Logo

Peppa Pig est-elle un danger public ?

Enquête épineuse sur la truie la plus polarisante du petit écran.  

Par
Malia Kounkou
Publicité

Aucun signe de fin du monde plus criant que le dessin animé britannique Peppa Pig, si l’on se fie à un nombre grandissant de parents.

Pourtant, aux yeux des légions d’enfants à travers le monde qui suivent les aventures de la célèbre héroïne, elle n’est qu’une gentille petite truie de 4 ans qui aime sauter dans les flaques de boue, taquiner son papa et dire tout ce qui lui passe par la tête.

Les parents à bout de patience la qualifient plutôt de petite peste « vulgaire, méprisante et grossophobe », sociopathe, impatiente, âgiste, promafia et agente double du patriarcat.

Publicité

À la source de ces griefs, une poignée d’épisodes assez incriminants.

Comme celui où Peppa annonce à son père qu’il est « gros » avant de le forcer à faire 100 push-ups, celui où Peppa raccroche au nez de son amie Suzy car elle est jalouse que celle-ci sache siffler, celui où Peppa choisit « Le Gros Ventre De Papa » comme mot de passe pour entrer dans sa cabane, celui où Peppa essaie de vendre tous les jouets de son frère George à son insu, celui encore où Peppa tente de tuer George à l’aide d’une gigantesque boule de neige…

Bref, dans le palmarès des cochons polarisants de la télévision, disons que Peppa Pig a détrôné le tout premier épisode de Black Mirror.

Et le reste de la famille de Peppa n’est pas plus apprécié.

« Plus que nul »; voici les termes choisis par une thérapeute pour décrire Papa Pig, champion du monde de l’incompétence stratégique, qui offre une barre de chocolat déjà entamée à Maman Pig pour la fête des Mères.

Publicité

Quant aux crimes de George Pig, le petit frère de Peppa, ils consisteraient surtout à « promouvoir des habitudes de vie malsaines » en piquant des crises de colère pour obtenir ce qu’il veut et en préférant du gâteau au chocolat à une assiette de légumes.

« Mais certains parents diront [que l’émission] ne fait que décrire le comportement normal des enfants, ce qui rend le tout attachant », relativise un article listant les péchés de Peppa Pig et de son entourage.

Ce qui est finalement la mission du dessin animé, qui dresse le portrait volontairement honnête d’un enfant de 4 ans apprenant la vie en société, un « beurk » à la fois.

Publicité

« Peppa réagit naturellement et authentiquement au monde qui l’entoure tout en ayant la capacité d’exprimer ce qu’elle ressent », confirme Esra Cafer, vice-présidente de la société mère de Peppa Pig. « Certains parents peuvent considérer ça comme trop direct ou grossier. Nous, nous le considérons comme une forme d’affirmation et de confiance en soi. »

…ou bien de l’arrogance proche de l’état dictatorial. Ce qui explique pourquoi certains parents chassent l’émission de leurs maisons, de peur que Peppa n’apprennent à leurs enfants « influençables » que les mots « s’il te plaît » et « merci » sont facultatifs.

Sauf que le ciel ne redevient pas forcément tout bleu une fois Peppa Pig bannie de l’iPad familial; en effet, tous les autres dessins animés célèbres, ou presque, sont autant décriés, certains parents craignant que leur enfant émule ce qu’il consomme.

Pokemon ? Il deviendra agressif. Caillou ? Capricieux. Bob L’éponge ? TDAH. Pat’ Patrouille ? Capitaliste. Dora L’exploratrice ? Stupide. Winx ? Hypersexuel. Power Rangers ? Raciste.

Publicité

Bon, à la défense de ce dernier ajout, le Ranger noir était noir, le jaune était une femme asiatique, le rouge autochtone et le blanc, un Caucasien présenté comme étant le membre le plus fort de l’équipe.

Mais votre enfant va-t-il véritablement devenir xénophobe et proche des sous qu’il n’a pas encore après avoir visionné quelques épisodes des Power Rangers et de Pat’Patrouille ? Autrement dit, les dessins animés feraient-ils réellement concurrence aux valeurs que vous vous efforcez d’inculquer à vos enfants?

Avant d’y répondre, assurez-vous que vos valeurs correspondent à celles des autres adultes qui combattent l’existence même de ces productions jeunesse.

Il se peut, par exemple, que « l’étrange ligne féministe » dans Peppa Pig ne soit pas tant un problème pour vous, mais que la propagande anti-pantalon dans Winnie L’Ourson le soit.

Publicité

Et vous auriez raison de craindre que cette allergie vestimentaire ne déteigne sur votre petit, surtout s’il est à l’âge où le cerveau est encore plus en ébullition que celui d’un adulte, n’attendant que le moindre stimulus pour gagner en personnalité.

Donc vers 3 ans, selon le magazine Scientific Research, qui décrit les dessins animés comme « l’un des principaux facteurs qui sculptent le cerveau humain, ce qui entraîne un ensemble prédéterminé de façons de penser et de comportements ».

Trop d’heures devant Peppa Pig ne pourra alors qu’influencer le langage, les réactions et la perception de celui-ci, pour le meilleur (en lui apprenant très tôt l’importance de s’affirmer) et pour le pire (en fatshamant son pauvre père, un dimanche matin, dès 7h04).

Ou pour le neutre, comme avec cet « effet Peppa Pig » constaté en 2021, lorsque des enfants très américains ont développé le même accent très british de l’héroïne.

Publicité

Pas de panique, toutefois, car l’accent finit toujours par partir et le vocabulaire, par s’enrichir avec le temps, au fil des contacts humains.

« Les enfants n’acquièrent généralement pas le langage à partir d’une forme de communication à sens unique telles que la télévision ou une tablette [mais] grâce à de riches interactions avec les gens dans leur vie », confirme ainsi Dre Sarah Verdon, experte en orthophonie.

Nul besoin, donc, de mettre votre enfant à la diète éducative en le forçant à visionner la version en 6 heures d’Orgueil et Préjugés.

Publicité

Ou encore de lui interdire formellement de poser les yeux sur tout ce qui ressemblerait à un cochon rose, y compris au rayon surgelé.

Après tout, vos enfants vont toujours préférer un programme coloré et divertissant à un TED Talk de 17 minutes sur la meilleure façon de tenir son biberon. Sauf, bien sûr, s’il est donné par Peppa Pig elle-même.