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Pourquoi le port du voile reste omniprésent dans l’agenda politique ?
Le vote du texte par le Sénat – dominé par la droite – prohibant le port des « signes religieux ostensibles » dans les compétitions sportives montre une nouvelle fois les crispations qui existent autour du port du voile en France.
Les Hijabeuses ont remporté un nouveau bras de fer. « Les dernières 24 heures ont été extrêmement éprouvantes, il y a eu beaucoup de rebondissements », lâche sur Twitter Founé Diawara, coprésidente du collectif des footballeuses qui milite pour le droit à porter le voile lors des compétitions sportives. Pour ces joueuses, la semaine a été rude. Mardi soir, la préfecture de police de Paris interdit leur manifestation – prévue sous la forme d’un match retour – mercredi 9 février sur l’esplanade des Invalides. Dans la foulée, les Hijabeuses saisissent le tribunal administratif, mais en l’attente de sa décision, le rassemblement est annulé. Il faut attendre la fin de l’après-midi pour connaître le résultat : l’arrêté préfectoral est suspendu par le tribunal administratif en faveur des footballeuses. L’État doit leur verser 1 000 euros ainsi qu’à la Ligue des droits de l’Homme qui a aussi déposé un recours.
Pour comprendre la mobilisation de ce collectif – soutenu par de nombreux élus, sportifs ou militants – il est nécessaire de rembobiner la cassette. Le 19 janvier, les sénateurs votent un amendement interdisant le port “de signes religieux ostensibles” lors d’une compétition sportive. Une initiative aussitôt gommée par les députés. Les deux chambres n’ayant pu s’entendre sur un texte commun, l’amendement est de retour devant l’Assemblée nationale, en vue d’une adoption définitive le 24 février. Les députés auront le dernier mot. Porté par les Républicains, l’amendement est soutenu sans surprise par la candidate à l’élection présidentielle, Valérie Pécresse. « Je suis contre le port du hijab dans les compétitions sportives nationales et dans les clubs et les fédérations financées par l’argent public. Le sport, c’est l’émancipation, pas le communautarisme », écrit-elle sur Twitter le 30 janvier.
« C’est à la fois du sexisme et du racisme»
Face aux Républicains, la majorité présidentielle ne semble pas avoir envie de s’engouffrer dans un tel débat. « Si elles veulent jouer au foot en étant voilées, en quoi c’est impossible? (…) », a fait remarquer la ministre déléguée à l’Egalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno, invitée sur LCI. Du côté des Hijabeuses et de ses alliées, l’amendement des sénateurs est perçu comme un énième acte discriminant à l’égard des femmes voilées. « C’est à la fois du sexisme et du racisme. Nous savons que le football est un terrain émancipateur. Comment prétend-on donc “libérer” des femmes en leur interdisant l’accès aux terrains de sport ? Leur argumentaire tombe comme un château de cartes. On voit bien l’opportunisme politique qui se cache derrière une telle manœuvre », souligne Veronica Noseda, militante lesbienne aux Dégommeuses. Très vite, son discours glisse sur le contexte politique actuel marqué par « une droitisation extrême de l’échiquier politique ».
Pour Véronica Noseda, le texte porté par les sénateurs LR est clairement « une mesure sexiste et islamophobe pour faire du buzz. On tape sur les minorités pour gagner du consensus auprès de la partie plus réactionnaire de l’électorat. » Les Hijabeuses n’ont pas donné suite à notre demande d’entretien. Interrogé par URBANIA, Patrick Karam, vice-président à la région Ile-de-France (LR), justifie son soutien à l’amendement, brandissant le devoir de neutralité dans le sport : « Le port du voile dans les compétitions sportives porte atteinte à l’esprit initial des Jeux olympiques qui ont été pensés pour être un lieu préservé de toute influence extérieure. » Pourtant, la religion reste présente dans les démonstrations sportives. En témoigne, les nombreux athlètes qui font un signe de croix lorsqu’ils marquent un but. « Ce qui est intéressant, c’est de voir comment on tolère certaines démonstrations religieuses dans les manifestations sportives et pas d’autres (…) Quand il s’agit de femmes sportives voilées, on va même jusqu’à parler d’un risque de dérive communautaire. Il y a d’importantes confusions, avec en fond l’islamophobie », soutient Solène Froidevaux, sociologue et spécialiste des questions de genre et de sport à l’université de Lausanne.
