.png)
Pour l’amour du français (et la haine de l’Académie française)
J’ai une confession à faire.
Même si je suis autrice, même si j’adore le français… Je n’aime pas l’Académie française.
Je sais; je suis scandaleuse.
Le cas du mot « autrice »
Avant d’en connaître plus sur elle, j’imaginais naïvement l’Académie française comme une organisation mythique, presque magique. Un groupe de grands sages aux longues barbes blanches, détenant les secrets de la langue française. Le français, cette force immuable et apolitique aux règles fixes, telles des lois divines gravées dans la pierre.
Puis, je suis tombée sur un débat qui se propageait sur internet. Un des mots les plus controversés de la littérature revenait enfin de son exil injuste. Je parle évidemment du mot « autrice ».
J’ai moi-même déjà levé le nez sur ce mot, mais avec un peu de lecture, je me suis rapidement rangée derrière les autrices. Alors que plusieurs les accusent d’être capricieuses, elles voulaient redonner sa place à ce mot qui existait depuis le 14e siècle, donc depuis beaucoup plus longtemps que l’Académie. Cette Académie qui, peu après sa création au 17e siècle, a retiré le mot « autrice » de l’usage, puisque, selon ses membres, le métier de l’écriture était peu convenable pour les femmes.
J’aimerais vous dire que ce n’est que de l’histoire ancienne, mais, encore en 2019, l’Académie rejetait « autrice » dans son Rapport sur la féminisation des noms – alors que Le Petit Robert, le dictionnaire des wokes, inclut « autrice » comme féminin accepté du mot « auteur » depuis 1996. Dans le débat entourant la féminisation des noms, les académiciens ont décrit l’écriture inclusive comme un « péril mortel ». Il me semble que c’est légèrement exagéré.
L’Académie et sa mission
La mission de l’Académie française a été définie par Louis XIII; « travailler avec tout le soin et toute la diligence possible à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». Ce désir de pureté me met mal à l’aise. Depuis sa création, l’Académie s’oppose ouvertement à la reconnaissance des dialectes régionaux et des langues créoles, propageant cette idée qu’il n’existe qu’un seul français véritable.
Malgré les déclarations souvent controversées de l’Académie, certain.e.s la défendent en disant qu’elle est experte de la langue. Pourtant, actuellement, l’Académie accueille un biologiste, des médecins, des hommes d’Église, des écrivains (bien sûr), et beaucoup d’ex-politiciens, mais aucun linguiste. Plusieurs grand.e.s auteur.trice.s et linguistes à travers l’histoire ont sévèrement critiqué l’Académie, soulignant ses nombreuses erreurs de langue et d’histoire. Elle s’est aussi souvent permise de s’immiscer dans la politique française, alors qu’elle est elle-même peu surveillée par l’État. L’Académie n’est d’ailleurs pas étrangère aux accusations de collusion, de favoritisme et d’incompétence.
Il ne m’est pas surprenant que cette institution plusieurs fois centenaire ait une histoire teintée par le sexisme, le racisme et la colonisation. Ses académiciens, ses « immortels », ont été majoritairement des hommes blancs. La première femme élue fut Marguerite Yourcenar en 1980, malgré une grande résistance de certains membres. Depuis, l’Académie n’a accueilli que 10 femmes, toutes blanches. Le premier académicien noir fut Léopold Sédar Senghor en 1983, suivi seulement par Dany Laferrière en 2015.
Veuillez noter que toutes mes critiques excluent Dany Laferrière.
Monsieur Laferrière, je vous aime.
Mon amour du français
En approfondissant mes recherches, j’ai multiplié mes raisons de détester l’Académie. Cependant, si on écarte ses scandales multiples, ma frustration envers elle reste principalement causée par mon malaise quant à son conservatisme linguistique. Pour moi, la langue est un magnifique phénomène social dont la constante évolution est fascinante. Je trouve absurde de dire qu’un groupe ne parle pas correctement sa langue à cause de règles arbitraires déconnectées de la réalité. Je trouve notre langue belle dans sa diversité, ses nuances et son évolution constante.
D’ailleurs, je ne porte pas dans mon cœur les discours semblables du côté du Québec. Quand je vois certains chroniqueurs et chroniqueuses, pourtant si avides de mots-valises de leur propre invention, dénoncer l’arrivée de mots comme « iel », je ne peux que rire de leurs idées rétrogrades et hypocrites malhabilement déguisées. La langue française est fondamentalement politique et ils tentent d’en faire un outil d’oppression.
Je suis peut-être encore naïve, mais je crois beaucoup plus en la promotion des œuvres francophones qu’à l’idée d’embêter tous ceux et celles qui s’éloignent d’un français estimé parfait. Je pense que l’amour de notre langue passera par l’éducation et la culture. On peut s’amuser avec le français. Il ne doit pas être une cage, mais un terrain de jeu. Je pense aussi qu’on doit apprendre à être excité.e par l’évolution et la diversité du français, et qu’elles ne peuvent amener qu’encore plus de création et d’œuvres à admirer.
Je suis autrice et, même si je n’aime pas l’Académie, j’aime d’amour le français.