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Patients atteints de troubles psychiques : le difficile accès aux soins somatiques
Dans le secteur médical, il arrive que des personnes atteintes de troubles psychiques voient leurs douleurs minimisées ou ignorées par le personnel soignant. Des jeunes femmes témoignent.
« La psychophobie tue. » Sur Twitter, une internaute raconte son errance médicale : « Quatre ans que j’ai une douleur dans la gorge, quatre ans que tous les médecins que j’ai consultés ont mis ça sur le dos de mes antécédents psychiatriques », déroule-t-elle dans un long thread. A l’issue de multiples rendez-vous médicaux, une tumeur est détectée. « J’ai mes chances, mais elle a été diagnostiquée très tard. Ce n’est pas très engageant pour moi mais on va affronter cela », lâche-t-elle dans l’un de ses messages. Plus de 20 000 personnes aiment son post. Sous les mots d’encouragement, des utilisateurs font état de problèmes similaires. Selon les patients et les organisations qui luttent contre les discriminations des personnes vivant avec des maladies psychiques, le constat est le suivant : l’accès aux soins somatiques de ces patients comporte de nombreux obstacles.
« Il s’agit d’un problème multifactoriel. La stigmatisation systémique liée aux problèmes psychiques y est pour beaucoup », analyse Aude Caria, directrice de Psycom, un organisme public d’information sur la santé mentale. Contactées via Instagram, des femmes atteintes de troubles psychiques divers racontent les préjugés ou le mépris dont elles ont été victimes de la part des soignants ou de leur entourage. « Parfois, il arrive que l’on mette sur le dos du psychique de vrais problèmes physiques. Autrement dit, on taxe les personnes d’exagérer », reprend la spécialiste. C’est ce qui est arrivé à Maria*, 27 ans. Entre 2012 et 2015, la jeune femme dépressive souffre de douleurs chroniques et de paralysie intermittente du bras gauche. « Plusieurs médecins – au courant de mon état psychologique – ont préféré me coller l’étiquette d’une fille trop sensible, folle ou bien d’une affabulatrice », raconte-t-elle. A noter que lorsqu’un patient voit un médecin, ce dernier peut avoir accès à ses antécédents psychiques si le dossier est partagé.
« J’aurais pu perdre l’usage de mon bras à terme »
Lors des consultations, les professionnels de santé se renseignent sur la personnalité de Maria. Quand ils se tournent vers ses parents, ces derniers mentionnent une forte « sensibilité ». L’un des médecins minimise sa souffrance physique : « Il me répond qu’il vaut mieux aller voir un psychiatre si la dépression me provoque des montagnes de petites douleurs. » L’errance médicale de Maria dure trois ans. Le diagnostic tombe : un nerf dans son bras est en « grande souffrance », une opération est nécessaire. Le chirurgien glisse à la jeune femme que ce type de blessure se soigne très bien lorsqu’elle est prise en charge rapidement. Ce n’est pas le cas de Maria. Aujourd’hui, elle souffre d’arthrose et de douleurs chroniques. Elle a aussi perdu en souplesse. « J’en ai gardé des séquelles et j’aurais pu perdre l’usage de mon bras à terme », assure-t-elle. Selon une brochure d’information publiée par Psycom en 2019 et intitulée « Soins somatiques et psychiatrie », une personne atteinte de troubles psychiques a plus de risque d’être victime de retards de diagnostic somatique.
D’autant que l’un peut entraîner l’autre. « Il y a des personnes qui présentent des troubles somatoformes : des troubles d’origine psychique, mais qui ont véritablement une traduction somatique. Ils vont pouvoir générer des stigmates corporels, des troubles musculaires squelettiques, gastro intestinaux et qui vont devenir somatiquement vrais », dévoile Xavier Briffault, chercheur spécialisé sciences sociales et santé mentale au Centre nationale de recherches scientifiques (CNRS), dont une importante unité est basée à Lyon. Les troubles mentaux ou psy peuvent avoir un impact majeur sur le système neurovégétatif. S’il est déséquilibré, la digestion ou le système cardiovasculaire se retrouvent perturbés. Les conséquences peuvent aussi être importantes sur la concentration ou l’obésité. « Il y a des corrélations importantes entre les troubles métaboliques et les troubles mentaux », reprend Xavier Briffault.
Dans d’autres cas, il arrive que les gens souffrent mais qu’on ne trouve rien lors de l’examen sanguin. « La douleur morale de la dépression emprunte les mêmes circuits neurologiques que la douleur physique, ce qui diminue le seuil de la douleur », indique le chercheur. De son côté, Aude Caria déplore que les professionnels de santé observent une personne seulement à travers son diagnostic psychique, « sans entendre la plainte physique et réelle ». En 2019, Manon souffre de trouble du spectre de l’autisme (TSA) et se plaint d’une douleur à la cheville. Après une radio du pied, le médecin est catégorique : elle n’a rien. Soit mes douleurs articulaires étaient liées à mon surpoids, soit je n’étais pas crédible parce que j’étais autiste », commente-t-elle. Un an après – en octobre dernier – une IRM révèle que son ligament n’est presque plus accroché. La jeune femme dit souffrir d’une entorse depuis des mois, qui s’est aggravée faute de soins. « Si mon entorse avait été soignée à temps, cela m’aurait été évité d’en faire d’autres. J’aurais moins abîmée mes ligaments», peste la jeune femme.
« Une coordination difficile »
Actuellement, Manon attend de savoir si elle souffre du syndrome d’ehlers danlos – une maladie héréditaire rare du tissu conjonctif qui aboutit à une souplesse anormale des articulations, une peau très élastique et des tissus fragilisés. Lorsqu’elle déroule son expérience, la patiente avoue avoir eu parfois du mal à reconnaître ses douleurs avec ses troubles autistiques. Une situation fréquente selon Aude Caria : « Certains troubles psychiques conduisent à minimiser les douleurs. » Ce qui n’était pas le cas d’Emma qui se souvient « hurler » de douleurs. Diagnostiquée dépressive et borderline il y a un an et demi, elle souffre de problèmes d’estomac en mars dernier. Aux urgences, le médecin ne la croit pas, il lui donne de la morphine. Emma ne comprend pas : « Il me dit que je peux rentrer chez moi, que ce n’est rien.» Avec sa mère, la jeune femme se rend plusieurs fois aux urgences. Deux mois plus tard, le gastro-entérologue diagnostique une irritation de l’estomac.
« Il y a une coordination encore difficile entre la psychiatrie et le reste de la médecine », poursuit Aude Caria. Afin d’améliorer la prise en charge des patients atteints de troubles psychiques, l’organisation Psycom a esquissé quelques pistes de travail. Par ailleurs, Aude Caria estime qu’il faut apporter une vigilance particulière aux effets indésirables des médicaments psychotropes sur la santé physique (par exemple troubles cardio-vasculaires, cholestérol, diabète, etc.). En parallèle, les patients atteints de troubles psychiques peuvent avoir une surconsommation de toxiques, de tabac ou encore d’alcool. « Chez les personnes suivies en psychiatrie, il y a beaucoup moins d’attention concernant la prévention du tabac ou des maladies en général que pour d’autres personnes », atteste Aude Caria. Par rapport à la population générale, l’espérance de vie des personnes vivant avec des troubles psychiques est écourtée de 13 à 16 ans et leur taux de mortalité est trois à cinq fois supérieur selon l’Organisation mondiale de la Santé.