Avez-vous remarqué l’engouement incroyable que connaît le stimulateur clitoridien, ce sextoy externe qui diffuse de l’air pulsé et permet ainsi, sans le toucher, de faire vibrer votre clitoris et, selon les promesses de certaines marques, de nous donner un orgasme en à peine TROIS MINUTES ?
J’ai demandé à plusieurs marques leurs statistiques de vente, parce que je voulais en avoir le cœur net. Vague de plaisir est un love shop engagé, sur lequel la fondatrice propose des conseils pour bien choisir son premier jouet. Pauline m’envoie des chiffres sans appel, au cours des derniers mois d’activité, son e-shop a vendu 91,5% de stimulateurs clitoridiens, contre 8,5% de vibromasseurs externes (ces chiffres n’incluent pas les vibrateurs Rabbit, qui font double emploi, ni tous les autres types de sextoys). Ces chiffres ne me surprennent à vrai dire pas beaucoup, pas plus qu’ils n’ont surpris Pauline.
Un autre loveshop, Rue des plaisirs, me confirme la tendance : au total, tous jouets confondus, les stimulateurs clitoridiens représentent 9% du montant de leurs ventes au cours de la dernière année. En seconde place, on retrouve des lovetoys dits masculins, à savoir les vaginettes réalistes, qui représentent 7% du volume total de vente. Les Rabbits, eux, se sont vendus à hauteur de 6%, et 5% des ventes sont des vibromasseurs, des sextoys à stimulation interne donc.
Le vagin, ça ne sert à rien ?
Voilà pourquoi cela ne m’étonne pas : 62% des femmes ont déjà simulé un orgasme, selon une étude Ifop menée en 2019. L’institut nous partageait déjà une information capitale sur le sujet en 2017, en nous indiquant que 46% des femmes se masturbant reconnaissent atteindre plus facilement un orgasme seules.
Le sexe dit “classique”, c’est le sexe phallocentré, celui-là même qui appelle les caresses ou le cunnilingus “préliminaires” et qui a décrété depuis des siècles que le seul vrai rapport sexuel, c’est un pénis qui pénètre un vagin. Celui-là même encore, qui a décidé que le point culminant — et final — d’une relation sexuelle digne de ce nom n’est nul autre que l’éjaculation masculine.
Pourtant, les chiffres exposés plus haut montrent bien que le moyen le plus efficace de jouir, quand on a une vulve, c’est de stimuler son clitoris. L’orgasme vaginal n’existe pas, puisque même si la pénétration nous excite, c’est grâce aux deux bulbes du clitoris qui entourent le vagin, et que bien souvent, aucun orgasme n’est possible sans sa stimulation.
Alors, pourquoi continue-t-on à avoir des rapports pénétratifs ?
Et des rapports qui oublient généralement encore complètement le clitoris qui plus est !
Quand on prend du recul, on se rend compte qu’il y a clairement un héritage religieux, mais aussi une conception reproductive de la sexualité, qui a pendant longtemps complètement mis de côté le besoin des personnes ayant une vulve. Encore aujourd’hui, le sexe souffre de l’hétéronormativité de la société et d’un héritage religieux qui pose en pratique honteuse toute pratique s’éloignant de la pénétration du pénis dans le vagin.
On le sait, Freud a fait beaucoup de mal à la sexualité féminine. Selon lui, les jeunes filles sont incomplètes et inférieures aux hommes de par leurs organes génitaux, situés à l’intérieur, le clitoris n’étant qu’un pénis non abouti. Le clitoris, organe du plaisir (il ne sert a priori à rien d’autre qu’à kiffer), a été longtemps invisibilisé, au profit d’une sexualité où seul le plaisir masculin comptait : 95% des hommes atteignent toujours l’orgasme pendant un rapport sexuel.
De plus, l’héritage religieux a des conséquences majeures sur notre sexualité. Personne est sans savoir que seule l’hétérosexualité compte pour les religions monothéistes, mais aussi que le sexe a un objectif de performance : il doit permettre de faire naître des enfants. La contraception est encore très mal vue par l’Église.
Pourtant, comme l’explique d’ailleurs Martin Page dans son ouvrage Au-delà de la pénétration, cette sexualité ne sert à personne : elle limite la créativité et donc le plaisir. Si, pendant des siècles, les personnes dotées d’une vulve ont mis de côté leur plaisir, le fait de réaffirmer notre volonté de jouir pleinement est bénéfique à tout le monde, y compris aux hommes au sein de relations hétérosexuelles !
Attention, si vous possédez un vibromasseur et que vous l’aimez, cela ne fait pas de vous quelqu’un d’anormal, je vous rassure ! D’ailleurs, j’ai aussi demandé au loveshop Clara Morgane Store, et au cours des 3 derniers mois (chiffres du 1er janvier au 31 avril 2021), 61% de leurs ventes représentent des Rabbits, les sextoys à la fois internes et externes, tandis que les stimulateurs clitoridiens représentent 39% du volume de vente. Il y en a pour tous les goûts donc. Néanmoins, même ces chiffres montrent bien que la stimulation clitoridienne doit généralement faire partie de nos pratiques pour atteindre l’orgasme !
Il y a autant de manières d’atteindre l’orgasme que de personnes, mais écoutons peut-être un peu plus Martin Page à nouveau qui indiquait dans l’ouvrage cité plus haut : « Et puis, à force de pénétrer, à force de ne penser qu’à ça, on oublie tout le reste, on ne voit pas l’étendue du corps. Pénétrer, c’est passer à côté et fuir. C’est penser qu’on fait l’amour alors qu’on s’en débarrasse. »