Pornographie féministe. Il y a quelques années, peut-être auriez-vous soutenu que ces deux mots étaient profondément incompatibles. Or, les temps changent et maintenant, ces termes désignent du contenu sexuel à la fine pointe de l’éthique et de l’inclusivité.
Si vous tombez sur du contenu en ligne qui place le plaisir féminin et le consentement au coeur de l’action, des scènes réalistes et de la sexualité qui déjoue les stéréotypes, vous êtes peut-être en train de visionner de la pornographie féministe. Dans ce cas, félicitations ! Vous encouragez une alternative à une industrie depuis longtemps jugée sexiste.
Le porno féministe est là pour rester, faisant compétition à son rival, la pornographie dite mainstream, qui présente du contenu tantôt misogyne, tantôt irréaliste. Son objectif ? « Donner des conditions de travail adéquates aux performeurs et aux performeuses », stipule Julie Lavigne, professeure au département de sexologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Ça vient d’où, le porno féministe?
Ne vous méprenez pas : l’émergence de la pornographie féministe ne date pas d’hier. Dès les années 80, des femmes commençaient à produire du contenu ciblant « les couples et les femmes ». L’industrie a véritablement pris de l’ampleur grâce à la productrice Erika Lust, qui a bâti un empire de plusieurs millions de dollars reposant sur le contenu féministe au début des années 2000.
Entre 2006 et 2015, les Feminist Porn Awards récompensaient annuellement les films érotiques féministes sur des critères d’inclusivité et de représentation, entre autres. Finalement, lorsqu’une récente enquête a révélé l’exploitation sexuelle perpétrée par MindGeek (Pornhub), encore plus de gens se sont mis à se tourner vers des options plus éthiques que la pornographie mainstream.
Mieux encore, la pornographie n’est pas qu’une question de mise en scène : en coulisses, des coordonnateur.trice.s d’intimité s’assurent du confort de tout le monde sur le plateau. De quoi réjouir les adeptes de pornographie les plus wokes. Que demander de plus ?
L’idée d’écrire sur la pornographie féministe a germé il y a quelques semaines. La chanteuse québécoise Safia Nolin lançait alors un concours sur Instagram pour gagner des rabais ou des jouets sexuels de l’entreprise Bellesa, qui produit du contenu pornographique féministe. L’artiste queer et féministe, loin de l’idée qu’on pourrait se faire d’une ambassadrice de marque pour une entreprise porno, se révélait en être une.
Qu’est-ce que ça peut signifier pour l’industrie du bien-être sexuel féminin ? Les rideaux de tabous qui cachaient la pornographie comme un secret se lèvent-ils finalement ? La réinvente-t-on, un corps imparfait à la fois ? Démocratise-t-on le plaisir féminin pour en faire une règle plutôt qu’une exception ? La pornographie féministe souhaite hocher la tête à ces questions.
Des frontières floues
« Il y a autant de définitions [de ce qu’est la pornographie féministe] que de gens », estime en riant Mme Lavigne, qui souligne qu’il est difficile de juger ce qui absolument « féministe » et ce qui ne l’est pas. Ce qui est choquant pour certain.e.s peut être tout à fait acceptable pour d’autres, selon elle. D’autant plus que certains éléments de la porno féministe ont, avec le temps, été « rapatriés » par la porno mainstream, rappelle-t-elle, notamment une perspective plus « éthique » de la pornographie.
La pornographie est aussi un reflet de ce qui est idéalisé en société, explique Mme Lavigne.
« Pour l’instant, la pornographie est formatée pour plaire à des hommes qui ne seront pas forcément en accord avec ce qui se passe derrière la caméra, mais qui vont être excités, car ils sont préprogrammés pour l’être », ajoute-t-elle.
Féministe et précaire
La pornographie féministe demeure consommée majoritairement par des femmes ou des personnes qui dévient de la binarité de genre, mentionne Mme Lavigne. Ça s’explique dans un premier temps par l’accessibilité indéniable de la pornographie mainstream, qui, en opposition à son équivalent féministe, est presque toujours gratuite.
L’idée de dûment rémunérer les travailleurs et travailleuses du sexe que revendique la porno féministe est cohérente avec celle de payer pour le contenu pornographique. Et même si le contenu gratuit abonde en ligne, un contenu payant est souvent synonyme de pratiques éthiques, mais aussi de contenu de qualité.
Deuxièmement, reste que la pornographie féministe est une industrie « nichée », pense Mme Lavigne. Ce n’est pas tout le monde qui connaît son existence, et dans d’autres cas, certaines personnes qui en ont connaissance ont quand même recours à la pornographie mainstream dans une perspective d’« efficacité ». Le porno traditionnel constituerait vraisemblablement l’équivalent du fast food (ou du fast fashion), de l’industrie pornographique, explique la professeure de l’UQAM.
Alors que les acteurs et actrices du porno maintream sont souvent réputés pour la quantité d’argent enviable qu’ils génèrent, on ne peut pas en dire autant de ceux et celles qui produisent le contenu féministe. « D’un côté, je ne crois pas qu’Erika Lust a des problèmes d’argent. De l’autre, [l’actrice pornographique] Courtney Trouble, considérée comme la queen de la queer porn, faisait du sociofinancement pour payer sa maîtrise », illustre Julie Lavigne.
Plus une industrie est nichée, moins elle est payante, résume-t-elle.
Si vous êtes convaincu.e des bienfaits de la pornographie féministe, Ethical Porn et Feminist Porn recensent des sites où trouver de la porno féministe et éthique pour tous les goûts en ligne. Dans tous les cas, il est conseillé de faire ses recherches pour s’assurer que la compagnie qu’on décide d’appuyer a des pratiques favorisant l’inclusivité et la sécurité.