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Pourquoi l’arrêté anti-mobilité d’Angoulême ne tient pas debout

Par
Oriane Olivier
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Le 12 juillet dernier, la municipalité d’Angoulême a pris un arrêté interdisant aux personnes de stationner “debouts, assises ou allongées” trop longtemps dans les rues de la ville. Son maire, Xavier Bonnefont, élu à l’époque sous l’étiquette UMP, avait déjà fait parler de lui en 2014 en installant des grillages autour des bancs publics pour éviter que des SDF n’y passent la nuit. Depuis, l’édile a vogué vers de nouveaux horizons politiques bien plus innovants mais tout aussi abjects, puisqu’il appartient désormais à la formation de centre droit La France Audacieuse.

https://twitter.com/JPguedas/status/1680476667184140288

Une France qui ose donc tellement tout qu’elle a fait de son cheval de bataille la lutte contre “l’occupation abusive de l’espace public”. Et c’est vrai que la misère a quand même meilleure allure quand on la planque sous le tapis. Précisons tout de même que le maire de la préfecture de la Charente n’est pas le premier à avoir tenté de chasser les sans-abris et les personnes désoeuvrées de sa commune. Ainsi, il rejoint le club très sélect’ des villes qui ont déjà pris des arrêtés similaires par le passé parmi lesquelles Boulogne-sur-mer, Bordeaux, Tarbes ou encore… Nice, dont le maire actuel, Christian Estrosi, est également l’un des membres fondateurs de La France Audacieuse. La boucle est bouclée… Toutefois, cet arrêté pourrait bien n’être qu’un effet de manche. On vous explique pourquoi.

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LA MENDICITÉ ET LE VAGABONDAGE NE SONT PAS DES DÉLITS

Depuis 1994 et la refonte du code pénal, la mendicité et le vagabondage sont des activités licites. En revanche, les troubles et nuisances évoqués par la municipalité pour justifier de leur décision (personnes alcoolisées sur la voie publique, entrave à la circulation, menace d’animaux dangereux…) constituent déjà des délits sanctionnés par la loi. L’argumentaire en faveur de cet arrêté semble donc fallacieux puisque les forces de l’ordre disposent depuis longtemps de tout l’arsenal législatif leur permettant de réprimer ces comportements. À moins que le véritable enjeu de cette mesure ne soit pas de protéger la population de soi-disant hordes de marginaux agressifs, mais bien de faire tout bonnement disparaître les sans-abris en pénalisant les personnes qui vivent dehors. Des personnes dont le seul moyen de subsistance est la solidarité des passant.es, et qui ont autre chose à faire que de mettre une alarme pour penser à changer régulièrement de trottoir avant de se prendre une prune…

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CAR IL FAUT QUE LA DÉCISION SOIT PROPORTIONNÉE

Ponctuellement, certaines communes sont autorisées à prendre des arrêtés de ce type. Mais pour ce faire, elles doivent justifier précisément des circonstances locales qui les mènent à cette décision. A savoir : un risque réel de trouble à l’ordre public. Or, la plupart du temps – et c’est visiblement le cas à nouveau dans cette affaire – les arguments invoqués sont ceux des témoignages de riverains agacés par la présence d’individus devant leur domicile, ou des commerçants, qui se plaignent de la fuite de leur clientèle.

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Toutefois, bien que créant parfois un sentiment très subjectif d’inconfort dans le voisinage, le simple stationnement de personnes sans domicile fixe n’est pas de nature à porter atteinte à la sécurité et la salubrité publique. Quant aux boutiques de petits chandails pour chiens et de bougies parfumées : les forces de l’ordre n’ont pas vocation à protéger leur chiffre d’affaires. Ce n’est pas leur mission. La majorité du temps, ces arrêtés sont donc tout simplement annulés par le tribunal administratif. Néanmoins, lorsque les autorités judiciaires reconnaissent que des attroupements de personnes sont susceptibles d’entraver la liberté d’aller et de venir des passants en période de forte affluence touristique comme lors des grandes vacances, il arrive qu’elles donnent raison aux municipalités.

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CAR ELLE N’EST PAS CIRCONSCRITE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE

Les interdictions générales et absolues sont parfaitement illégales. Pour être validés, ces arrêtés doivent donc être limités dans l’espace (certains lieux) et le temps (certaines périodes), en plus d’être justifiés par un risque réel de trouble à l’ordre public. En effet, empêcher ad vitam à des personnes de stationner dans l’espace public c’est contrevenir à la liberté de circulation des individus qui est fondamentale dans nos sociétés démocratiques.

Or, cet arrêté court sur une très longue période d’un an, et aurait pour objectif, d’après l’adjoint à la sécurité de la mairie qui n’est plus à une crasse près, de s’inscrire par la suite “dans la durée”. Il concerne également les “abords des immeubles et des commerces en activité, ainsi que les espaces publics tels que les squares, les jardins, cours, et tous les lieux accessibles à la circulation publique”. C’est-à-dire : PARTOUT. Cette décision piétine donc un droit inaliénable de la personne humaine, et a de fortes chances d’être annulée par le tribunal administratif.

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ALORS POURQUOI CET ARRÊTÉ ?

Depuis 1994, beaucoup de communes se sont cassées les dents en tentant de faire passer ce genre d’arrêtés, qui ont pour la plupart été annulés. La jurisprudence est du côté des associations de lutte contre la pauvreté, et Xavier Bonnefont est parfaitement au courant. D’ailleurs, un premier arrêté “anti-regroupement” pris par la ville en 2020 avait finalement été suspendu, après avoir été retoqué par la préfète de la Charente.

Alors pour quelle raison la municipalité a-t-elle décidé de forcer sur une décision administrative qui ne passera pas l’été ? Probablement pour conserver la loyauté de ses électeurs et électrices en se planquant derrière une décision de justice qui lui permet de se défausser de ses responsabilités. Car il est bien plus simple de remettre la faute sur le fonctionnement des institutions et le soi-disant laxisme de la justice, de dénoncer le méchant tribunal administratif qui empêche la police municipale de harceler quotidiennement les sans-abris, que de prendre de véritables mesures d’aide au logement et à la réinsertion sociale.

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