.jpg)
- À la lecture du titre de cet article, deux possibilités se sont sûrement offertes à vous. 1. Vous vous êtes dit: «WTF encore un paria qui veut faire le buzz» / «Encore un bobo qui s’est mis à l’aquarelle il y a 3 jours». 2. Soudainement, vous vous êtes sentis secrètement moins seul.e. Dans ce cas, cet article va vous faire du bien. Sinon, il risque de vous agacer légèrement. Vous pourriez vous indigner, ne rien vouloir comprendre et perdre patience. Mais lisez quand même, le bureau des réclamations est ouvert, avec amour et bienveillance.
C’est véridique: je suis tellement bien chez moi. Je n’ai pas envie de sortir, pas envie de me sociabiliser, encore moins de monter dans un bus ou dans un métro. Je n’ai pas envie de me questionner sur ce que je vais porter aujourd’hui, pas envie d’angoisser à l’idée de devoir faire un créneau en ville. Pas envie de mettre fin à ma cure de sébum, ni de devoir me couper les ongles. Je n’ai pas hâte de ce jour où les obligations sociales reprendront le dessus sur les distanciations. Pas hâte de ce moment où l’odeur de la clope m’envahira sur les terrasses de café, ni à celui où il va falloir renouer avec le site internet de la SNCF. Je n’ai pas hâte d’être déconfiné, non. Pas hâte du tout. Cela fait quelques semaines que je jubile secrètement, enfermé chez moi telle une loutre dans sa catiche. Dès qu’on me demande des nouvelles, je m’empresse de lâcher un: « Ouais ça commence à être vraiment long, hâte que ça se termine… ». Mais dans ma tête, c’est tout l’inverse. * Rire diabolique *
Je dois le dire, c’est quand même absolument surprenant pour l’être social et peu casanier que je suis d’habitude. C’est comme si le corona avait tué la dernière once de savoir-vivre qu’il me restait. A bas les conventions sociales: le 11 mai, je reste chez moi!
Et croyez-moi, je ne suis pas le seul.
30 avril 2020: jour où j’ai trouvé ma première alliée dans cette lutte: Candice.
Alors que je lui faisais part de mes inquiétudes sur Messenger, elle m’a répondu mot pour mot: “Omg pareil”. Merci Candice.
Mais alors, d’où ça vient, cette sensation?
J’ai échangé avec elle sur le sujet, mais aussi avec Anna et Clara, confinées chez leurs parents dans la région lyonnaise. Au vue de nos échanges, je me suis rendu compte qu’il y avait deux facteurs contradictoires qui entraient en jeu: le bien-être ressenti chez soi VS l’appréhension de la sortie. Dissertation en deux parties: les profs de philo de la terre entière ont déjà leur ticket pour les réclamations.
Home sweet home
La construction d’un “safe space” au milieu de cette jungle. Candice parle de “zone de confort inconfortable” de laquelle il va être dur de s’extirper, malgré tout. Même si tout est loin d’être simple au quotidien et que les journées paraissent parfois bien plus longues qu’en temps “normal”.
Anna, en classe de 1ère, partage le même sentiment quant aux journées à rallonge. «Je suis globalement beaucoup plus relaxée que quand j’avais ma routine scolaire! Il faut se lever à 6h, rentrer à 18h et ensuite retravailler. Alors que là on travaille mais de manière bien plus efficace et sans ces trajets quotidiens.»
Il y a aussi le fait de pouvoir profiter de ses proches. Paradoxalement.
Candice passe un temps précieux avec sa petite famille. «Je vois évoluer notre bébé au quotidien, c’est fascinant. Je suis contente de voler ces instants… Ne serait-ce que pouvoir déjeuner en face d’elle, ça fait du bien! Sinon ce sont les nounous de la garderie qui ont le droit à ça en général, j’ai toujours trouvé que c’était mal fait, en réalité. Bref, je découvre qu’on peut faire autrement, la preuve: on le fait.»
Chez moi, on a instauré la soirée pasta le mardi, jeux de sociétés le mercredi et cocktails le jeudi. (Je vous l’accorde certaines soirées sont plus fun que d’autres) mais on passe beaucoup plus de temps à table, tous ensemble. Clara, quant à elle, en profite pour recontacter des personnes desquelles elle s’était un peu éloignée, et prend plus de temps avec sa famille.
Et enfin, le bonheur de retrouver du temps, pour soi. En fin de journée et plus souvent qu’avant, Candice s’accorde du me time et du temps de “rien”. «Je regarde Secrets d’Histoire en cachette, ça m’apaise l’histoire des rois et reines, va savoir pourquoi…» Chacun ses névroses. Moi de mon côté c’est Affaire conclue, j’avoue, et ma famille commence à craquer. La semaine dernière ils ont battu le record de vente de l’émission: 21 000€ pour un buste en marbre de Napoléon, signé Antoine-Denis Chaudet. C’était palpitant. Bref, on a du temps quoi… Anna et Clara avouent d’ailleurs n’avoir jamais eu “autant d’abdos”: le sport est revenu dans leur quotidien, elles peaufinent leur chien tête en bas.
Pour Anna, toutes ces découvertes/redécouvertes prennent même le dessus sur tout ce qu’il lui manque d’avant.
War sweet war
C’est dans cette 2ème partie de dissertation que les choses se compliquent un peu. Car les bienfaits cités précédemment risqueraient de disparaitre progressivement à partir du 11 mai.
