Logo

Our Souls at Night sur Netflix: pour combattre l’âgisme à Hollywood

Montrez-nous des rides.

Par
Lena El Sherif
Publicité

Dimanche dernier, lendemain de soirée, je zonais sur mon lit à la recherche du troisième film Netflix devant lequel m’endormir. Ayant déjà consommé une bonne partie du catalogue, la recherche devenait rude. Le titre poétique Our Souls at Night m’attirait depuis longtemps, mais la vignette mettant en avant les cheveux blancs de Jane Fonda et Robert Redford me rebutait – je ne suis pas dans la cible. Cela dit, je perdais patience, et mes parents me l’avaient recommandé, allez, play.

Me voilà dans une petite ville du Colorado, à la rencontre d’Addie et Louis, deux voisins octogénaires et veufs. Si tout le monde se connaît dans leur petite ville, cela ne les protège pas de la solitude. Un soir, Addie se présente chez Louis avec une proposition déconcertante : elle voudrait qu’ils dorment ensemble, pour “surmonter la nuit”. Louis est gêné, et, de prime abord, moi aussi. Je ne suis pas habituée à voir deux octogénaires dans les rôles principaux, encore moins autour d’une histoire d’amour naissante. Pour causes, le manque de films créant ce type de personnages, et en arrière-plan, l’âgisme persistant dans l’industrie cinématographique.

Publicité

Dans la famille discriminations, je voudrais…

Pour rappel, l’âgisme désigne une attitude de discrimination ou de ségrégation à l’encontre des personnes âgées. Au cinéma, la discrimination est flagrante. Les années de gloire se situent entre 36 et 42 ans pour les acteurs, et entre 26 et 32 ans pour les actrices, car l’interdiction de vieillir est encore plus stricte envers les femmes qu’envers les hommes. Ensuite, c’est la chute libre, pour atterrir à ce triste constat : entre 2006 et 2016, moins de 0.5% des acteurs qui ont fait un film à gros budget à Hollywood avaient plus de 70 ans.

Quand ils ont un rôle, ils sont relégués au millième plan, et leurs personnages ne sont pas bien nuancés : grand-parent qui n’existe que pour ses petits-enfants, vieux voisin aigri, patient dément dans une maison de retraite… Les seniors encore humanisés sont joués par des acteurs étonnamment jeunes, ou maintenus de force dans la vie active – pensez à Jay Pritchett dans Modern Family, qui dirige encore son entreprise, a épousé une femme de 20 ans sa cadette, et donne naissance au petit Joe à 66 ans.

Publicité

De nombreux rapports continuent de révéler le manque de représentations des personnes âgées à l’écran, et leur déformation quand c’est le cas. Des actions concrètes existent, comme The Writers Lab, financé par Meryl Streep, qui a pour but de développer des scénarios écrits par des femmes de plus de 40 ans. Les actrices comme Jane Fonda ou Helen Mirren élèvent la voix contre cette industrie qui refuse de mettre à l’écran des femmes de plus de 35 ans, alors au carrefour de plusieurs discriminations.

Nos grands-parents adolescents

Dans Our Souls at Night, les personnages ont leurs propres agendas. Leur quotidien, leurs activités et interactions, leurs sentiments, voilà ce qui compte. La famille apparaît comme un fléau, un devoir qui les prive de leur bonheur; on ne voit pas beaucoup les autres membres de la famille, mais dès qu’ils apparaissent ou sont mentionnés, c’est de mauvais augure. Louis traîne une mauvaise réputation liée à sa famille, sans qu’on sache bien ce qu’il a pu faire. Addie doit renoncer à son histoire d’amour pour son fils, qu’elle continue quand même de protéger. Ici encore, la femme ne peut échapper à son rôle de mère, aux dépens de ses désirs de femme. Certaines représentations ont la peau dure.

Publicité

Dans ce référentiel plus âgé, le fils d’Addie (Matthias Schoenaerts) nous semble incroyablement jeune pour ses 40 ans, agissant comme un adolescent que sa mère essaie de ramener sur le droit chemin. Si cela peut surprendre, il y a quelque chose de rassurant à voir le soutien apporté par cette troisième génération, là où les 35-50 ans constituent souvent les seuls “adultes” du film, comme si cet âge était le dernier chapitre de la vie.

Le réalisateur Ritesh Batra décrit son film comme un coming-of-age, ce qui désigne une histoire dans laquelle les jeunes protagonistes font face à un moment clé qui va les faire grandir d’un coup. Aussi audacieux soit-il de faire appartenir Our Souls at Night à cette catégorie, c’est finalement légitime. Pourquoi le fait d’avancer et d’être face à des tournants serait-il réservé aux ados uniquement ? Et le réalisateur d’ajouter : “j’ai mûri à chaque décennie de ma vie”.

En considérant que les seniors peuvent avoir leur propre histoire, une intrigue, des personnages complexes, et tout ce qui constitue un scénario, on peut alors enfin leur donner les rôles qu’ils et elles méritent, et participer au renouvellement des représentations à l’écran. Jane Fonda, 80 ans, l’a clamé haut et fort à la conférence de presse du film : “Je ne vis que pour les scènes de sexe !”

Publicité

Our Souls at Night, disponible sur Netflix.