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19 mai 2021, une bande annonce pour le très attendu épisode spécial Friends Reunion engrange des dizaines de millions de vues en seulement quelques heures. L’épisode est diffusé le 27 mai sur HBOmax aux Etats-Unis, il y a fort à parier que le streaming illicite va cartonner dans les prochains jours. Mais pourquoi Friends, sitcom des années 90, continue de cartonner autant partout dans le monde, 25 ans après sa création et 15 après sa fin ? Celui qui explique les raisons.
On avait parlé d’épisode spécial. Mais c’est en fait une émission « retro », comme Le Prince de Bel-Air y avait eu droit, en réunissant les acteurs de la série autour de Will Smith. Ça avait été l’occasion pour lui et l’actrice qui jouait sa tante Vivi de se réconcilier devant les caméras, et de pleurer James Avery, qui jouait Oncle Phil, décédé quelques années plus tôt. Retrouver les acteurs sur le plateau de la sitcom, même s’il n’y avait pas de public, la faute au Covid-19, ça foutait les poils. Et c’est certainement ce qui se passera aussi pour cette émission qui rassemble, pour la première fois, les 6 acteurs ensemble sur une même scène, dans les décors de la série : appartements des filles et des garçons, le café Central Perk, et même la fontaine où a été tournée le générique. Normalement, si vous êtes fans de Friends, rien qu’à l’évocation de ses lieux, vous avec le sourire aux lèvres. Preuve qu’on a tous envie de les retrouver. Comment expliquer que la série nous ait tellement marqués, qu’elle soit encore parmi les plus regardées du moment. Une longévité exceptionnelle, 10 saisons, presque pas de saison de trop, et la série continue d’être nommée comme la meilleure de tous les temps, devant Seinfeld, Frasier, et autres sitcoms tombées dans l’oubli ou dans la lassitude depuis.
Parce que la série s’appelle « Amis ». Au départ, ça devait être Friends like Us, des amis comme nous. Et c’est plutôt bien résumé, étant donné qu’au début de la série, on suit les aventures de 6 new-yorkais entre 25 et 30 ans, dans leurs aventures amoureuses, amicales, professionnelles, et de coloc. Bref, la vie. Et c’est vrai qu’ils nous ressemblent : le pince sans-rire, l’engourdi, la maniaque, la déconnectée… Chacun peut se retrouver dans les traits de caractère ou dans les réactions des uns et des autres. Si ce n’est pas le cas, c’est parce qu’on a envie d’être comme eux. Surtout, c’est la première fois qu’une sitcom ne se déroule pas dans le cadre scolaire, pro ou familial, comme on en a eu l’habitude jusque-là. Bref, l’amitié est vraiment au cœur du sujet, et beaucoup de groupes de 6 personnes se sont constitués à cette époque, ajoutant ou éliminant des membres pour ressembler le plus possible à Ross, Monica et Cie.
Parce qu’elle était inclusive. Ok, aujourd’hui, avec le recul, on entend dire que c’est une série de blancs sans soucis à New-York. Mais revenons à l’époque, en 1994 quand la série est créée. C’est la première série diffusée sur une antenne nationale américaine qui, dès le premier épisode, propose un personnage lesbien. Ce sera aussi la première à présenter une mère porteuse… La première qui intègre des personnages asiatiques ou afro-américains le temps de plusieurs épisodes, pour des relations amoureuses avec les personnages principaux. La série est une pionnière, et lui tomber dessus aujourd’hui avec un œil Woke équivaut à absoudre toutes les séries qui les ont précédées de cet aveuglement social et ethnique. Dans un des épisodes, Joey découvre que son père trompe sa mère depuis quelques années. Je n’ai pas souvenir que ce sujet ait été abordé avant ailleurs, notamment avec cet humour. Le père de Chandler a changé de sexe, inédit également jusque-là. Et jamais en étant moqueur, excluant, mais en abordant le sujet avec tendresse.
Parce qu’elle a marché plus que toute autre sitcom. Seinfeld, How I Met Your Mother, The Big Bang Theory, Spin City… Aucune sitcom n’a été diffusée aussi bien que Friends en France : une découverte en prime-time lors d’une soirée spéciale qui proposait aussi un épisode de Seinfeld et un de Spin City, dans une tentative de proposer une programmation « à l’américaine ». Puis une diffusion en quotidienne à 18 heures sur France 2. Les autres sitcoms qui ont marché en France étaient jusque-là plutôt familiales : soit diffusées dans les émission jeunesse sur France 2 comme La Fête à La Maison, ou Quoi de Neuf Docteur, ou bien dans la traditionnelle case de 20 heures d’M6 : Notre Belle-Famille, Madame est Servie, Cosby Show, Une Nounou d’Enfer… Avec toujours une morale à la fin de l’épisode, dans laquelle le père ou la mère expliquait à l’enfant ou l’ado ce qu’il avait mal fait. Friends, en sortant de cette case, ouvrira la voie à Will & Grace, et That 70’s Show, puis dans un 2e temps, à toutes ces sitcoms des années 2000 comme The Office… Friends n’a rien inventé, Friends a tout révolutionné.
