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Pourquoi méprise-t-on autant la culture pop ?
« Mais dans le fond… est-ce qu’on s’en ficherait par un peu ? » Voici la question que je vois très souvent revenir dès qu’un sujet de culture pop est abordé de près ou de loin. Qu’il s’agisse d’une péripétie d’une émission de téléréalité ou bien du divorce de Kim Kardashian et Kanye West, la réponse est encore et toujours la même : circulez, ça n’intéresse personne !
Richard Mémeteau avait raison en comparant la culture pop à « un ogre qui ingère tout ce qu’il trouve ».
Pourtant, le propre même de la culture pop est d’être partagée par le plus grand nombre. Si l’on décompose le mot (« culture » et « populaire »), on retrouve ce que Ray Browne définissait dans son essai Folklore to Populore comme « les aspects des attitudes, des comportements, des croyances, des coutumes et des goûts qui définissent les personnes de toute société ». Pensez Squid Game et vous y êtes.
C’est une culture facile d’accès, car elle fait feu de tout bois, puisant dans ce qui est à portée de main pour constamment se réinventer. Lorsque Peaches Monroee, de son vrai nom Kayla Newman, prononçait « on fleek » dans un Vine de six secondes datant de 2014, elle était loin de se douter que ces deux mots désigneraient encore aujourd’hui une chose impeccable. De même pour le célèbre « Vous… ne passerez… pas ! » de Gandalf, qui a été détourné et parodié plus de fois qu’il n’en faut depuis la sortie du Seigneur des Anneaux. Finalement, Richard Mémeteau avait raison en comparant la culture pop à « un ogre qui ingère tout ce qu’il trouve » dans Pop-culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités (2014).
À mon sens, l’enjeu ne se situe pas sur le plan de ce qui se vaut ou non, mais plutôt du gatekeeping fait sur un terrain que tout le monde a le droit d’occuper.
C’est une culture dont la transmission est également facile. Il ne faut qu’une connexion Internet pour se rendre sur YouTube, consulter TikTok ou explorer les recoins d’Instagram à la recherche du clip vidéo à l’origine de la nouvelle expression qui semble être sur toutes les lèvres. Ou encore de la nouvelle inside joke que tout le monde partage. C’est une mouvance populaire dont les codes sont accessibles à tous et toutes et qui s’oppose à une culture dite « savante » et supposément détentrice du « bon goût » bien qu’intrinsèquement basée sur l’exclusion de la majorité, tel que l’explique le sociologue français Pierre Bourdieu.
Une sélectivité populaire
Fait étrange : il semble malgré tout exister une subtile hiérarchie au sein de la culture pop. Un t-shirt des Ramones ne peut plus, par exemple, être porté en public sans qu’il nous soit demandé de réciter leurs 14 albums studio par ordre de sortie. Et ne parlons pas des puristes des mangas, que la vague de nouveaux fans apportés par Netflix affole. Au sein d’une même culture vendue comme ouverte à tous et toutes, certaines choses s’avèrent manifestement bien plus sacrées que d’autres. Hélas, tout ceci ne fait que reproduire le même schéma de domination exercé depuis toujours par la culture d’élite et sélective sur celle plus large et populaire.
il est souvent plus judicieux d’aborder un thème lourd en commençant par son côté plus léger et anecdotique.
Souvent, on entend comme contre-argument : « Oui, certes, mais tout ne se vaut pas. » À mon sens, l’enjeu ne se situe pas sur le plan de ce qui se vaut ou non, mais plutôt du gatekeeping fait sur un terrain que tout le monde a le droit d’occuper. Car finalement, et en dépit de nos jugements de valeur, personne ne sait pour qui ce terrain sera le plus fertile.
Lorsqu’en 2013, le rappeur suédois Yung Lean sortait des rimes vaporeuses et improbables dans des clips tout droit sortis d’un bug sous Windows 99, personne ne pouvait prédire qu’il dicterait les codes de toute une génération de rappeurs américains, dont Playboy Carti et Yeat sont les actuels ambassadeurs.
