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*** URBANIA et SEPT magazine unissent leurs forces pour vous proposer une série d’articles autour du thème de la gourmandise.
N’hésitez pas à soutenir ce média papier indépendant a lancé son nouveau numéro ce 4 mai sur le thème de la luxure. ***
16 millions : c’est le nombre de tonnes de pâtes produites dans le monde chaque année. Et cette petite lubie gastronomique ne date pas d’hier. De la Chine à l’Italie, en passant par Hollywood, les pastas séduisent les foules pour se manger sans faim. Il en existe plus de 600 variétés (de quoi en finir clairement écœuré·e). Pourtant, les pâtes détonnent et résonnent dans nos quotidiens. Varier les formes pour être parfaites en toute situation : voici leur plus grand avantage. Un jour longues et fines, un autre rondes et petites, les pâtes s’adaptent et collent à toutes les identités. Mais parmi les plus belles de l’Italie, il y a celles auxquelles personne ne résiste : les spaghettis.
Si tu doutes encore de l’influence de cette denrée impossible à caser dans une casserole, alors pourquoi tout le monde se fait-il photographier en train de les bouffer ? Petit zoom sur ce mythe aussi délicieux qu’improbable.
Il était une fois un spaghetto
Aujourd’hui la popularité de cet aliment fait l’unanimité. Grand mets du XXème siècle, les spaghettis trouvent leur écho dans les bouches les plus célèbres du globe. Mais avant de devenir un bien populaire et démocratisé, ils étaient exotiques, fervents symbole de la dolce vita italienne. Depuis, ils n’ont jamais quitté nos assiettes.
Le berceau des pâtes et plus précisément des spaghettis se trouve à Trabia, ville portuaire du sud de la Sicile. Très vite, les pâtes deviennent le plat préféré des sicilien·ne·s. Cette spécialité dont iels détiennent le secret séduit peu à peu toute l’Italie. Chaque région va alors s’essayer à l’art de la pasta. Des dizaines et des dizaines de variétés voient le jour, si bien que les italien·ne·s vont oublier l’origine sicilienne des spaghettis.
Mais il y a une autre raison pour laquelle nous avons oublié le pédigrée de ces pâtes typiques. A l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, des entrepreneurs américains décident de commercialiser les fameuses pâtes dans leur pays. Problème : les sicilien·ne·s, à l’initiative de cet or jaune, ont très mauvaise réputation. Pègre, mafia et banditisme sont des mots qu’on associe facilement à ces personnes pourtant venues s’installer aux États-Unis à la recherche d’une vie meilleure. La prohibition a laissé des traces et on ne compte plus les bandits dans les rues, le plus connu d’entre eux restant le légendaire Al Capone. Bref, pas très commerciale comme image quoi.
Pour une meilleure internationalisation du produit, les compères choisissent de gommer l’origine sicilienne des spaghettis et d’inventer une légende plus appétissante. Selon ces filous, ce serait l’explorateur Marco Polo qui les aurait ramenées dans ses malles à Venise, en revenant d’un voyage en Chine. Ce serait de la plus belle et la plus respectable ville d’Italie que le mythe culinaire des spaghettis serait né, pour finalement se répandre partout dans le monde. Le conte marketing était lancé.
Quand le tout Hollywood s’invite à manger en Italie
Les années sont passées, les spaghettis sont devenus vénitiens. Même si certain·ne·s évoquent l’origine asiatique ou sicilienne des pâtes, c’est la belle Venise qui a gagné la garde, où l’on se presse pour déguster le fameux mets.
À cette époque, les réalisateur·trice·s cinématographiques ont élu domicile sur les terres italiennes pour la production de leurs films, style qu’on finira par appeler « Western Spaghetti ». Plus de 450 films y sont tournés et le tout Hollywood des années 60 débarque dans les rues de la Cité des Doges, dévorant entre deux séquences une bonne platée de ces pâtes longues difficiles à manger. Les paparazzis et les spaghettis commencent dès lors à bien s’entendre.
Alors que célébrités et glucides ne font pas bon ménage pour une image et un corps toujours parfait, la star d’Hollywood fait pourtant une exception diététique pour une grande assiette de spaghettis. Et l’une des premières à assumer son bon coup de fourchette et sa gourmandise, c’est l’actrice italienne Sophia Loren. Elle en fera sa marque de fabrique, si bien qu’elle finira par dire « tout ce que tu vois, je le dois aux spaghettis ».
L’art de se goinfrer
Toute la mise en scène est là : placer l’attention sur celui ou celle qui les mange et non sur les spaghettis en eux-mêmes. Si bien qu’entre ceux et celles qui les aspirent, qui les tournent dans une cuillère, ou ceux et celles qui entraînent leur assiette dans un vortex en un coup de fourchette, tout le monde s’en fout partout et on assiste à un vrai spectacle. Comme un rituel, on s’amuse donc à photographier les stars d’antan à galérer. Maîtriser les spaghettis, c’est maîtriser l’élégance, son image et pour une fois, ne surtout pas contrôler publiquement sa gourmandise.
Désormais, ces séances photographiques font partie intégrante de la culture alimentaire. On ne compte plus les clichés dégoulinants et affirmés, témoignant exceptionnellement de la priorité accordée au corps, plutôt qu’à l’esprit. Quelques décennies plus tard, c’est au tour des influenceur·se·s de s’emparer du famous model, posant à leur tour en dévorant le mythique festin.
Basta !
Louise Bigot pour 7 magazine
Numéro « Gourmandise »