Camille Alloing, la voie du changement n’empêche pas le maintien d’une identité fondamentale. « Peu importe le nombre de fonctionnalités de ces plateformes, peu importe si elles font du mimétisme, elles restent quand même dans leur objectif premier et toute nouvelle convention, nouvelle fonctionnalité, nouveau design va être intégré autour de cette fonction centrale », soutient-il. Cette position est aussi partagée par le patron d’Instagram, Adam Mosseri. Face à la vague de protestation provoquée par les dernières mises à jour du site, il partagera un communiqué sur Twitter réaffirmant la photo comme « une partie de l’héritage [d’Instagram] » qui ne sera pas mise de côté.

« Cela dit, j’ai besoin d’être honnête : je crois qu’Instagram est en train de devenir de plus en plus vidéo. Nous le voyons même en ne changeant rien », ajoutera-t-il juste après en expliquant que de plus en plus de contenus aimés, partagés et publiés organiquement sont des contenus vidéos.

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Se pourrait-il donc que nos propres usages dont s’inspirent ces changements si critiqués soient à l’origine de notre désagrément? En d’autres termes : nous énervons-nous contre nous-mêmes? Après tout, pour garder ses utilisateurs et utilisatrices, un réseau social a tout intérêt à déceler, voire prévoir, les besoins et envies de ses usagers et usagères — ce qui explique autant les recommandations algorithmiques que le retour tant attendu du fil chronologique sur Instagram. Alors, si tous les réseaux proposent désormais la même chose, qui est finalement à blâmer?