Un reflet de nous-mêmes
À mes yeux, cependant, la culture pop est un bon miroir de notre société. Par l’analyse des réactions aux événements ou aux produits culturels qui dominent les tendances changeantes, il est possible d’amorcer des discussions intéressantes qui dépassent même le cadre du média de départ. Pour revenir par exemple à Squid Game, le succès de la série a engendré de nombreuses réflexions nécessaires sur la normalisation de la violence sur nos écrans ainsi que notre capacité de plus en plus élevée à la tolérer.
Ce sont des questionnements qui, contrairement aux accusations récurrentes, nous permettent de ne pas tout consommer de façon passive. C’est aussi une conversation qui n’aurait peut-être pas eu l’écho qu’elle a eu sans cette brèche causée par la culture pop. Tout comme La Fontaine utilisait des fables pour faire passer une morale substantielle derrière, il est souvent plus judicieux d’aborder un thème lourd en commençant par son côté plus léger et anecdotique.
Il y a chez les célébrités une inaccessibilité sociale que les petits et grands tracas de la vie relayés par les tabloïds humanisent et rendent plus proches.
Une seconde critique récurrente porte sur la supposée inutilité de la culture pop de par ses sujets jugés triviaux. Là encore, je vois dans cette culture un miroir qui, cette fois-ci, nous aide à nous voir nous-mêmes. Et cela fait souvent du bien de retrouver son propre reflet dans le quotidien d’une célébrité.
Il peut effectivement être important pour une personne consommant des drogues en secret d’entendre l’artiste Demi Lovato parler publiquement de ses problèmes de dépendance. Dans un autre registre, une personne complexée par les corps « parfaits » mis en avant sur Instagram pourrait être soulagée d’entendre Bella Hadid confesser publiquement ses opérations de chirurgie esthétique. Il y a chez les célébrités une inaccessibilité sociale que les petits et grands tracas de la vie relayés par les tabloïds humanisent et rendent plus proches. Et cette proximité aidera au moins une personne à se sentir moins seule.
Un divertissement inoffensif
En essence, la culture pop est un divertissement. Une bouffée d’air frais. Une sucrerie de type barbe à papa; c’est volumineux en taille, minuscule en apport nutritionnel, mais plaisant durant ses cinq minutes de dégustation. On en consomme même s’il est fort probable que cela ne nous apporte rien de consistant. Et c’est là tout l’intérêt. Peut-être projette-t-on trop de sérieux sur un concept qui n’a jamais eu vocation à l’être. Peut-être que certaines choses n’ont pas pour but d’être systématiquement intellectualisées.
il est vrai qu’en rire trente secondes ne changera ni notre situation actuelle ni la face du monde.
Surtout dans un contexte où notre cerveau et nos émotions sont constamment sollicités, sans aucun répit. En ce sens, il n’est pas anodin que les productions de mèmes atteignent leurs pics durant des contextes stressants, voire toute bonnement tragiques. On l’a bien vu durant la COVID, qui, rien qu’à sa première année, a fait bondir le taux mondial de personnes atteintes d’anxiété et de dépression de 25 % selon l’Organisation mondiale de la Santé, ou encore à la suite du rapport du GIEC qui est venu confirmer toutes nos inquiétudes.
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Ces mèmes, pour la plupart, s’appuient sur des éléments de culture pop. Pour presque entendre cette image d’Oprah Winfrey, il faut par exemple regarder la fameuse vidéo où elle offre une voiture à toutes les personnes présentes sur son plateau, presque prise dans un état de transe. Cela aide non seulement à lire les écrits du mème dans l’intonation certainement voulue par son auteur ou autrice, mais aussi d’en comprendre pleinement l’humour derrière.
Et oui, il est vrai qu’en rire trente secondes ne changera ni notre situation actuelle ni la face du monde. Toutefois, le temps d’un petit instant, les cieux de notre réalité s’en seront trouvés un peu plus éclaircis.