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Pourquoi c’est devenu cool d’aimer les animes ?

Grâce à Netflix et aux autres services de streaming, l’animation japonaise est de plus en plus mainstream.

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Il suffit de passer quelques minutes sur TikTok pour faire un constat surprenant : la jeunesse se passionne pour les animes. Pour un fossile de 27 ans comme moi, c’est un revirement de situation inattendu, voire inespéré. Lorsque j’étais au collège, il y avait peu de choses moins cool sur lesquelles kiffer.

Toute mon adolescence, mes ami·e·s et moi nous nourrissions de dessins animés et de jeux vidéos japonais et passions tous nos week-ends à nous ruiner en bibelots du quartier chinois. Je vais vous l’avouer, repasser dans mes vieilles photos de convention d’anime à des fins de recherche pour cet article m’a donné l’impression de vivre d’intenses brûlures d’estomac de l’égo. Il faut dire qu’à l’époque, ce n’était vraiment pas cool d’être un‧e « weeaboo », un terme semi-péjoratif pour désigner les fans de culture populaire japonaise, « weeb » pour faire court.

Mon sombre passé, juste pour toi URBANIA
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Aujourd’hui, il semblerait que la société ait décidé de se défaire du poids de la honte. « Cringe culture is dead », à le lire sur toutes les plateformes que l’internet a à offrir, je commence à y croire. Comment se fait-il que maintenant, il n’y a rien de gênant à se dire fan d’anime ? Comme beaucoup de phénomènes de culture populaire, cela a tout à voir avec une plus grande distribution. S’iels ne sont pas obligé·e·s de traîner sur des sites louches où on se fait bombarder par « une centaine de milfs près de chez vous qui veulent te parler » pour consommer des animes, beaucoup de gens se rendent compte que c’est à leur goût.

Atterrissage sur la planète anime

Selon Wired Japon, 100 millions d’utilisateur·ice·s de Netflix ont consommé des animes en 2019. La plateforme de streaming enregistre une croissance de 50 % de croissance chaque année du nombre d’écoutes de ses animes. On ne parle plus ici d’un contenu niché. Pour constater l’effet de cette vague de popularité, je me suis rendue à Planète Otaku, un magasin spécialisé en culture populaire japonaise à Montréal.

« J’ai des client·e·s de tous les âges, des familles, des personnes plus âgées. »

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Les étagères remplies à craquer de boîtes, de figurines et de divers produits dérivés me rappellent tout de suite mes jeunes années à bummer au quartier chinois. Seulement, le magasin n’est pas seulement fréquenté par des groupes d’adolescent·e·s aux cheveux teints, bien qu’iels y soient le bienvenu.

C’est avec les animes qui passaient à la télévision dans les années 80 qu’Adrien Waleryszak a commencé à s’intéresser à l’animation japonaise. Le propriétaire du Planète Otaku (à Montréal) me confirme ce que j’observe : « J’ai des client·e·s de tous les âges, des familles, des personnes plus âgées. » Il se rappelle particulièrement une mère et une fille qui étaient adeptes des mêmes animes et qui partaient avec des boîtes complètes de marchandises lors de leurs visites. Waleryszak constate que les animes ne sont plus considérés comme l’apanage des enfants seulement. « Généralement, les thèmes sont plus matures qu’un dessin animé pour enfant. C’est aussi un plus violent, c’est sûr ! »

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L’effet Netflix

Netflix et les autres plateformes de streaming ont très sûrement à voir avec la nouvelle popularité dont les animes jouissent depuis quelques années. Selon Bloomberg, la décision de produire et d’héberger plus de contenu d’animation a été payante pour Netflix. Devant la saturation du marché américain et la compétition avec d’autres services, les Disney+ et Hulu de ce monde, Netflix cherche à séduire l’Asie pour continuer de croître. En 2021, le géant du streaming a ajouté 40 titres du genre à son catalogue, le double de 2020. Cela a pour effet d’amener les animes à un public nord-américain qui ne s’y serait peut-être pas intéressé autrement.

