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Perry Mason : ne rien respecter, ça fonctionne aussi
Si le nom Perry Mason ne vous dit rien, ne vous en faites pas.
Ça ne veut pas dire que vous avez manqué l’événement télévisuel du XXe siècle ou qu’il y a des lacunes dans votre culture générale. Même s’il est au centre de plusieurs aventures qui se sont vendues à plus 300 000 000 exemplaires, le personnage de l’auteur d’Erle Stanley Gardner est largement oublié aujourd’hui. Déjà quand j’étais petit (disons entre 1989 et 1995), il n’était nulle part dans la culture populaire, sauf dans une série de téléfilms que j’écoutais religieusement lors de rediffusions estivales annuelles.
J’ai donc levé un sourcil en apprenant qu’HBO avait décidé de ressusciter M. Mason en juin, pour une minisérie de 8 épisodes. Contrairement à la logique habituelle lorsqu’un parle de remakes, cette décision ne comprenait aucun avantage financier. HBO n’est pas étranger aux décisions audacieuses, mais pourquoi donc la chaîne souhaitait-elle donner une deuxième vie à un personnage aussi anachronique?
Moi qui pensais m’y connaître en remakes, je dois dire que cette nouvelle adaptation de Perry Mason balaie toutes mes croyances du revers de la main. Est-ce une bonne chose?
https://www.youtube.com/watch?v=rNATvJMPZaA
C’est Perry, mais c’pas Perry
L’affaire, là… c’est que Perry Mason n’est pas exactement un remake. Ni une réécriture. Le personnage que nous propose HBO n’a strictement rien à voir avec l’avocat de la défense droit et fier interprété autrefois à l’écran par Raymond Burr. Parce que, pour votre info, le Perry Mason de mon enfance avait l’air de ça:
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Il a maintenant l’air de ceci:
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Le Perry Mason incarné par Matthew Rhys est beaucoup plus jeune, tourmenté (on y reviendra) et SURTOUT, il n’est pas avocat. Il est enquêteur pour un avocat nommé E.B Jonathan (interprété par le toujours magistral John Lithgow), qui ironiquement, ressemble beaucoup plus au Perry Mason original que Rhys:
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Pourquoi ce changement si radical? Pourquoi repenser catégoriquement un personnage avec une feuille de route aussi étincelante. Deux raisons se révèlent à l’écoute des deux premiers épisodes:
1) Les auditoires contemporains n’ont pas besoin d’un héros justicier qui défend une vision fondamentalement morale du monde. Ils ont les superhéros pour ça. Pourquoi regarder Perry Mason traîner un pas fin en cour pendant 1h chaque semaine quand on peut regarder l’incroyable Hulk le lancer sur une différente planète?
Ce qui est intéressant dans les histoires de crimes sordides, c’est l’humain et c’est exactement ce que fournit la nouvelle mouture de Perry Mason. On y présente le portrait d’un homme ravagé par son service militaire durant la Première Guerre mondiale et par des choix moraux difficiles faits sur le champ de bataille. Il enquête sur une histoire de kidnapping ayant causé la mort d’un petit garçon, pour la défense d’une famille extrêmement pieuse.
On y présente le portrait d’un homme ravagé par son service militaire durant la Première Guerre mondiale et par des choix moraux difficiles faits sur le champ de bataille.
On apprend aussi lors du premier épisode que Mason est divorcé et lui-même père d’un enfant. Fini l’avocat de fer qui bénit les âmes perdues de sa justice sans failles. Le nouveau Mason est plus nuancé, humain et porte le poids des horreurs auxquelles il fait face. Il a beau évoluer plus loin dans le passé, il est beaucoup plus contemporain. Il boit, il pue, il a une tâche de moutarde sur sa cravate. Bref, il nous ressemble davantage!
2) C’est vraiment la perception d’un gars qui connaissait déjà le personnage… maaaaaiiis, je crois qu’il va ÉVENTUELLEMENT devenir avocat. Tout pointe dans cette direction: il travaille déjà pour un avocat, connaît la loi, ne fait confiance à personne, déteste les flics et déteste encore plus l’injustice. Un vrai charmeur. C’est juste logique qu’il prenne la justice en main lui-même.
Si Lorsqu’il deviendra avocat, l’auditoire aura investi émotionnellement en lui de façon beaucoup plus puissante et significative que le personnage original. Le nouveau Perry Mason se soigne lui-même en réglant les problèmes des autres, comme lorsqu’on décide de rendre service à quelqu’un au lieu de boire notre vie après une journée de merde. Perry, c’est un gars du peuple.
Trop de stéréotypes, c’est comme pas en avoir du tout
Des rues mal éclairées, des flics arrogants et corrompus, une preacher étrangement sexy qui attire les foules, des complets, des fedoras portés par d’autres gens que des incels... l’esthétique de Perry Mason ne se gêne pas pour emprunter au film noir. Elle en est presque caricaturale.
À un point tel qu’elle en devient fascinante. Bien que ce genre d’esthétique indulgente ne soit d’habitude pas ma tasse de thé, mais dans le cadre de Perry Mason ça fonctionne. Mais pourquoi donc?
Je crois que c’est une question d’attentes. Si un film ou une série choisit délibérément une esthétique aussi stéréotypée et over-the-top, c’est qu’elle établit des attentes très claires. Les rôles sont prédéterminés: on sait qui sont les méchants, qui sont les bons et plus ou moins où ça s’enligne. À partir de là, elle ne peut que surprendre et redéfinir notre perception du genre.
C’est déstabilisant, un peu comme boire deux Four Loko en même temps, sur un skate en sautant d’un avion. Les thrills familiers se transforment si on les pousse à leur extrême.
Le traitement des flics y est d’ailleurs savoureux. Tout d’abord dépeints comme des opportunistes paresseux cherchant à « résoudre » le meurtre de l’enfant de Matthew et Emily Dodson le plus rapidement possible, on apprend à la fin du premier épisode que l’un d’entre eux est lourdement impliqué dans le kidnapping et que sa présence même nuit à l’enquête.
La police n’est qu’une institution dysfonctionnelle parmi tant d’autres dans un monde où rien ne fonctionne comme il faut. Le stéréotype du policier corrompu est poussé à un extrême si flagrant qu’il en devient… original?
Vous voyez ce que je veux dire? Au lieu de combattre les stéréotypes, Perry Mason les dénature en repoussant leurs limites. C’est déstabilisant, un peu comme boire deux Four Loko en même temps, sur un skate en sautant d’un avion. Les thrills familiers se transforment si on les pousse à leur extrême.
Si vous êtes fans de l’original, soyez avertis : ce remake ne respecte absolument rien et c’est parfait comme ça.