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Pour m’assurer de devenir un père en or, j’ai consulté la plus punk des sorcières de France
« Heureusement que vous êtes tombé sur moi », pointe gravement Sonia Lazareff, alors que je foule le seuil de l’appartement parisien qui lui sert de cabinet depuis plus d’une décennie. Venu consulter cette vétéran de l’occulte aux allures d’ex rock star pour gérer d’une main de maître ma future parentalité, je suis d’emblée mis en garde contre la « flambée des charlatans ». Selon des chiffres rapportés par RTL, près de 3 millions de français chercheraient chaque année secours auprès de « professionnel.le.s » de l’ésotérique qui, au total, seraient plus de 100 000 à exercer dans l’Hexagone. Avec, dans le tas, une « écrasante majorité d’escrocs » qui « croient savoir faire après avoir lu deux, trois, bouquins » ou « sont juste là pour détrousser les plus crédules » en promettant monts et merveilles à travers des services similaires, d’ailleurs, à ceux prodigués par notre star de l’occultisme made in France. Prise de contact avec les défunts, repêchage d’amours contrariés, voyance… La différence entre ces devins en toc et mon interlocutrice ? « Une expertise solide, engrangée au fil d’un parcours extra-ordinaire », pose Sonia de sa voix rauque, l’œil perçant, les cheveux en bataille. Avant d’amorcer un récit dont le rocambolesque pourrait avoir tôt fait de convaincre la partie sceptique de sa clientèle qu’ils ont toqué à la bonne porte. Celle d’une « artisan de la vision », tout simplement.
La médium, l’idylle africaine et les vendettas paranormales
Tandis que je scrute d’un œil intrigué la décoration façon « cabinet de curiosités » du séjour dans lequel je m’aventure prudemment, Sonia jette les bases : « On ne devient pas médium, on hérite de la médiumnité ». Ainsi, de génération en génération, les Lazareff auraient été doué.e.s de pouvoirs extraordinaires. De quoi destiner chaque nouveau-né à l’usage de boules de cristal, pendules et autres tables de spiritisme ? Pas forcément. « La voyance n’avait rien d’excitant pour moi. Dans la famille, c’est quelque chose de banal. Et puis une partie de l’art divinatoire consiste à écouter la douleur des autres. Leurs doutes, leurs angoisses… Donc si vous êtes emphatiques, comme moi, embrasser cette voie, c’est la garantie d’un quotidien chargé de sanglots ». Jeune, Sonia ne rêve que d’aventures, de rencontres. Alors l’écoute compatissante façon psy, fût-elle liée à une activité hors norme, très peu pour elle.
Sa soif de découvertes, notre interlocutrice l’étaye d’abord au sein des équipes des “Potins de la Commère”, une émission de France Soir où elle officiait en tant que chroniqueuse, sous l’égide de son oncle, le patron de presse Pierre Lazareff. Après sept ans de loyaux services passés à interviewer le gratin culturel français, cette journaliste au caractère bien trempé rentre en guerre ouverte contre une autre membre de l’équipe, puis claque la porte parce que « quand on s’appelle Sonia Lazareff, on ne finit pas ses jours à France Soir, merci bien ». Et tant pis pour la gloriole, le prestige à deux sous, les mondanités de couloir. Fuck it. Ce que Sonia veut, c’est l’aventure. La vraie de vraie.
Et l’aventure elle trouvera, au parc à thème de la Vallée des Peaux-Rouges, à Fleurine, où elle pilote les spectacles de dizaines de comédien.ne.s avant de quitter le navire. Trop de charge mentale, pas assez de frissons. Fatiguée d’avoir eu sous sa responsabilité des équipes d’une telle envergure, c’est seule qu’elle s’engage dans sa nouvelle odyssée. Sans regard en arrière et avec pour seul bagage les quelques colombes vedettes du numéro d’illusionniste qu’elle vient de peaufiner, Sonia s’envole pour la Côte d’Ivoire. Sur place, elle dispose d’un contrat de représentation artistique d’une durée de quinze jours et… C’est tout. Alors elle enchante le public de ses tours, lit occasionnellement les lignes de mains aux ami.e.s, puis rencontre un homme. À ses côtés, Sonia découvre l’Afrique, vit une idylle et envisage d’ouvrir son propre cabinet de voyance. Elle se sent prête, enfin. Mais le rêve s’effondre lorsque, soudainement, son compagnon décède.
