Pourquoi donc est-ce que personne n’aime Thor ?

Il y a dix ans, le film Thor prenait l’affiche.

Un film que personne n’avait vraiment demandé, mais qui s’inscrivait dans une démarche d’une ambition révolutionnaire. C’était la quatrième parution officielle du Marvel Cinematic Universe, une série qui compte aujourd’hui vingt-trois films dont les intrigues partagent le même univers. La parution de Thor marquait aussi la première fois où les enthousiastes de Marvel ont fait: « Mouais… bof ? »

C’est pas moi qui le dis, c’est les chiffres. Les films de Thor (même l’excellent Thor : Ragnarok) se classent respectivement 14e, 20e et 21e au box-office domestique selon Forbes et 11e, 18e et 19e au box-office mondial. Thor et Thor: The Dark World sont respectivement 19e au 23e au classement des critiques sur RottenTomatoes. Il est, avec Ant-Man et Doctor Strange, au bas de la liste. Contrairement à eux cependant, il fait partie des Avengers. Il est beaucoup plus important au Marvel Cinematic Universe que les deux autres.

Il n’est pas nécessairement impopulaire. Les cinéphiles semblent juste moins l’apprécier que les autres. Qu’est-ce qui ne colle pas avec ce bon vieux Thor, hein ? En quête de réponses, je me suis tourné tout d’abord vers l’équipe d’URBANIA, puis vers un expert sur le sujet.

Personne chez URBANIA n’éprouve de puissantes émotions à propos de Thor. La tendance est légèrement positive, mais on ne semble pas passionné par le bonhomme et son gros marteau.

« Si on parle des deux premiers films, je l’aime bien. J’ai trouvé Ragnarok très, très mauvais cependant. Je pense que c’est le film de Marvel que j’ai le plus détesté, » raconte ma collègue Arianne, qui s’explique mal pourquoi il est moins populaire que les autres. « C’est peut-être parce que ses pouvoirs sont un peu concons ? C’est contradictoire, parce que c’est probablement le plus fort de la troupe. Mais sans son marteau, il est peut-être un peu cheap ?»

À ma grande surprise, la question des pouvoirs revient plusieurs fois. C’est une question à laquelle je n’avais même jamais réfléchi. « Ses pouvoirs ne sont pas trop démontrés dans les films et il a l’air un peu loser par moments, » me confie notre reporter vedette François Breton-Champigny. « Peut-être que les gens le trouvent trop bout-en-train et que ses attaques sont toujours un peu identiques ? En même temps, son frère est vraiment plus cool que lui, » renchérit Lucie, une de nos monteuses étoiles.

Jean-Philippe, directeur de la distribution numérique, émet une différente hypothèse : « C’est potentiellement son côté moins abouti dans la réalité (ce qui est chelou, en parlant de super héros), mais le fait que ce soit un demi-dieu, qu’il vient d’un autre “monde”, etc. Ça le rend moins relatable que Spiderman ou Capitaine America. »

Ce sont là de bonnes pistes, mais au-delà des opinions personnelles, y a-t-il un dénominateur commun qui unifie ces facteurs ?

Jean-Michel Berthiaume est chroniqueur culturel à l’émission de radio On dira ce qu’on voudra, doctorant en sémiologie à l’UQAM et coordonnateur du labo de recherche Pop-En-Stock sur la culture populaire à l’UQAM. C’est un grand fan de bédés et de super héros. Quand je veux mieux comprendre un phénomène culturel, c’est souvent vers lui que je me tourne. Je me suis donc permis de lui poser ma question à 100 euros.

« Je pense que le trouble qu’on a eu avec Thor c’est que ces récits se déroulent dans un cadre plus grand que ce qui se passait dans la Phase 1 et 2, » m’explique-t-il. Marvel déploie effectivement son univers cinématique en plusieurs phases. La quatrième s’amorce d’ailleurs en juillet prochain avec la parution du film Black Widow. « Quand les films sont sortis, on n’avait pas une aussi bonne idée du big picture de Marvel et donc ses histoires cadraient mal dans l’intrigue de la première vague. »

Il souligne que Thor est un personnage qui traverse souvent le pont entre les aspects mystiques de l’univers de Marvel et ceux du cosmique. Ce qui risque de le rendre beaucoup plus important maintenant, car il peut autant interagir avec les gardiens de la galaxie qu’avec Doctor Strange, ce qu’il a déjà commencé à faire dans les dernières moutures des Avengers, au grand plaisir de tout le monde. Ces films-là n’existaient pas encore quand Thor et Thor: The Dark World sont sortis.

La dictature du moment et le dévouement à ce projet de longue haleine par Marvel y ont donc joué pour beaucoup. C’est pour ça qu’on le trouve moins abouti et un peu perdu par moment. Il fallait trouver des moyens pour le ramener au niveau des autres et la qualité en a souffert.

Je me suis vraiment beaucoup emmerdé pendant les deux premiers films. C’était pas nécessairement chiant ou mal intentionné, mais un peu télégraphié. Ils existent juste pour faire exister Thor dans l’univers cinématographique de Marvel. Surtout le deuxième, The Dark World. L’original a d’ailleurs été inexplicablement réalisé par l’acteur irlandais Kenneth Branagh, qui n’a jamais été impliqué de près ou de loin avec la franchise depuis.

Le réalisateur de Thor: Ragnarok a cependant su réinventer le personnage en osant lui couper les cheveux et en misant sur le timing comique sous-estimé de l’acteur Chris Hemsworth. C’est une vision complètement différente et beaucoup plus éclatée que la version du personnage plus fidèle à la mythologie nordique dont il est issu. Je pense que si on a pris du temps à se faire à l’idée de Thor (on s’y fait d’ailleurs toujours), c’est que le produit cinématographique n’a pas été très aimé au départ. Il a été confié à un peu n’importe qui avant de trouver quelqu’un capable d’en tirer le maximum. Dans le fond, Thor c’est comme notre ami chelou au collège. Celui qui nous exaspérait un peu, mais qui s’est finalement révélé être plein de potentiel !

Bon anniversaire Thor ! Notre relation a peut-être commencé doucement, mais le futur s’annonce prometteur !