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Pourquoi la bisexualité dite masculine est-elle encore taboue ?

Entre injonction à la virilité, et biphobie, les hommes sont rares à afficher leur bisexualité.

Par
Hélène Porret
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Il y a un mois, j’ai découvert qu’un super-héros de l’écurie Marvel avait fait son coming-out sur sa bisexualité. Il s’agit de Star-Lord du comics Les Gardiens de la Galaxie. De quoi piquer ma curiosité. Il faut dire que les modèles d’hommes bisexuels ne sont pas fréquents notamment dans la pop culture. Je retiens le personnage de Darryl de Crazy Ex-Girlfriend, qui aborde le sujet de manière légère et décomplexée. Mais je peine à en citer d’autres. Je me souviens en revanche du baiser entre Madonna et Britney Spears, ou encore du clip « I kissed a girl » de Katy Perry en 2008.

Dans un des chapitres de sa bande-dessinée Libres ! Manifeste pour s’affranchir des dikats sexuels, réalisée avec l’illustratrice Diglee, l’écrivaine et réalisatrice féministe Ovidie analyse ce décalage de représentations. « La bisexualité féminine va être valorisée dans les médias car elle est dans les clous de l’hétérosexualité », m’explique t-elle. « C’est la bisexualité acceptable, celle qui va rendre les femmes intéressantes sur le marché de la “bonne meuf” comme dirait Virginie Despentes », ajoute l’autrice. A l’inverse, la bisexualité masculine est peu ou pas représentée car elle reste « culturellement déshonorante », selon Ovidie.

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Masculinité toxique

Afficher sa bisexualité quand on est un homme, revient à remettre en cause l’injonction sociale à la virilité. « Nos représentations de la sexualité en Occident sont basées sur la pénétration. L’homme est celui qui conquiert, celui qui pénètre. Mais il ne doit surtout pas être pénétré », remarque le sociologue Felix Dusseau. Une idée que l’on hérite de l’Antiquité romaine. « En tant que soldat, le citoyen romain pénétrait hommes, femmes et esclaves pour montrer son statut. Les hommes se devaient d’éviter toute homosexualité ou toute considération d’homosexualité », raconte le spécialiste.

« Les bis sont souvent considérés comme « des homos qui ne s’assument pas » ou « des personnes qui ne sont pas fidèles »

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Ce diktat semble encore coller à la peau de nos sociétés. On peut le voir notamment dans le milieu du porno. Dans Libres, Ovidie note que l’extrême majorité des actrices porno vont accepter de tourner des séquences « girl-girl », alors que les acteurs hétéros seront plus rares à jouer dans des scènes bi. « Ceux qui le font ont été longtemps ostracisés car ils étaient catalogués gay. Des actrices refusaient de tourner avec eux car il y avait cette idée qu’ils étaient plus sujet aux maladies », dévoile-t-elle. Si les mentalités évoluent, les stéréotypes ont encore la dent dure. Les bis sont souvent considérés comme « des homos qui ne s’assument pas » ou « des personnes qui ne sont pas fidèles ».

Où sont les hommes ?

« Dans mes groupes de paroles, je rencontre plus d’hommes que de femmes bi ayant des difficultés à sortir du placard. Ils témoignent d’agressions verbales, ou de rejet au sein de leur couple ou de leur famille », raconte Luka Mongelli, la co-présidence Bi’Cause, association Bi, Pan et +. « Mais cela ne signifie pas qu’il y a plus d’hommes bi qui sont victimes de biphobie. Ce n’est pas si évident », poursuit-il.

La bisexualité demeure la grande invisible des sexualités.

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La bisexualité demeure la grande invisible des sexualités. Difficile de trouver des hommes qui acceptent d’en parler ouvertement. Selon une étude de l’Institut national des études démographiques (Ined), réalisée en 2018, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à se déclarer bisexuelles en France (0.9% contre 0,6% chez les hommes). Mais pour le sociologue Félix Dusseau, il faut faire une différence entre l’identité déclarée et les pratiques sexuelles effectives. « Il est difficile de donner des chiffres de la bisexualité définitifs car la sexualité évolue tout au long de la vie », précise-t-il.

« Comme l’ont montré les chercheurs Fritz Klein et Alfred Kinsey, les attirances et les pratiques ne sont que rarement totalement hétérosexuelles ou homosexuelles. C’est particulièrement vrai chez les plus jeunes qui revendiquent de plus en plus une non-soumission à la norme hétérosexuelle », ajoute Félix Dusseau.

Génération Pan

On l’observe sur les réseaux sociaux. Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes hommes et de jeunes femmes utilisent le terme de pansexualité. Un mouvement qui s’inscrit dans la déconstruction des genres. « Dans la pansexualité, il y a la possibilité d’être attiré par des personnes sans distinction de genre. La bisexualité, c’est mon genre et les autres, ou un autre », explique Luka Mongelli de l’association Bi’Cause.

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Un effet de mode ? Christophe Madrolle, 32 ans, ne croit pas. Cet artiste a fait son coming-out pan en 2012 dans une tribune publiée sur Rue89. « A cette période, les associations et les médias ne parlaient pas encore de pansexualité », souligne t-il. « On me snobait, on me disait que c’était une nouvelle étiquette. Mais depuis 9 ans, je constate qu’il y a de plus en plus de drapeaux pan qui sont brandis dans les prides de grandes villes européennes. »

Un constat partagé par l’écrivaine et réalisatrice Ovidie. « C’est une modification culturelle profonde qui se fait depuis plusieurs années. Ceux qui grandissent avec ces notions de fluidité ne vont pas mettre tout cela de côté une fois adulte. Il se passe un truc. » À suivre…