Ivre de chagrin, Sonia cherche des réponses à droite, à gauche. Jusqu’à s’adresser à un marabout local. « Il m’a révélé que la maladie qui avait foudroyé mon partenaire était l’œuvre d’une action occulte ourdie pour me punir, parce que plusieurs estimaient que je n’étais pas à ma place », se remémore avec douleur Sonia. Son destin est scellé. Elle s’initie alors aux arcanes de l’occulte, afin que plus jamais pareil malheur ne s’abatte sur ses proches. « L’étrangère » sillonne durant 14 années l’Afrique de l’ouest pour se former, seule, auprès des plus célèbres fétiches et marabouts de la région – une quête dont elle rapportera l’épreuve dans son ouvrage autobiographique La Sorcière Blanche.
« L’enfant se portera bien, mais gaffe à la belle-mère ! »
Au terme de ce périple, Sonia retourne à Paris puis ouvre un premier cabinet où « les foules se pressent ». Jeunes paumé.e.s, pro du showbusiness, retraité.e.s avides de réponses… Autant de profils auxquels celle qui récuse fermement le titre de « débitrice de carte bancaire » vient « en aide » à des tarifs dont elle taira le montant exact – tout en mentionnant une addition de 100 euros par heure de consultation sur son site. Et sans manquer de s’indigner que certains usurpateurs extorquent plusieurs dizaines de milliers d’euros à leurs victimes. Quant aux instruments utilisés pour manier l’occulte, il faut se risquer à explorer l’« atelier » de Sonia pour les découvrir. Un espace saturé d’objet en tous genres, où se côtoient dans une curieuse harmonie des bijoux, plusieurs artefacts que mes yeux profanes seraient bien peine d’identifier, et une ligue de statues anthropomorphiques avec qui Sonia a pour habitude de « dialoguer ».
« Durant mes travaux, j’utilise des crânes, des muscles, des cordes de pendus, des talismans – mais jamais de sacrifice animal ! Car le sang écoulé se déverse toujours sur soi », rappelle doctement Sonia avant de me dévoiler, l’air rieur, une foule de tiroirs. Des réceptacles qui hébergent par dizaines plusieurs pots de préparations à brûler, bouillir, enterrer… Et à chaque rangée de stockage, sa fonction. « Ça, c’est pour provoquer le retour de l’homme aimé, ça pour les cas de divorce, ça pour la parentalité… », égrène mon interlocutrice, en m’offrant l’occasion de spécifier le motif de ma venue : obtenir des éclairages sur mon avenir. Un jeu d’enfant pour Sonia, qui s’empare alors de son outil de divination favori, le jeu de tarot marseillais kabbalistique – non sans me proposer, au passage, un cigare aromatisé. Une fois réinstallée, Sonia se sert une tasse de thé salutaire. « Lorsqu’on se couche tous les jours à 9h pour se lever une poignée d’heures plus tard avant d’enchaîner les consultations, ces excitants naturels sont indispensables », glisse-t-elle. L’allure plus punk que jamais avec son cigare au bec, Sonia trie les cartes, dispose le jeu puis m’enjoint à formuler ma demande à haute voix.
Ce sera : « quel père serai-je ? ». À moi de tirer quatre « arcanes » auxquels je ne pige rien, mais qui semblent augurer du bon. « Ne vous précipitez pas. L’enfant viendra en temps voulu et vous saurez en prendre soin. Mais pour l’heure, vous êtes dans une période de construction utile, nécessaire à votre développement personnel, qui risquerait d’être menacée par une grossesse ». C’est la carte « Maison Dieu » qui suggère ça, apparemment. Du haut de mes 27 ans péniblement arrimés à une précarité professionnelle constante et des coups de blues ponctuels, il va sans dire que l’analyse ne paraît pas déconnante. Loin s’en faut. Pas de hâte, donc et – surprise ! – une personne de qui se méfier : la « belle mère ». « Bon, elle voudra aider à élever le gosse, c’est bien. Mais quand même, on parle de votre enfant à vous, alors gaffe à ce qu’elle ne pas prenne trop de place ! », s’exclame notre « sorcière blanche », avec son franc-parler caractéristique. N’ayant croisé qu’une fois la route de cette « belle-mère » qu’on me présage invasive, il m’est malaisé de juger ce point. Et nous n’aurons malheureusement pas le temps de creuser le sujet, car mon interlocutrice a rendez-vous dans une poignée de minutes à peine vers un autre quartier de Paris. À l’appel de l’occulte, Sonia ne sait visiblement pas dire « non ». Et c’est à ça qu’on reconnaît une professionnelle du milieu, sans doute.