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Pourquoi les mèmes sur la Troisième Guerre mondiale sont-ils bons pour nous?
D’un côté, les États-Unis. De l’autre, l’Iran. Entre les deux, des internautes aussi drôles qu’anxieux propulsant une quantité phénoménale de mèmes au sujet d’une Troisième Guerre mondiale.
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Ça a pris combien de temps avant que le Web déborde de jokes sur la conscription et la #WW3, après l’assassinat de Qasem Soleimani commandé par Donald Trump? Deux minutes et demi? Que doit-on penser de cet élan d’humour et de cynisme? Et, surtout, comment rester mentalement sain devant ce flot incessant de petites apocalypses dans nos feeds?
Voici de quoi vous faire une idée.
Sommes-nous créatifs ou juste insensibles?
Dans cet éloquent éditorial du Teen Vogue, Sara Li avance l’hypothèse que si nous rions autant de la crise américo-iranienne, c’est que nous sommes insensibles aux souffrances des peuples du Moyen-Orient. En la lisant, on peut effectivement se demander si nous aurions le réflexe de nous réfugier dans l’humour si c’est sur notre propre terrain que se déroulait depuis des décennies un lourd conflit.
Nos blagues sont-elles pour autant le reflet d’un manque d’empathie ou d’un tout nouveau sommet de cynisme collectif? Pas selon le psychologue Nicolas Chevrier.
«Comment peut-on réagir à des situations internationales comme celle-là? On sent qu’on a peu de contrôle et les moyens de contrôle qu’on a habituellement – par exemple “faire confiance à la rationalité de nos dirigeants” –, ils ne fonctionnent même plus!»
« Comment peut-on réagir à des situations internationales comme celle-là? On sent qu’on a peu de contrôle et les moyens de contrôle qu’on a habituellement – par exemple “faire confiance à la rationalité de nos dirigeants” –, ils ne fonctionnent même plus! Tout ça génère une certaine anxiété et c’est compréhensible que pour la gérer, on ait recours à l’humour. »
En fait, l’humour est une stratégie de gestion du stress particulièrement efficace dans le cas qui nous concerne, m’explique-t-il : « Quand on n’a pas de contrôle sur une situation, on peut la vivre avec beaucoup d’anxiété ou alors se construire un narratif moins terrible que celui qui nous est offert. En le reconstruisant avec des éléments humoristiques, on va créer un effet positif sur soi, notamment une baisse de détresse émotionnelle. Et ce que les recherches disent, c’est que plus les situations sont horribles, illogiques, incontrôlables et absurdes, plus on a besoin d’humour pour les tempérer, quand on les intègre dans notre vie. »
Ainsi, selon le psychologue, bien que cet humour de guerre puisse paraître choquant, il demeure très sain! Or si les blagues qui deviennent virales sont généralement sans malice et offrent un apaisement véritable aux masses, il faut garder en tête que ce courant rassemble aussi des groupuscules qui entendent moins à rire.
Le nihilisme incarné
« Dans It Came From Something Awful, l’auteur Dale Beran illustre que les communautés sur le Web ont commencé à se former dans les années 90, moment historique marqué par une génération nihiliste carburant au rejet du consumérisme et à la musique grunge », m’explique Jean-Michel Berthiaume (doctorant en sémiologie et coordonnateur du labo de recherche Pop-En-Stock sur la culture populaire à l’UQAM).
Faut-il remonter si loin pour comprendre les mèmes de Troisième Guerre mondiale? Peut-être bien.
«Sur le Web, les gens se regroupent pour la première fois non pas par proximité géographique, mais par intérêt. Les laissés pour compte trouvent donc un lieu pour échanger et c’est cette communauté qui s’est retrouvée sur Something Awful, proto 4Chan dans lequel les usagers tentaient de surperformer leur nihilisme.»