Candice: «Je n’aime pas trop qu’on me change mes habitudes et qu’on m’en impose d’autres. Je n’aime pas sortir de ma zone de confort, même inconfortable. Alors j’appréhende un peu la suite, mais je prends sur moi et je me dis que ce sera pour le mieux, enfin j’espère… Je me demande aussi si on ne va pas avoir une série de déclics ou contre-coups post 11 mai: réaliser que rien ne va dans “l’ancien” système».
C’est un fait, le 11 mai est une date purement théorique, mais le virus, lui, sera toujours bel et bien là.
Anna et Clara, les deux hypocondriaques de notre étude sociale, affirment qu’elles ne vont pas se ruer dehors dès le 11 mai. «Très méfiante, et plus stressée qu’autre chose», Clara ne sait pas encore si elle se sentira assez en sécurité pour se rendre dans les lieux publics de si tôt.
C’est un fait, le 11 mai est une date purement théorique, mais le virus, lui, sera toujours bel et bien là. On aura le droit de sortir, de rendre visite à nos proches, d’accord. Mais qu’en est-il du risque? Je redoute ce relâchement à l’échelle nationale. Bien sûr, tout cela se mélange à l’excitation de retrouver spontanéité et liberté des jours d’avant. «Prendre l’avion demain si je veux pour retrouver ma famille en France ou ailleurs», «ne pas pouvoir faire les courses sans qu’on me regarde ou qu’on me traque», «les restos, le ciné, faire des barbecues chez les ami.e.s», «les petites sorties sans avoir la moindre peur d’avoir été contaminé.e sans le savoir»… C’est donc un condensé d’émotions contradictoires qui bouillonnent en nous.
J’en ai discuté avec Claudine Berger, psychologue sociale et du travail, qui m’a donné quelques pistes de réflexion.
En ces temps inédits, il est important, selon elle, de réévaluer sa pyramide des valeurs. Autonomie? Famille? Travail? «On peut revenir sur le concept de résilience qui est la capacité à faire face et à s’adapter aux difficultés et adversités de la vie. Pour augmenter sa capacité de résilience, il faut pouvoir avoir du lien social, des “attachements sécures” donc des liens forts avec les autres.» D’où les notions de safe space, ou de «zone de confort inconfortable» évoquées plus haut par Clara, Anna et Candice.
«Il s’agit également de pouvoir prendre du recul, de la distance par rapport à l’événement. Avoir confiance en soi et ses capacités et faire preuve d’empathie ou encore de gratitude envers autrui, aident à prendre de la distance sur l’événement qui survient.» Un exercice simple en psychologie positive consiste à tenir un carnet et à noter les cinq situations, dans la journée, pour lesquelles nous éprouvons de la gratitude. Je me lance.
- -Je suis reconnaissant envers France 2, de continuer à produire Affaire conclue quotidiennement même en ces temps compliqués
-Je suis reconnaissant envers mon lapin, d’accepter enfin que je l’approche à moins de 2 mètres de distance (aucun rapport avec le social distancing, il est juste fucking insociable) - -Je suis reconnaissant envers mes fraises des bois, plantées il y a une semaine, qui malgré le passage du lapin insociable, tiennent le coup
- -Je suis reconnaissant envers ma maman qui se plie en 18 pour faire de notre quotidien de confinés une expérience familiale si riche
- -Je suis reconnaissant envers la rédac d’URBANIA, de ne pas censurer mes articles insensés
«Les sentiments ne peuvent pas être qualifiés de positifs ou négatifs. Tout le monde vit une forme de mal-être à son échelle. La situation que nous vivons est inédite.»
«Il peut également s’avérer bénéfique de mettre des mots sur ce que l’on ressent, de pouvoir s’exprimer par la parole ou tout autre moyen (l’art par exemple avec la peinture, la musique, l’écriture, etc). On peut encore donner du sens au vécu ou par exemple aider des personnes qui vivent la même chose et ainsi partager les expériences. Il est important de s’écouter et de s’octroyer le droit de demander de l’aide. Chacun et chacune d’entre nous doit pouvoir se sentir légitime d’exprimer ses sentiments ou son ressenti, ses peurs, ses craintes, ses méfiances, sa colère, ses angoisses pour les un.es mais aussi le fait de se sentir apaisé.e, soulagé.e, libéré.e pour d’autres. Les sentiments ne peuvent pas être qualifiés de positifs ou négatifs. Tout le monde vit une forme de mal-être à son échelle. La situation que nous vivons est inédite. C’est normal!»
Autre exercice recommandé par Claudine, la to do list. Qui peut aider à voir les choses plus clairement, à aborder sa journée avec plus de sérénité, et qui permet surtout, de distinguer l’urgent, de l’important. J’essaie.
- Retenir l’orthographe du mot: sérénité (important).
- Finir mon article sur le déconfinement (urgent).
- Envoyer la V1 du montage à Hélène (urgent).
- Ranger mon disque dur (important).
- Mettre à jour mon profil LinkedIn (important).
- Arroser mes fraises (urgent).
Tout cela me rappelle le concept danois du hygge. Tous ces petits moments de bonheur, aussi anodins soient-ils. Un sentiment de bien-être, l’humeur joyeuse d’un environnement intime et chaleureux. La douceur d’un plaid devant un feu de cheminée en plein hiver, par exemple. Ou le partage d’un bon moment familial en ces jours si particuliers. Coziness at home, le chez-soi, le heimat pour nos ami.e.s germanophones. Et si on pouvait l’emporter avec nous, tout le temps, ce sentiment de plénitude? Edward Sharpe & the Magnetic Zeros: “Home is wherever I’m with you.” Reste plus qu’à trouver qui est son « you » et l’affaire est…conclue.