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Pourquoi les livres français ont des couvertures si sobres ?

Entre vieil héritage et marketing, la question est posée.

Par
Hanneli Victoire
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Très peu créatives, les couvertures de la littérature française répondent à des codes traditionnels, jusqu’alors peu remis en question. Avec l’influence du marketing anglo-saxon ces normes sont en train d’être dépoussiérées par des maisons d’édition et des auteurs en quête de modernité.

Un héritage franco-français

Lorsque l’on rentre dans une librairie anglophone, le constat est saisissant. Les couvertures ultra-contemporaines, parfaitement dans les codes “aesthetic” du moment, sont légion. À côté, la littérature française fait pâle figure, avec des éditeurs aux chartes graphiques ultra-normées, héritières du “chic St-Germain des Prés”, mais très peu créatives. Ces normes s’appliquent majoritairement au genre que l’on appelle la “littérature blanche”, c’est-à-dire la littérature contemporaine générale, qui se distingue du polar, de la romance, de la fantasy ou de la jeunesse, appelée ainsi en référence justement à ses couvertures blanches pour la plupart des maisons.

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D’après Paloma Grossi, éditrice aux éditions Stock : “En France, le prestige d’un auteur est associé à celui de la maison d’édition dans laquelle il est publié, du coup, les couvertures sont reconnaissables en fonction des maisons. Aux États-Unis, c’est l’opposé, souvent, tu n’as pas le nom de l’éditeur sur la couverture. Elle cite comme exemple la couverture écrue de Gallimard, celle jaune citron de Grasset ou encore la bleue de Stock, autant de codes graphiques qui assurent aux maisons d’édition la cohérence de leur collection. “ En France, il y a un besoin de conserver cette spécificité et d’inscrire les livres en littérature, notamment en librairie, pour créer des espaces physiques dédiés à la littérature blanche, ce qui ne se fait pas dans d’autres pays où la hiérarchisation des genres littéraires est moins présente.

Des éditeurs qui se modernisent

Néanmoins, les éditeurs français ont bien compris l’enjeu de moderniser et dynamiser les ouvrages, et proposent de plus en plus de bandeaux ou de jaquettes détachables. Julia Bourdet, graphiste éditoriale qui travaille en indépendante depuis plusieurs années, constate la nécessité de s’adapter à l’air du temps “​​J’ai l’impression que les couvertures illustrées tendent à s’uniformiser entre les pays. Récemment, une couverture que j’avais réalisée pour la France a été achetée dans tous les pays où le livre allait être traduit, ce qui n’est pas le cas tout le temps. Souvent, chaque pays propose sa couverture en fonction du marché.”

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Avec les codes des réseaux sociaux, les maisons d’éditions sont bien obligées de s’adapter pour suivre le marché, conscientes qu’un beau visuel peut attirer des lecteur.ices là où le simple nom de l’auteur n’auraient pas fait d’effet. “Avec ces nouvelles tendances marketing sous influence anglo-saxonne, on a effectivement besoin de se distinguer de nos concurrents sur les tables” confirme Paloma Grossi. Car effectivement, il s’agit d’abord d’une question marketing, dans lequel l’auteur n’a pas forcément toujours voix au chapitre. “Ce sont souvent les commerciaux qui ont le dernier mot, et lorsque l’on est plus serré au niveau timing et budget, ils peuvent vite adopter des automatismes qui font que l’on va vers le choix le moins risqué, mais aussi le moins créatif” détaille Julia Bourdet.

Quand les auteurs s’imposent

Cependant, les processus ne sont pas fixés dans le marbre, et un auteur peut tout à fait prendre une part active dans la création de sa couverture. C’est le cas pour Christelle Bakima Poundza, autrice de l’essai Corps noirs : réflexions sur le mannequinat, la mode et les femmes noires, sorti l’année dernière aux éditions Les Insolentes. Pour elle, hors de question de travailler avec quelqu’un qu’on lui aurait imposé, elle a démarché en amont de son travail d’écriture sa directrice artistique, Marthe Nachtman. “Ma directrice artistique a 24 ans, elle est métisse et queer comme moi. C’était important que l’on puisse apporter notre vision du graphisme là où les gens comme nous en France ont peu de moyen de s’exprimer artistiquement.”

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Pour créer ce rapport de confiance, il faut du temps, ce que confirme également Julia Bourdet “Je suis bien plus à l’aise pour proposer quelque chose graphiquement quand j’ai lu le texte et échangé avec l’auteur.ice. Sans ce temps de connaissance nécessaire, on passe forcément à côté du texte et de ce qu’il représente”. Christelle Bakima Poundza en est persuadée, si les choses changent, c’est aussi parce que les maisons ont compris qu’une belle couverture sur une table remplie de livres uniformes peut vraiment faire la différence. “Dans le monde littéraire français, j’ai l’impression qu’ils ont parfois du mal à assumer que le livre est un produit que l’on vend. Avec ma graphiste, on a vraiment réfléchi pour savoir artistiquement ce qui allait donner envie aux gens, sans que cela soit séparé de ce dont je parle.” Si les codes bougent plus vite du côté des essais et autre genre qui ne sont pas la fameuse littérature blanche, le changement est définitivement en place.