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Paris sportifs : les bookmakers sont des dealers comme les autres et la loi française regarde ailleurs

Par
Oriane Olivier
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Ah, il est loin le temps où les paris sportifs se résumaient à choisir sur quel canasson miser dans un rade de quartier. Depuis 2010, la Française des Jeux et le PMU n’ont plus le monopole du hasard qui rapporte, et de nombreuses plateformes se disputent la première place dans le cœur des joueurs (Winamax, Betclic, Unibet, Bwin, Parions Sport…). Mais si la loi relative à l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne (petit cadeau de l’ex-Président Nicolas Sarkozy à ses amis de l’époque) prévoyait un soi-disant encadrement strict des nouveaux acteurs du secteur pour limiter et contrôler la consommation de ces produits hors norme, 14 ans après cette légalisation, la réalité du marché est tout autre. Et ce n’est certainement pas la nouvelle loi SREN sur la régulation de l’espace numérique, adoptée par l’Assemblée Nationale ce mardi 17 octobre, qui va rebattre les cartes.

En effet, alors qu’une part exponentielle de jeunes adultes perd chaque mois des milliers d’euros en misant sur leurs smartphones, le législateur prévoit seulement de renforcer la vérification de l’âge des utilisateurs – un contrôle déjà obligatoire, bien que parfois contourné avec l’aide de proches majeurs – sans s’attaquer au coeur du problème : le fonctionnement intrinsèquement toxique de ces plateformes. Véritables dealers de dettes futures et de faillites personnelles, les bookmakers agissent souvent à la frontière de la légalité pour pouvoir s’en mettre plein les poches. Dans un documentaire Arte passionnant, la journaliste Linda Bendali a enquêté à travers toute l’Europeafin de mettre au jour les stratégies de cette industrie qui brasse des sommes astronomiques, au détriment des junkies de la chance. Voici quelques chiffres à retenir pour mieux comprendre ce phénomène de société, et l’ampleur du drame humain qui se joue dans les vestiaires de ces multinationales du paris sportif.

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29 ANS

C’est l’âge médian des parieurs sportifs en ligne, dans l’Hexagone. Les jeunes adultes âgés de 18 à 34 ans représentent ainsi plus de la moitié des joueurs qui parient sur le sport via des plateformes en France (soit 54% pour l’année 2022). Ce sont aussi bien souvent ceux qui misent le plus gros. Si avant la démocratisation des paris sportifs en ligne, le profil de l’accro au jeu était plutôt celui d’un homme de 40 à 60 ans habitué des troquets ou des casinos, l’âge des patients admis en service d’addictologie ne cesse de diminuer depuis quelques années…

62,8 %

C’est la part du chiffre d’affaires que les sites de paris sportifs engrangent en France sur des individus manifestant un comportement de jeu problématique. Dont 39% de ces revenus qui sont carrément liés à des joueurs pathologiques. En effet, le pari sportif est l’un des jeux de hasard qui comporte le plus de risques de conduite compulsive. Alors lorsque les mastodontes du secteur promettent de tout mettre en œuvre pour protéger les parieurs vulnérables, ils oublient de préciser que leurs gains dépendent précisément de ces mêmes joueurs. Statut VIP et invitations pour des matchs très prisés : tous les moyens sont bons pour les garder dans leurs filets. Et plus ils perdent souvent, plus ils sont cajolés !

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5000 EUROS

C’est le prix moyen d’un sponsoring pour faire apparaître sa marque de paris sportifs dans la vidéo d’un influenceur. Des chiffres qui peuvent vite grimper en fonction de la popularité. Ainsi, on ne sait pas combien ont touché McFly et Carlito pour encourager leur public (pourtant très jeune) à créer un compte Winamax en 2021, mais ce ne sont pas les quelques lignes de prévention à l’intention des personnes dépendantes, et le rappel de l’interdiction de jeu en ligne pour les mineurs, qui les dédouaneront de leur part de responsabilité à faire la promo de ce type de plateformes.

Depuis 2022, l’Autorité Nationale des Jeux interdit aux sites de présenter les paris sportifs comme un facteur d’ascension sociale, auquel les ados issus de milieux populaires sont très sensibles. Pour le reste, elle a simplement émis des recommandations non “prescriptives”, que les opérateurs sont incités à mettre en œuvre pour améliorer leurs standards. Comme limiter l’exposition des joueurs à 3 communications commerciales numériques par jour et par support (ex. site internet, application, réseau social, plateforme de contenu, moteur de recherche…), ainsi qu’éviter le recours à des ambassadeurs dont l’audience est constituée à plus de 16% de personnes mineures. On parie combien qu’ils s’en contrefichent ?

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6 PERSONNES

D’après une étude anglaise, c’est en moyenne le nombre de personnes impactées par l’addiction au jeu d’un de leurs proches. Dépression, divorce, perte d’emploi, dettes qui s’accumulent… L’entourage est toujours en première ligne. Et avec 400 000 joueurs excessifs en France en 2022, ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à payer les pots cassés.

1000 EUROS

C’est la somme maximale à laquelle l’Allemagne voulait plafonner les dépôts mensuels sur les sites de paris sportifs pour éviter l’engrenage du surendettement. Mais le lobbying intensif des leaders du marché, qui a ses entrées jusque dans le Parlement européen, a eu raison de cette belle initiative. Heureusement, d’autres pays ont décidé d’aller au bout de cette démarche. Comme nos voisins belges, qui limitent depuis l’an dernier les mises hebdomadaires à 200 euros par site. Évidemment, il est toujours possible de multiplier les paris sur plusieurs plateformes. Mais c’est toujours ça de pris… Et en France ? On attend encore de vrais garde-fous sur le sujet.

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5 MILLIARDS

C’est environ la somme que rapporte chaque année en impôts l’activité des jeux de hasard (pas seulement des paris sportifs en ligne) à la sphère publique. Des recettes non négligeables et une fiscalité juteuse, qui convainquent les dirigeants politiques de laisser le champ libre à tous ces opérateurs. Mais quid des externalités négatives sur le long-terme ? Quid des personnes malades et qui s’éloignent du marché de l’emploi ? Quid de la précarisation de certaines couches de la population ? Pas sûr que les gouvernements y gagnent vraiment au change sur la durée.

1350

En 2021, c’est le nombre de Français.es qui avaient gagné plus de 10.000 euros grâce aux paris sportifs sur Internet (environ 0,03% des 4 500 000 joueurs inscrits). La même année, ils étaient seulement 27 500 à avoir gagné plus de 1 000 euros (moins de 1% des parieurs). À titre de comparaison, toutes ces transactions en ligne ont rapporté 1,38 milliards d’euros en 2022 aux acteurs du marché dans l’Hexagone. Pour toucher le jackpot, il vaut donc mieux être bookmaker.

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