Le marketing tape parfois dans le mille et se révèle alors utile, bien pensé, ou suffisamment sulfureux pour vous donner le sentiment de faire partie des quelques millions d’esprits rebelles qui ont choisi leur nouvelle eau de toilette car elle évoque l’équipée sauvage, plus qu’une eau de Cologne de supermarché. Parfois, aussi, il tâtonne, il expérimente, il s’aventure avec plus ou moins de succès dans des territoires jusque-là inexplorés de la psyché humaine, pour tenter de raviver la flamme consumériste qui menace de s’éteindre en chaque client potentiel face à l’inflation et l’éco-anxiété. Voici quelques-uns de ces essais, réussis ou non, issus d’esprits malades et avides de relancer l’intérêt pour une marque ou un objet.
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DES PARFUMS QUI PUENT VOLONTAIREMENT
Vous avez peut-être déjà glissé un parfum dans votre hotte de Noël cette année. Mais avec des milliers de références sur le marché, difficile de s’y retrouver entre les fragrances florales et les senteurs musquées. Alors si vous voulez faire preuve d’un peu d’originalité, sachez qu’aujourd’hui, la tendance n’est plus au jasmin, au vétiver ou à la fleur d’oranger. Les parfums qui s’arrachent sont désormais à l’image des infos diffusées sans interruption sur les chaînes d’actu en continu : violents, âpres, ferreux, et synonymes de désespoir, de désolation, ou de terre brûlée. Ainsi, la maison Filippo Sorcinelli s’est spécialisée dans les flacons bien sordides comme avec le “but not today”, un hommage assumé au psychopathe fictif Hannibal Lecter, qui évoque explicitement un petit concentré d’hémoglobine à vaporiser sur sa peau. Pour les végétariens, ou celles et ceux qui préfèrent ne pas inspirer la peur et les membres sectionnés à leurs voisins de palier, il est également possible chez le même créateur de se rabattre sur “cyber sex”. Une odeur censée évoquer la fusion érotique de l’homme et de la machine… ou une session de masturbation devant un film porno.
Difficile à dire à la seule lecture de cette description pour le moins éthérée (“C’est le bruit dense du ventilateur d’un ordinateur qui émet des sons olfactifs d’électronique, qui sont distribués sur une peau palpitante et humide par les variations hormonales du désir”). Les fans absolus du films Trainspotting, qui ont toujours fantasmé sur le sex-appeal cyanosé d’Ewan McGregor en période de sevrage, seront quant à eux ravis d’apprendre qu’il existe désormais un parfum – le sui generis, un latinisme qui sert notamment à décrire un fumet désagréable – dont les notes de fond sont inspirées de l’odeur de la meth (et du caoutchouc). Enfin, les nez les plus nihilistes apprécieront quant à eux l’Inexcusable evil de la maison Toskovat (malheureusement épuisé pour le moment), censé rappeler la poudre à canon, l’ozone, les bandages, le sang et le béton coulé, et dont la description est un petit distillat d’angoisse apocalyptique à base de bébés qui pleurent, d’immeubles écroulés et de plaies ouvertes. Un flacon dont le slogan pourrait bien être : “Mort ? J’adore”.
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DE LA BOUILLIE POUR ADULTES ESSEULÉS
En 1974, le géant américain de la nourriture pour bambins – le très bien nommé Gerber Products – a cru opportun de lancer une nouvelle gamme de petits pots destinée aux adultes célibataires, qui auraient la flemme de cuisiner. L’idée était que les actifs solos, et rétifs à se mettre aux fourneaux, seraient heureux de déguster du porc aigre-doux réduit en purée après une longue journée de boulot. Ils avaient même un slogan tout trouvé : “Nous étions déjà bons pour vous à l’époque, nous le sommes encore maintenant que vous avez grandi”. Et ce changement de cap de l’entreprise (qui s’était pourtant toujours targuée de se concentrer exclusivement sur sa clientèle de bébés) reposait sur un constat simple : le taux de natalité avait drastiquement chuté en l’espace de dix ans, faisant courir à terme la menace d’une baisse de 25% des ventes.
Dans le même temps, l’institution du mariage avait moins de succès, et un énorme marché de personnes mangeant seules devant leur écran télé, commençait donc à émerger. Mais la magie n’a pas opéré, et ces mousselines de macaronis au fromage ou de boeuf mijoté ont disparu des épiceries au bout de trois mois seulement. Dommage, à quelques décennies près, ils auraient probablement pu devancer certaines start-up de substituts de repas, et les vendre une fortune à des coachs sportifs ou des entrepreneurs pressés.
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DES LASAGNES COLGATE
Pour rendre l’expérience client encore plus complète (ou selon le verbatim d’un diplomé de l’ESSEC qui plaide pour une approche holistique du commerce : garantir une expérience client “360 degrés”), la marque de produits d’hygiène bucco-dentaire Colgate a un jour eu l’excellente idée de commercialiser des aliments surgelés. Vous ne voyez pas le rapport ? Il s’agissait d’accompagner le consommateur dans toutes les étapes de la journée qui concernent l’utilisation de sa bouche. De la mastication à l’heure du repas, au brossage de dents à l’heure du coucher.
Si vous pensez qu’associer les saveurs d’une sauce bolognaise, à une pâte de dentifrice mentholée n’est pas la trouvaille du siècle, sachez que vous n’êtes pas seul. En effet, l’initiative n’a absolument pas trouvé son public et les barquettes n’ont pas fait long feu sur les étagères des grandes surfaces. Et pour cause : en matière de produits savoureux et dédiés à l’utilisation de l’orifice buccale, il y avait probablement des mariages plus heureux à imaginer…
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DES STYLOS ET SURLIGNEURS BIEN SEXISTES
Des courbes adoucies, une silhouette élancée et un toucher velours pour une prise en main tout en volupté, le tout dans un filet résille afin de rappeler les collants féminins, voilà de quelle manière en 2014, la marque Stabilo a tenté de booster ses ventes en inondant le marché de surligneurs genrés. Naturellement, et contrairement à ce que pensent les petits génies du marketing à l’origine de cette brillante idée, les clientes ne sont pas des demeurées et n’ont pas du tout gobé le coup des surligneurs soi-disant adaptés à leur morphologie “gracile”.
Ce fut donc un gros flop pour l’entreprise, qui a probablement dû virer quelques collaborateurs misogynes au passage, et a rapidement retiré les produits du marché. Pourtant, il ne leur aurait pas fallu beaucoup de recherches pour comprendre que cette initiative ne ferait pas recette. En effet, deux ans plus tôt, l’emblématique marque de stylos, Bic, avait déjà essuyé les plâtres en lançant “Bic for her”, un stylo “spécialement conçu pour les femmes”, là encore plus fin, et aux encres pastels. Si la tentative s’est soldée par un bad-buzz, on ne peut pas leur en vouloir d’avoir essayé. Après tout, ils nous font le coup des rasoirs roses plus chers depuis des années.