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« Dès que ça passe sur Netflix, je vais avoir plus de demandes pour cette série, automatique », me confie Adrien Waleryszak, « Des fois, ce n’est pas évident de fournir, surtout quand la série est un peu plus vieille et qu’il y a peu de nouvelle marchandise qui est produite. »

« Hier soir, je me suis couché à 3 h du matin pour rattraper toutes mes séries. »

Thierry Déland, 16 ans, est un des nombreux‧ses à s’être lancé récemment dans les animes. Lorsque je le croise dans le magasin, il est en train de s’assurer avec Adrien que l’article qui lui fait de l’œil sera encore là jeudi soir. « C’est toujours comme ça, tu passes de l’argent à tous tes amis, mais quand c’est toi qui en as besoin, personne regarde ses messages tout à coup », raille-t-il lorsque je l’approche.

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Cela fait à peu près un an que Thierry s’intéresse aux séries d’animation japonaise. Il me raconte qu’un ami lui a parlé du film Koe ne Katachi et qu’il était ensuite passé à la série Beastars, deux titres disponibles sur Netflix. Depuis, Thierry Deland consomme majoritairement ses animes sur Crunchyroll, une plateforme de streaming spécialisée. Lorsque je lui demande s’il se considère comme un fan d’anime, il me répond : « J’aime ça, mais je ne suis pas à fond là-dedans tout le temps… Mais, j’aime quand même beaucoup ça. Hier soir, je me suis couché à 3 h du matin pour rattraper toutes mes séries. »

Gen Z et Millenials du monde, unissez-vous

Sara Michèle Ruel, 27 ans, est professeure d’anglais. Comme moi, elle a beaucoup aimé les animes dans sa jeunesse avant de s’en éloigner pour un moment : « J’ai commencé à lire des mangas après être tombée sur une image au hasard sur Google. J’avais trouvé les personnages beaux, donc j’ai demandé un volume. Puis j’ai commencé à regarder des animes autour de 2006. » Son expérience est semblable à la mienne, ce n’était pas très populaire en dehors de son cercle d’amies. Il faut dire qu’à l’époque, nous n’avions pas accès à des plateformes de streaming pratiques et sécuritaires. Il fallait souvent naviguer sur des sites obscurs bourrés de popups pour regarder des épisodes en basse qualité séparés en 12 parties.

« En faisant des remplacements, je me rendais compte que les élèves aimaient vraiment ça. »

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C’est pour connecter avec ses élèves que Sara Michèle a pris la décision de se remettre aux animes : « En faisant des remplacements, je me rendais compte que les élèves aimaient vraiment ça. Je leur ai demandé des suggestions de séries pour pouvoir en parler avec elleux. » Elle s’est étonnée de la popularité du genre dans ses classes : « C’était tous les types d’enfants, les sportifs, les plus tranquilles, les filles, les garçons. Personne ne se fait embêter pour ça. »

Selon la professeure, l’accès facile à internet des plus jeunes explique aussi leur intérêt. On retrouve d’innombrables références à des animes dans les memes et la culture de l’internet en général depuis quelques années, ce qui expliquerait leur popularité grandissante selon North by Northwestern.

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Ce regain de popularité fait plaisir à Sara Michèle : « Je vois beaucoup de profs de mon âge sur TikTok qui ramènent leur passion pour les animes en classe et qui s’en servent pour créer des liens avec leurs élèves. Avant, ça aurait été mal vu. » Son intérêt pour l’animation japonaise l’a même aidé dans son enseignement : « Les jeunes sont tellement motivé·e·s à me poser des questions sur ce que j’écoute que ça les encourage à parler en anglais en cours. Iels savent que tant que je n’ai pas entendu la question en anglais, je ne vais pas répondre. »

Elle a fini elle aussi par se faire prendre au jeu. « Je voulais écouter quelques épisodes de la série My Hero Academia, juste assez pour comprendre l’histoire un minimum. Finalement, j’ai regardé une centaine d’épisodes en 5 jours ! »

Voilà de quoi alimenter plusieurs futurs cours d’anglais!