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Peggy Porquet, dans l’ombre des grands reporters

Une carrière à témoigner du monde qui nous entoure.

Par
Héloïse Crémoux
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Son nom vous évoque peut-être quelque chose, mais son visage ne vous dit peut-être rien. C’est normal : Peggy Porquet a passé sa vie à travailler, coordonner des équipes de photojournalistes qui, avec leurs images, ont fait l’Histoire. À tous ses évènements, elle est intimement liée. Montrer les évènements marquants sans être vue, c’est sa philosophie. Pour une fois, et pour URBANIA, elle a décidé de se mettre sous les projecteurs. Rencontre avec un personnage extraordinaire dont la mission au sein de la communauté journalistique internationale marque quotidiennement et silencieusement les esprits.

Pouvez-vous me rappeler votre parcours ?

Rien ne me prédestinait au départ à être dans le monde du journalisme. En fait, je suis maître en histoire médiévale. Je voulais faire de la recherche au CNRS. Je suis tombée dans le monde du photojournalisme complètement par hasard, parce que j’avais rencontré quelqu’un qui tenait sa propre agence dans les Yvelines : Franck Stromme. Il m’a tout appris, et il est devenu un peu comme mon grand frère. C’était un ancien de Stills, qui était une des agences people de Gamma. Il a été photographe officiel de Prince, Bowie, etc. Un jour, il y avait une petite annonce chez Sygma, qui était pour moi le rêve parce que c’était une des plus grosses agences à partir des années 80-90 (les 3 A : Sygma, Sipa, Gamma). Bref, je suis rentrée par la petite porte. C’était super, parce que je me suis familiarisée avec les points rouges (ndlr, les négatifs originaux) avec des photos historiques, iconiques, et ça m’intéressait parce que justement, ça faisait partie de l’Histoire. Ensuite, je suis passée par le service export, où je gérais la production de 42 pays différents, donc je faisais la communication, et production de tout ce qui était relié à la photographie et au photojournalisme auprès des correspondants de Sygma.

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À la fin, je suis devenue rédactrice en chef, et je tenais tête à une direction américaine (Sygma, revendue à Bill Gates, Corbis). L’essence du photojournalisme était un peu le cadet de leurs soucis, alors je me suis battue pour qu’il y ait cette culture de reportage, pour que ça ne disparaisse pas. J’ai aussi eu la chance d’avoir des mentors exceptionnels, parce que c’est un métier dur. J’ai eu la chance d’avoir des gens extrêmement bienveillants, à la fois les dirigeants qui étaient dans les bureaux de Paris et aussi avec les photojournalistes sur le terrain, qui étaient plus âgés que moi.

C’est là que j’ai rencontré, il y a plus de 20 ans, mon ami et actuellement associé Emmanuel Razavi, grand reporter, qui a couvert nombre de choses : il a été en poste en Afghanistan, il a fait beaucoup de reportages pour Arte, pour Le Figaro, etc. Il fait aussi partie de mes mentors. Il m’a appelée en 2018 pour qu’on crée GlobalGeoNews qui s’appelle maintenant FILD. Et me voilà aujourd’hui !

Quels sont les événements qui vous ont le plus marquée dans votre carrière ?

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Ce sont les grands évènements de l’Histoire, par exemple la mort de Jean-Paul II, immortalisée par Gianni Giansanti, Alessandra Benedetti.

Les Printemps Arabes m’ont également beaucoup marquée. Je m’attachais surtout à accompagner mes photographes, à créer des accès, à négocier avec les autorités. A ce moment-là, il y a toute une génération de jeunes photographes qui a émergé. Je coordonnais 11 photographes en Libye, 8 au Caire. Au total je gérais 170 photographes actifs en tout dans le monde. C’est à dire que je gérais les reportages, mais aussi la sélection d’images, la mise en forme (l’editing). Ensuite, à l’agence, je proposais ces images à des journaux internationaux (Times, Newsweek, etc).

Ce qui m’a beaucoup marquée, c’est la Syrie, parce que beaucoup de journalistes ont été pris pour cible, comme Marie Colvin et Remi Ochlik. Un photographe polonais aussi, Marcin Suder, y a été pris en otage pendant 4 mois. Ça a été assez traumatisant. En Lybie aussi, j’avais un photographe qui travaillait pour l’agence qui a été blessé dans une attaque. C’est ça qui est terrible dans ce genre de conflits, les journalistes sont souvent pris pour cible. Ils ne sont pas des têtes brûlées, ce sont des gens aguerris, comme Marcin Suder qui a fait de nombreux reportages en Somalie, en Afghanistan, ou encore en Birmanie. Mais quand ils arrivent sur le territoire, c’est clandestinement, donc si ils se faisaient prendre par l’armée, c’était quelque chose…

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Toute cette génération de photographes qui travaillent maintenant pour le New York Times, qui ont gagné des prix World Press (ndlr, festival de photo mondialement connu, basé à Amsterdam qui organise un concours annuel de photographie de presse) étaient des gens extraordinaires, très solidaires les uns des autres, et j’ai eu cette chance de les accompagner pendant plusieurs années, jusqu’en 2016. C’est assez émouvant pour moi de parler de tout ça, mais c’était au-delà du simple boulot de rédactrice en chef. Il y avait une implication humaine aussi.

