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Pourquoi je fais le carême ?

Petit guide pour l’apprenti repenti.

Par
Jean Bourbeau
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« Tu fais le carême ? Quoi, t’es croyant ? » sont habituellement les deux questions immédiates venant de pair avec un visage d’étonnement lorsque je confie ma pratique du jeûne chrétien. Une réaction d’incompréhension souvent accompagnée d’un zeste de dédain.

C’est pourtant sans gêne ni scrupule qu’à chaque fin d’hiver, je fatigue religieusement l’ensemble de mon entourage pour qu’il me suive dans cette irrévérencieuse pénitence. Une tradition installée chez moi depuis belle lurette, mais qui, année après année, fait toujours autant sourciller.

Le carême cognant justement à notre porte, pourquoi ne pas décortiquer cette vieille coutume oubliée.

La genèse

Je me rappelle faire le carême, petit, et ce, même si ma famille n’est pas du tout pratiquante. En fait, j’ai grandi dans un cocon on ne peut plus de son temps au sens religieux.

Mes parents sont culturellement issus du baby-boom. Un couple chez qui l’église, contrairement à leurs parents, a davantage symbolisé une corvée qu’un lieu d’émancipation. Au même titre que ma grande sœur, j’ai reçu des cours de catéchèse au primaire et les sacrements de ma paroisse uniquement pour honorer les vœux d’une grand-mère pieuse.

Je soupçonne une stratégie parentale visant à diminuer notre niveau de sucre.

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Sans aller à la messe ni prier un chapelet avant le coucher, nous faisions tout de même le carême de dessert. Je soupçonne une stratégie parentale visant à diminuer notre niveau de sucre et ainsi atténuer la désolation de notre turbulence. Ma mère ne l’avouera jamais, mais je suis sûr qu’elle continuait à manger en cachette son biscuit Graham quotidien.

Les carêmes se sont enfilés et après une adolescence aux cheveux longs à bouder toute discipline, j’ai renoué avec la tradition à l’entrée de la vie adulte.

L’Église et nous

Je trouve curieux qu’à la seule mention du carême, je doive justifier d’emblée mon athéisme. Comme si être jeune et chrétien était suspicieux aujourd’hui. Je n’ai jamais adhéré à la foi, mais il est vrai que j’ai toujours été fasciné par ses rituels et son mysticisme. Une considération atavique d’une époque où la volupté ecclésiastique voulait encore dire quelque chose. C’est peut-être aussi simplement un romantisme de l’inconnu.

C’est donc souvent empreint d’un certain malaise que je témoigne à quel point ma génération semble horripilée par l’héritage catholique. Ce n’est pas de l’indifférence, c’est un rejet catégorique, acrimonieux. L’Église exècre. Pourtant, je ne peux m’empêcher d’être envieux lorsque je vois le faste du mariage de mes parents. Avez-vous déjà assisté à une cérémonie au palais de justice ? C’est d’une horreur.

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La société a ses raisons d’avoir pris ses distances avec le clergé, mais n’ayant plus jamais regardé en arrière, elle semble avoir perdu de vue ce qu’il y avait de cool dans l’autrefois. Le carême, à mon humble avis, en fait partie, tout comme les pèlerinages et les pratiques funéraires. Une position presque controversée.

Les fondements

Le 2 mars est la date au calendrier déclarant l’ouverture du carême. Débutant indéfectiblement le mercredi des Cendres, au lendemain du Mardi gras — festin où la décadence est de mise —, ce temps liturgique de privation s’étire sur 40 jours, rappelant la traversée de Jésus-Christ dans le désert. Puisque le carême n’inclut pas les dimanches, il s’étend en fait sur 46 jours. Une précision qui ne devrait pas décourager les plus hésitant.e.s.

Contrairement à Pâques et à Noël, le carême n’a pas vraiment survécu à l’épreuve du temps. Ce jeûne destiné à amortir les passions et expier les péchés semble révolu, tandis que les mois de renoncement, comme février sans alcool ou toute autre déclinaison hygiénique, semblent pourtant n’avoir jamais été aussi populaires. En fait, c’est pratiquement la même chose, juste un peu plus long.

