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Pourquoi et comment je me suis fait débaptiser

Retour sur cet autre chemin de croix.

Par
Marine Bourrier
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Du jour de mon baptême, je n’ai gardé que quelques bribes. Les murs sombres de l’église. La fraicheur de l’eau bénite sur mon front. Les membres de ma famille, sagement assis sur les bancs, se demandant, tout comme moi, ce qu’ils font là. « Comment fait-elle pour se souvenir aussi précisément de son baptême alors qu’elle n’était encore qu’un petit être innocent âgé de quelques mois seulement ? », me direz-vous. Au risque d’en décevoir certain.es, je n’ai aucun super-pouvoir. Si ces souvenirs sont encore (relativement) frais, c’est simplement car j’ai reçu le saint sacrement du baptême à l’âge de 10 ans.

Cette entrée tardive dans la vie chrétienne, je la dois à ma mère (merci maman), pourtant pas croyante pour un sou. La raison ? Elle voyait le baptême comme une sorte de cape d’invisibilité en cas d’arrivée au pouvoir d’un.e président.e d’extrême droite. Bah oui, c’est plutôt logique : en jouant les bonnes chrétiennes, aucun risque d’être dans le viseur d’un parti aux accointances connues avec le catholicisme. La peur provoque des réactions parfois bien étranges. No comment.

Le soir, je m’essayais à la prière, souhaitant de tout mon cœur une victoire de l’Olympique Lyonnais en ligue des Champions et des frites à la cantine.

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Pendant toute une année, j’ai donc reçu un apprentissage intensif de la foi, suivant non sans mal d’interminables leçons de catéchisme. Les pages de l’ouvrage religieux pour enfants Ma vie est un trésor, mon nouveau livre de chevet , regorgeaient d’illustrations de scènes bibliques que je parcourais avec indifférence. Mon niveau de foi atteignait des sommets quand, le soir, je m’essayais à la prière, souhaitant de tout mon cœur une victoire de l’Olympique Lyonnais en ligue des Champions et des frites à la cantine.

Après cette entrée en fanfare dans la communauté chrétienne, place au stress post-traumatique. Au fur et à mesure des années, mon rapport à la religion déjà bien conflictuel s’est converti en un athéisme acharné. La goutte d’eau qui a fait déborder le bénitier ? L’acharnement de la « Manif pour Tous » contre le mariage homosexuel et les nombreux scandales d’abus sexuels au sein de l’Eglise. Un jour, préférant comme à mon habitude rester sur le parvis d’un édifice religieux plutôt que de le visiter, une amie évoque pour la première fois la débaptisation. Pour moi, ayant déjà bien dépassé la vingtaine, c’est la Révélation. Quelques rapides recherches sur le web je n’ai plus qu’une idée en tête, me faire apostasier (entendre, radier des registres de l’Eglise). Par cette démarche très symbolique, je pars en quête de cohérence avec mes valeurs, refusant d’être associée à une institution dont je ne partage pas les prises de position. Ma mère, elle, l’a pris comme un affront, une tentative de détricoter l’armure anti-RN qu’elle s’était efforcée de me bâtir.

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Une fois la décision prise et annoncée, le chemin de croix débute. Première épreuve : retrouver mon acte de baptême. En quête du document sacré, je contacte la paroisse de ma commune. Et les embûches ne tardent pas à se présenter : il me faut justifier les raisons de ma recherche. Grande révolutionnaire dans l’âme, prête à partir en croisade contre l’Eglise Catholique, je réponds que j’ai besoin de mon acte de baptême… pour pouvoir devenir marraine. Décidemment, je ne faisais vraiment pas une bonne chrétienne. Après quelques échanges succincts par mail, on m’informe que mon acte de baptême est à récupérer en main propre à la paroisse. De peur de ne pas réussir à assumer mon mensonge en face à face, j’envoie ma mère chercher le précieux document. (Ça lui apprendra à me faire baptiser sans mon accord.)

Une fois le round 1 de cet escape game à taille réelle validé, place à l’étape suivante : la lettre au diocèse. En théorie, nul besoin de justifier sa demande de débaptisation, mais c’est là que la partie rigolote commence. Le site internet https://apostasiepourtous.fr/, générateur de lettres de débaptisation, se révèle être un allié de taille. Je complète les cases vides par les informations récoltées sur mon acte de baptême et le générateur me propose ensuite une liste de raisons à sélectionner pour justifier ma demande. Pédocriminalité, célibat des prêtres, relation science/Eglise…il y a l’embarras du choix. Pour moi, ce sera égalité hommes/femmes, avortement et personnes LGBT+. En quelques clics, les paragraphes incendiaires apparaissent comme par magie. Dans les dernières lignes, la loi du 6 janvier 1978 autorisant à « modifier, compléter, mettre à jour ou effacer des données à caractère personnel » sur simple demande à l’organisme concerné est évoquée, ajoutant sa touche de chic et de sérieux.

Il me reste toujours la possibilité de faire marche arrière s’il m’arrive, un jour, d’être touchée par la Grâce. Ouf.

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Voulant faire les choses dans les règles de l’art, je prends ma plus belle plume et recopie à la main la corrosive lettre de débaptisation, que j’adresse au diocèse sans attendre. Quelques jours plus tard, un courrier m’attend dans la boîte aux lettres. Alors que je pense avoir emporté le match par K.O., l’Eglise catholique se relève et décide de jouer les prolongations. Pour valider ma débaptisation, je dois leur faire parvenir une copie de ma carte d’identité pour éviter toute tentative d’imposture. Moi ? Mentir ? Jamais. Dans les jours qui suivent, je reçois enfin le graal : la lettre annonçant ma radiation des registres de l’Eglise catholique. Le sentiment de rébellion est à son paroxysme bien que concrètement, un baptême n’est jamais vraiment annulé. Il me reste toujours la possibilité de faire marche arrière s’il m’arrive, un jour, d’être touchée par la Grâce. Ouf.