Le port du voile autorisé par la Fifa en 2014
Selon la spécialiste, « c’est mettre des œillères que de dire que le sport serait par définition universel. Si on regarde l’histoire du mouvement olympique, on voit qu’il n’est pas exempt de racisme ou de sexisme, entre autres. » Prenons l’exemple du football : chaque fédération avance en ordre dispersé. En 2014, la Fédération sportive internationale du football (Fifa) autorise le port du voile, en justifiant du fait qu’il s’agit d’un signe « culturel » et non religieux. Dans la foulée, la Fédération française de football campe sur ses positions : elle n’autorisera pas de joueuses voilées en sélection nationale ou dans ses propres compétitions. Au-delà des terrains de sport, la question du voile revient souvent dans l’Hexagone. Et ce, pour plusieurs raisons rapporte Solène Froidevaux : « Le discours sur une potentielle islamisation de la société en Europe est malheureusement très prégnant dans ce contexte – un discours construit et raciste qui met en lien de manière erronée certains vêtements, une religion et des pratiques criminelles. »
Aux discours racistes cristallisés par le port du voile, s’ajoutent des justifications qui se veulent « féministes ». Une récupération politique largement reprise par les membres des Républicains : «J’ai parlé à des femmes voilées qui m’ont dit que c’était insupportable de courir sous le soleil. Si on accepte le port du voile, on met la pression sur les autres », martèle le bras droit de Valérie Pécresse, Patrick Karam. Même son de cloche du côté d’Eric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes : « Le voile est une prison pour les femmes, un objet de soumission et de négation des individus. » Le conseiller « autorité » de la candidate LR, a aussi appelé la majorité à rompre « avec l’esprit munichois ». Pourtant, l’amendement qu’il porte n’aura aucun autre effet que celui d’exclure les femmes voilées des terrains de sport et de restreindre leurs libertés. Leur interdire l’accès aux carrières sportives, n’est-ce pas plutôt se tirer une balle dans le pied ?
« Le corps des femmes continue à être scruté »
Selon les générations, la question divise aussi les mouvements féministes rappelle Solène Froidevaux : « Il y a, chez certaines féministes, l’idée que les droits des femmes passent par le fait de ne pas porter de voile et qu’il faudrait en quelque sorte aider celles qui le portent. » S’il est important de rappeler qu’aucune femme n’a besoin d’être sauvée, « ce type de féminisme prend peu en compte les dynamiques propres à certaines régions du monde. Les femmes qui portent le voile souhaitent participer aux compétitions (internationales) et c’est leur accès qu’il faut encourager, et non pas le débat récurrent sur le voile », indique la sociologue. En dehors des fantasmes véhiculés par ce qu’on appelait aussi « le foulard » dans notre société occidentale, c’est aussi le regard porté sur le corps des femmes qui pose question. « Dans le sport, le corps des femmes continue à être scruté. Par exemple, pourquoi les règlements imposent-ils aux joueuses de porter des shorts courts pour le beach-volley ? », s’interroge Solène Froidevaux.
Au-delà des compétitions sportives, certaines étudiantes se sont vues refuser de porter le voile lors d’un cours de sport. C’est ce qui est arrivé mi-janvier à l’Université Grenoble Alpes. Dans un long thread sur Twitter, une jeune femme décrit comment son professeur l’a sommé de retirer son voile lors d’un cours de badminton. L’enseignant aurait argumenté en lui disant qu’il s’agissait d’un « manque d’hygiène » et que le port du voile n’était pas compatible avec la pratique du sport. De son côté, l’université de Grenoble Alpes n’a pas voulu faire de commentaires. Pour rappel, le port du voile est autorisé dans les facultés et c’est à son président de trancher si le port du voile doit être interdit pour cause de sécurité ou d’hygiène. Laurine Chabal, vice-présidente en charge de la lutte contre les discriminations aux syndicats étudiants La Fage conclut : « L’université n’est pas hermétique, les discriminations religieuses sont en recrudescence à travers les médias et les discours politiques. La liberté de conscience passe souvent au second plan et la laïcité reste incomprise.»