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« Oui, mon pote est gay » : une campagne qui a 30 ans de retard
Et qui laisse un goût amer.
« Oui, mon pote est gay. » « Oui, ma coloc est lesbienne. » À l’occasion de la journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, le gouvernement a lancé une nouvelle campagne contre les discriminations et les violences subies par les personnes de la communauté LGBTQ. Intitulée « Face à l’intolérance, à nous de faire la différence », cette série d’affiches met en scène des personnes aux visages souriants et apaisés qui prennent dans leurs bras un proche qui est gay/lesbienne/trans. La volonté affichée de la campagne, qui fait partie d’un plan nation d’actions, est « d’aller à la rencontre de tous les Français. »
« J’ai vu ces affiches aujourd’hui et elles me mettaient un peu mal à l’aise. Mais j’arrivais pas vraiment à m’expliquer pourquoi », réagit Roussette sur Twitter. « Ça part clairement d’une très bonne intention, mais je ne sais pas. J’ai l’impression que ça nous écarte des cishet, que ça fait passer le message qu’on est différents et qu’il faut nous “tolérer”… J’ai un peu du mal perso », souligne pour sa part Léachipola.
La campagne laisse vraiment un drôle de sentiment. Certes, on ne doute pas de la bienveillance derrière cette communication et son message d’ouverture et de tolérance. Mais ces affiches ont un vieux goût amer, le goût du réchauffé. Remplacez gay par “black” et vous obtenez une campagne digne de SOS Racisme dans les années 80. Un anti-racisme à l’ancienne, incarné par le slogan “Touche pas à mon pote” inscrit dans la paume d’une main jaune. « Oui, mon pote est gay », nous renvoie à cette époque où il fallait défendre son ami noir ou arabe. C’était peut-être ok en 1985, mais le combat a évolué depuis.
D’autres ne trouvent pas cette campagne si “terrible”, c’est le cas de Roland* qui tente de s’expliquer. « Je les regarde et je les trouve quand même émouvantes ces affiches. Dans le sens où on voit des humains qui s’embrassent, se prennent dans les bras, etc. Le fait de ne pas mettre en avant la personne concernée par le sujet mais plutôt la personne qui cherche à l’inclure, c’est assez cool, je trouve (ndlr, attendez la fin de sa phrase avant de vous énerver. Il est gentil Roland* en vrai). À travers un même geste, tout le monde se retrouve et s’accepte. Après, c’est vrai qu’en 2021, on ne devrait pas montrer ça, c’est un peu gênant pour ceux qui sentent déjà “acceptés” ou ceux qui nous ont déjà “acceptés”, c’est vrai… » Finalement, Roland* a tout compris.
Imaginerait-on aujourd’hui une campagne nationale avec en 4×3 des slogans comme : « Oui, mon pote est Maghrébin » ou « Oui, ma coloc est Noire ? » Pas vraiment.
En s’adressant indirectement aux Français hétérosexuels – même si c’est pour les inviter à plus de tolérance – la campagne exclue les gays, les lesbiennes et les trans, les renvoyant à un statut de pestiférés, de personnages qu’il faudrait accepter dans la communauté nationale. Imaginerait-on aujourd’hui une campagne nationale avec en 4×3 des slogans comme : « Oui, mon pote est Maghrébin » ou « Oui, ma coloc est Noire ? » Pas vraiment.
Suite à la campagne, les créateurs de memes s’en sont donnés à coeur joie pour la détourner. Le compte Instagram @lobbygouine a décidé d’inverser les rôles afin de rendre compte, avec humour, le côté excluant de la campagne face aux personnes lesbiennes, trans et homosexuelles.
https://twitter.com/Tsun__dere_/status/1397625017110876171
Ce qui ne marche pas non plus avec cette campagne, c’est également le fait qu’elle soit portée par Santé Publique France. Une maladresse lorsque l’on sait que l’homosexualité était considéré jusqu’en 1990 comme une maladie mentale par l’OMS et qu’il existe encore aujourd’hui des thérapies de conversion pour tenter de “soigner” les membres de la communauté LGBTQ. Santé Publique France indique que “les conséquences des discriminations sur la santé sont lourdes”, mais ce n’est malheureusement pas le message que l’on constate de facto en regardant simplement les affiches.
*Le prénom a été modifié.