Comment avez-vous fait dans votre métier pour vous préserver émotionnellement de tous ces événements difficiles ?

J’ai vu l’horreur de l’humanité en images pendant plusieurs années. Quand j’étais jeune rédactrice, ça m’affectait profondément. Ça m’affecte toujours, mais on prend du recul en passant du temps avec sa famille, en essayant de respirer. Mais ce qui m’animait, c’était témoigner, montrer. C’est une obsession de raconter ce qu’il se passe, en restant toujours dans la déontologie de sa profession.

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Comment vivez-vous votre carrière en tant que femme ? Y-a-t-il des difficultés rencontrées supplémentaires dans le métier lorsqu’on l’est ?

En tant que rédactrice en chef, j’étais peu sur le terrain et je dirigeais des équipes à distances. La plupart du temps lorsqu’il m’est arrivée d’aller sur le terrain, comme la fois où j’ai accompagné un collègue de chez Reuters au Liban, je n’ai pas eu de difficulté particulière. Quand je suis allée en Israël, je n’avais pas pu passer à Jérusalem Est, les soldats m’avaient arrêtée, gentiment mais fermement.

Par contre j’ai accompagné des femmes photographes qui ont couvert des événements, je pense à Sarah Caron, qui est pour moi une des meilleures photographes françaises. Elle a pris des risques insensés au Pakistan ! Une femme ne va pas moins travailler qu’un homme. Je pense que dans l’Histoire, les photojournalistes femmes qui sont parties au front, comme par exemple à la guerre au Vietnam, ne se sont pas posées toutes ces questions, et je pense que ça continue aujourd’hui.

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Cependant au sein des rédactions, les langues commencent à se délier et des accusations pour faits de sexismes commencent à ressurgir. Mais personnellement je n’ai jamais eu de témoignages de faits de sexisme, et de toute façon, je leur serais rentrée dedans (rires) ! D’ailleurs, au sein de notre magazine FILD, on met beaucoup les femmes à l’honneur au sein de notre équipe. On ne se pose pas la question de la différenciation, pour nous l’égalité homme-femme est juste naturelle.

Selon vous, sur quel terrain est-ce le plus important d’être lorsqu’on est journaliste, aujourd’hui ?

Le grand reportage, ça commence au bas de la rue. C’est donner le parole aux gens, recueillir des témoignages. Avoir une déontologie. Expliquer ce qu’est ce métier, que ce n’est pas uniquement prendre en compte un fait. Le journalisme est doté d’empathie et d’intellect. Tout est bon à faire, mais que ce soit au bout du monde ou en bas de la rue : il y a toujours quelque chose à raconter. Une chose qui me préoccupe en ce moment, ce sont les réseaux sociaux. Beaucoup d’internautes réagissent aux titres d’articles mais ne les lisent pas…

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Que pensez-vous de l’implication des réseaux-sociaux dans le vie médiatique ?

Le problème des réseaux sociaux, c’est que tout va vite. Aujourd’hui, lorsqu’on voit une annonce, un sujet, tous les grands journaux vont reprendre les informations d’une grande agence. On ne cherche pas à apporter un récit, on se contente de donner une info. Il y a aussi des internautes qui cherchent par eux-mêmes les informations. Et ces informations ne sont pas forcément vérifiées. Il n’y a pas de contrôle des publications sur les réseaux sociaux, comme sur Twitter par exemple. Ce qui me préoccupe aussi, c’est l’éditorialisation sur les plateaux télés : vous avez un médecin qui va vous parler de sécurité, ou encore un économiste qui va vous parler du vaccin. Ça crée de la confusion et donc de la défiance.

Notre mission en tant que journaliste aujourd’hui est de réexpliquer notre métier. Et surtout le journalisme de terrain ! C’est l’enjeu qu’on a avec FILD parce que nos infos ne viennent pas d’une grande agence, mais du terrain. On est un peu hybride en tant que média, parce qu’on travaille avec des chercheurs, des analystes, des gens qui ont été sur le terrain, en plus des reporters.

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Quels sont les conseils que vous donneriez à des jeunes qui veulent se lancer dans le journalisme aujourd’hui, et qui ont grandi avec l’omniprésence des réseaux sociaux dans leur vie ?

Pour moi, les deux mots clés dans le journalisme sont « vérifier » et « recouper ». Ça, c’est super important. Il ne faut pas se contenter de reprendre des informations. S’il y a un doute, il faut essayer de parler avec un expert, une personne légitime. Il faut aussi savoir d’où on parle, et à qui on parle.