Le chercheur poursuit : « Sur le Web, les gens se regroupent pour la première fois non pas par proximité géographique, mais par intérêt. Les laissés pour compte trouvent donc un lieu pour échanger et c’est cette communauté qui s’est retrouvée sur Something Awful, proto 4Chan dans lequel les usagers tentaient de surperformer leur nihilisme. La course vers le bas de cette communauté s’est transformée au fil des ans. Des factions politisées ont fondé Anonymous, d’autres sont devenues #Gamergate et plus récemment les Incels et les Proud Boys. En ce qui à trait à la Troisième Guerre mondiale, la communauté concernée s’appelle les Doomers, une forme de pied de nez aux Boomers qui, à leurs dires, ont pavé la route vers les conflits que nous vivons actuellement. Les Doomers sont une extension nihiliste du web, un retour aux origines de ces communautés des années 90. »
Se trouve donc aussi derrière ces innocentes blagues une faction plus radicale, une faction désenchantée par le système politique et économique actuel. Or, rire de bon cœur devant une image qui fait le pont entre le ghosting et la Troisième Guerre mondiale ne veut pas nécessairement dire qu’on adhère à ce groupe. En fait, le mème jouit plutôt d’une telle popularité parce qu’il s’agit d’un contenu amusant, mais aussi particulièrement digeste.
Toujours selon Jean-Michel Berthiaume: «Un mème, c’est une unité d’information simple à consulter, mais qui regorge d’informations. Par exemple, décrire correctement tous les évènements qui ont mené à une potentielle Troisième Guerre mondiale serait long et plongerait l’internaute moyen dans un TL: DR catatonique. Le mème reste une manière d’expliquer, sans toutefois ennuyer. Par exemple, j’aime beaucoup que les memes de WW3 ironisent actuellement sur la coïncidence entre la frappe états-unienne et le statut instable du pouvoir américain à la suite du processus de destitution. Les mèmes sont là pour nous faire réfléchir à la synchronisation de ces évènements et nous permettre d’entrevoir quelques lignes de force en jeu. Ils peuvent aussi, comme l’illustre l’exemple suivant (quoiqu’ironiquement), nous rassurer en nous montrant que l’histoire est cyclique, et qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. »
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S’apaiser l’anxiété 101
Maintenant, que faire si les mèmes humoristiques ne suffisent pas pour nous apaiser? Ou si, au contraire, ils nous enrichissent l’anxiété? Le psychologue Nicolas Chevrier nous encourage alors à déconnecter. Pas besoin de mettre notre modem aux vidanges, il s’agit plutôt d’essayer de doser le flot d’informations qu’on ingère, de s’informer de manière responsable.
« Deuxième élément important : déterminer la forme de nos pensées, poursuit-il. Est-on en mode résolution de problème ou rumination? Ruminer, ça veut dire tourner en boucle les mêmes idées sans avoir d’élément nouveau. Résoudre des problèmes, c’est plutôt une stratégie cognitive pour mettre en place un plan d’action qui va nous permettre un certain contrôle. Par exemple, toi, tu écris un article sur le sujet pour y voir un peu plus clair. C’est super! Par contre, il faut rester réaliste par rapport à notre pourcentage de contrôle dans ces grandes situations… »
Oui, parce que bon, ce n’est certainement pas cet article qui va enrayer une potentielle Troisième Guerre mondiale, hein! Par contre, il est vrai que tenter de mieux comprendre un phénomène qui y est rattaché m’empêche de juste binger tout ce qui me tombe sous la main en pleine torpeur.
«Résoudre des problèmes, c’est plutôt une stratégie cognitive pour mettre en place un plan d’action qui va nous permettre un certain contrôle. Par exemple, toi, tu écris un article sur le sujet pour y voir un peu plus clair.»
Pour vrai, je me sens un peu mieux. Et pas besoin d’être chroniqueur.euse pour trouver un semblant de contrôle. On peut aussi militer, donner, faire circuler de l’information juste et vérifiée, éveiller des consciences autour de soi ou alors créer LE parfait mème qui allierait enfin humour et empathie pour les peuples réellement concernés…
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