Parce qu’on a tous un épisode préféré… et que c’en est un différent pour chacun. Le quiz qui mène au changement d’appart entre Monica et Rachel et Joey et Chandler, le mariage de Ross avec Emily, sa copine qui se rase le crâne pendant les vacances, le concours de danse télévisé, l’épisode avec Julia Roberts et Jean-Claude Van Damme, le match de foot de Thanksgiving, le déménagement du canapé… Friends multiplie les scènes cultes, les épisodes cultes, dont celui en temps réel avant une cérémonie, une prouesse d’écriture avant 24 heures chrono. Posez la question à vos amis : « C’est quoi ton épisode préféré ? » Et la réponse sera toujours la même : « Mes épisodes préférés, c’est ceux… » Et le top 10 sera différent en fonction de vos interlocuteurs. Les scénaristes américains l’avaient bien résumé en appelant chaque épisode « The One With… », littéralement, « Celui avec », que les adaptateurs français ont traduit en « Celui qui », se rapprochant d’une personne plutôt que de l’épisode en lui-même.
Parce qu’on a tous un personnage préféré… et que c’en est un différent pour chacun aussi ! Ross, non Phoebe, non Chandler… non Joey, non Rachel… non Monica. Pourquoi pas Gunther ? C’est un débat qui dure depuis 25 ans : on aime un personnage parce qu’il nous ressemble, puis parce que c’est le plus fou… Et on peut même changer de perso préféré en cours de route. Perso, je mettais Chandler en premier, mais avec le recul, je trouve celui de Ross le plus fou et intéressant. Et certains le détestent ! Certains fans en ont voulu à Ross pour la rupture, d’autres à Rachel, à cause des 18 pages… recto-verso ! Place au débat, qui continue encore aujourd’hui.
Parce que ça a correctement vieilli. Beaucoup de sujets abordés dans la série sont encore d’actualité. Les fringues que les personnages portaient restent acceptables, et moins datées au carbone 14 que ceux du Cosby Show ou de Madame est Servie. Et après une bonne édition DVD qui commençait à vieillir, Warner a eu la bonne idée de remasteriser tous les épisodes, format 16/9e et qualité HD, pour les distribuer en Blu-Ray et sur les plateformes. Une version qui tourne en boucle depuis quelques années sur les chaînes. La série a aussi été une des premières à intégrer l’importance des blagues en version originale, et pour cela, on peut féliciter le distributeur français des cassettes VHS de l’époque, qui proposait des coffrets en VF ou en VOST, avant que l’option de changement de langue ne soit habituel sur les DVD. A mon souvenir, c’est aussi la première fois qu’une série sortait en VO en France. Si bien que les fans regardaient la VF lors de son passage sur France 2, avant d’acheter le coffret VO quelques mois plus tard, pour découvrir la série une 2e fois. C’est très certainement ce qui a lancé le débat dans notre pays sur la qualité des adaptations et du doublage français. Sur ce point, il est indéniable que Friends bénéficiait des meilleurs du moment avec les vois d’Emmanuel Curtil, Mark Lesser ou encore Marie-Christine Darah, que certains connaissaient jusque-là pour prêter sa vois à Whoopi Goldberg. D’ailleurs le changement de voix de 3 d’entre eux pour les deux dernières saisons, suite à un conflit avec les adaptateurs, fera basculer la team VF définitivement du côté de la team VO.
Parce que la série accepte la multidiffusion. Au bout de 100 épisodes, les chaînes câblées et locales américaines peuvent rediffuser la série en syndication, tous les jours. Un contrat juteux qui rapporte beaucoup au studio de production. Ainsi Friends peut être diffusé 3 fois par jours aux US. Puis la série a été l’enjeu de négociations de plusieurs centaines de millions de dollars ces dernières années, pour être diffusée en exclusivité, d’abord sur Netflix, puis sur HBOmax aux États-Unis, propriété (tout comme la série) de WarnerMedia. Ce qui rapporte encore quelques millions de dollars annuels à ses acteurs, 15 ans après la fin du show. Et en France, la série a été rediffusée depuis sa fin, de manière quasi ininterrompue, sur France 2, France 4, M6, TFX, et bien d’autres, de manière quotidienne, assurant encore de belles audiences à celles qui la programmaient, en accès prime-time.
Parce que c’est la période du rétro. Dans une époque où on ne sait pas de quoi demain sera fait, rien de plus rassurant que de se replonger dans les madeleines de Proust qui ont bercé les belles époques de notre vie. Et Friends est LE symbole des 90s florissantes et sans souci. Dernier bastion d’une époque de séries où les personnages n’étaient pas aussi complexes et sombres qu’aujourd’hui. Où on pouvait agir avec une certaine naïveté sans que cela ne soit commenté et critiqué en permanence. Combien de blogs, d’articles de magazines ont été écrits sur la série chaque semaine pendant 10 ans, et ont permis à des gens parfois isolés de se rassembler dans des fans-clubs ?
Parce que c’est drôle ! Lancez-vous dans une soirée, à commencer à sortir les meilleures répliques de la série : vous pouvez commencer à commander la petite sœur, vous êtes là pour un moment.