L’envergure du sacrifice est donc à la discrétion de chacun.e. L’important est qu’il y ait un véritable défi.

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Rite clôturant l’hiver, c’est une façon de se purifier l’intérieur pour accueillir la résurrection printanière. Lire ici un prétexte pour s’assagir la fourchette et rentrer dans ses vêtements d’été.

Il est coutume de faire un sacrifice alimentaire, mais le jeûne peut également s’appliquer à l’alcool, la cigarette, l’herbe, l’automobile, la porno, les réseaux sociaux et même aux jurons. Le menu ratisse aussi large qu’on le souhaite. L’unique règle à laquelle je m’impose est que l’objet de privation doit être un réel plaisir dont il sera possible de retrouver les vertus lors des fêtes pascales. Je me rappelle, enfant, avoir eu très mal au cœur le matin en dévorant mon troisième lapin en chocolat.

Y participer à ses risques et périls

L’envergure du sacrifice est donc à la discrétion de chacun.e. L’important est qu’il y ait un véritable défi. Si vous n’aimez pas les légumes verts, de grâce, ne faites pas un carême de brocoli. Mais si vous ne pouvez vous empêcher de siffler la moitié d’un gâteau une fois celui-ci entamé, voilà, c’est trouvé. Les sucreries sont habituellement une porte d’entrée facile au carême.

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Mieux vaut commencer doucement et réussir sa première tentative. Je me rappelle d’une année où j’avais réussi à convaincre une douzaine d’ami.e.s. Seulement trois l’ont terminé. Les recrues surexcitées coupent trop radicalement et finissent par abandonner, maudissant le carême pour déguiser leur déception.

Pour ma part, les éditions antérieures m’ont privé des plaisirs de la table suivants : sucreries, bières, fromages, viandes, fritures. Cette année, je tente un régime végan accompagné uniquement d’eau. Ce sera parfois aride, mais ce n’est pas mon premier rodéo.

Petit conseil : rêver à des montagnes de poutine ou de burgers n’est certes pas désagréable, mais trop fantasmer amène son lot de déception au moment tant attendu. Une simple poutine, aussi exquise soit-elle, ne peut être l’objet de désir autant refoulé.

À l’époque où le carême était répandu, il était d’ailleurs interdit de fêter ou de danser, et aucun mariage n’était célébré. Toute vie sexuelle était prohibée. D’où le carnaval de la Mi-Carême, qui tombe cette année le 24 mars.

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Accordées au présent, les libertés de la Mi-Carême divisent. S’il est bel et bien permis de profiter de cette journée de pause pour se faire livrer de la junk food, selon plusieurs, c’est un véritable sacrilège d’ainsi tricher. Personnellement, je m’abstiens en me répétant que la ligne d’arrivée pointe à l’horizon, un mantra qu’il ne faut jamais oublier. Le carême se terminera le Jeudi saint, soit le 14 avril prochain pour l’édition 2022.

Les raisons du jeûne

Alors tous ces ennuis pour quoi au juste ? Pour se tailler une place bien au chaud là-haut ? C’est simplement une parenthèse pour se désennuyer à la fin d’une saison où tout semble pénible. Une façon de défier sa volonté en la saupoudrant d’un peu de plaisir restrictif. Et quand on le fait en groupe, c’est bien plus facile qu’on le croit et ça peut même devenir agréable.

Il y a aussi une gratification manifeste à réussir son carême. Et puis, c’est assez addictif de se réveiller en pleine forme chaque matin, surtout pour ceux et celles dont l’adage « on prend juste un verre tranquille » dégénère aisément en zapoï.

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La « sainte quarantaine » n’est qu’une fraction de l’année, alors n’ayez crainte, vous pourrez rompre avec ce temps austère pour le dimanche de Pâques.

La période de carême doit, pour ses fidèles, être un moment d’introspection et de retour aux sources. L’abstinence a ses bienfaits sur le corps et l’esprit. Je vous invite donc, sourire en coin, à considérer le jeûne. Et qui sait, si vous êtes nombreux et nombreuses à participer, peut-être ne finirais-je pas par griller en enfer ?