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Pourquoi donc est-ce que tout le monde en veut à Mona Lisa ?

La Joconde va bien. Plus de crème que de mal.

Par
Benoît Lelièvre
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La Joconde s’est fait attaquer en fin de semaine. C’était la quatrième fois en un peu plus d’un siècle, mais la toute première tentative d’entartage. Un homme de 36 ans maladroitement déguisé en vieille dame en fauteuil roulant aurait lancé un gâteau sur le tableau le plus célèbre de l’histoire en criant « Pensez à la Terre. Il y a des gens qui détruisent la Terre présentement. Les artistes vous disent: pensez à la Terre. C’est pour ça que je l’ai fait. »

Bon, c’était peut-être pas l’acte militant du siècle. Le message a été entendu, mais le messager n’a pas été pris du tout au sérieux. Il a été arrêté et envoyé dans un hôpital psychiatrique pour évaluation. Autre détail intéressant : l’homme aurait lancé des roses un peu partout dans le musée avant de passer à l’acte.

Avant d’aller plus loin, rassurez-vous : Mona va bien. La muse intemporelle de Léonard De Vinci était protégée par une vitre pare-balles et l’apprenti écoterroriste n’aura qu’étendu un délicieux crémage sur cette dernière.

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Mais une question demeure : pourquoi en vouloir à cette pauvre femme ? Qu’a-t-elle pu bien faire aux dieux de l’art classique pour se retrouver victime d’un acte idéologique 503 ans après la mort de son créateur ? Petit précis d’histoire de la haine mal placée contre la Joconde.

Si Mona est ciblée, c’est parce qu’elle est… aimée

Mona Lisa, c’est un peu comme les Beatles de l’art classique. Elle transcende son milieu. Tout le monde l’a déjà vue. Même les gens qui ne peuvent nommer une seule autre œuvre d’art, classique ou contemporaine. La Joconde est plus grande que l’art comme John, Paul, George et Ringo sont plus grands que le rock.

Les raisons pour lesquelles l’œuvre maîtresse de Léonard De Vinci est aussi célèbre sont multiples. L’identité de son mystérieux sujet a d’abord fait l’objet de multiples rumeurs et controverses. Plusieurs experts s’accordent pour dire qu’il s’agit de Lisa Gherardini, la femme d’un riche marchand Florentin. Ce n’est cependant pas la seule piste. D’autres croient qu’il s’agit de la mécène Isabella d’Este. Certains avancent qu’il s’agit de la Vierge Marie ou seulement d’un idéal de beauté féminin de l’époque, rêvé par De Vinci. La Joconde a tout d’abord fait les manchettes parce qu’elle faisait parler le monde de l’art.

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Oui, c’était une œuvre révolutionnaire sur le plan technique, mais elle n’aurait peut-être pas survécu aussi longtemps sans ce bon vieux papotage entre gens riches et influents.

C’est un peu comme Kim Kardashian. Elle est devenue célèbre parce qu’elle était célèbre et chaque fois que quelqu’un s’en plaint, elle devient encore plus célèbre.

Ses aventures au XXe et XXIe siècle ont également marqué les esprits. Mona a tout d’abord été volée au Louvre, en 1911. Trois employés du musée ont passé la nuit enfermés dans une salle d’entreposage avant de prendre la poudre d’escampette avec le tableau le matin venu, avant l’ouverture au public. L’affaire captivera la planète pendant vingt-huit longs mois et moussera la popularité de l’œuvre jusqu’à des niveaux jamais atteints avant que la police puisse mettre le grappin sur nos trois apprentis Arsène Lupin.

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Jusque là un aparté culturel, la dame allait devenir un phénomène mondial. Au cours du siècle, plus de 300 hommages, parodies et reproductions en tout genre ont été créés ainsi que plus de 2000 déclinaisons publicitaires, des cartes postales aux t-shirts. Cette nouvelle popularité l’expose à encore plus de mésaventures. Notamment à des lancers de roches en 1956 et une tentative d’attaque à la peinture rouge en 1974, lors d’une tournée au pays du soleil levant. Parce que, bien sûr, toutes les rock stars vivent des choses rocambolesques en tournée au Japon. À chaque fois, le statut mystique de la dame au sourire coquin n’en fut que renforcé.

C’est un peu comme Kim Kardashian. Elle est devenue célèbre parce qu’elle était célèbre et chaque fois que quelqu’un s’en plaint, elle devient encore plus célèbre.

Mais pourquoi tant de colère ?

La Joconde est un peu victime de sa popularité et un peu victime de son format. Peinte sur un canevas de 77 cm par 53 cm, elle est accessible au commun des mortels pour des raisons logistiques. Ce serait beaucoup plus difficile de l’apprécier si elle était exposée plus haut ou plus loin des foules.

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Grâce à sa mystique, elle est aussi constamment entourée de touristes armés d’iPhones et d’iPads, prêts à partager leur expérience pas-si-unique-que-ça avec la dame de De Vinci. C’est donc logique pour un éco-entarteur de frapper dans un endroit de la sorte. Non seulement la cible ne peut pas se défendre, mais elle ne peut pas être abîmée derrière sa vitre pare-balles. Toute personne souhaitant faire entendre son message est donc libre de bypasser la presse traditionnelle et d’agresser une icône culturelle et historique sans vraiment lui faire mal.

Elle est à la fois proche et inaccessible. À la fois inoffensive et symbolique.

La bonne Mona est aussi un symbole de l’establishment artistique et d’un certain embourgeoisement social: un tableau hors de prix, accessible pendant une période de temps donnée au commun des mortels en échange d’une somme d’argent. Son emplacement même représente une division sociale: elle garde le peuple de l’autre côté de sa fenêtre. C’est probablement une autre des raisons pour laquelle elle attire l’ire des gens qui s’estiment opprimés. Elle est à la fois proche et inaccessible. À la fois inoffensive et symbolique.

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Les représentants de toutes les causes s’y essaient parce que ça ne coûte que 17 euros (et un séjour en hôpital psychiatrique). Elle est à la fois une cible facile et inatteignable. Peu importe ce qu’il adviendra de l’écoterroriste entarteur, ce n’est pas la dernière fois qu’on essaie de défigurer la pauvre Mona.