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On a visité la dernière fabrique artisanale de bérets en France
21:00, gare d’Austerlitz à Paris. La foule compacte avance à pas de fourmi dans le bruit des valises à roulettes et les commentaires exaspérés de ceux qui ne se sont toujours pas remis de l’annulation de leur TGV. Sandwich thon-mayo à la main (sous-côté face à son viral jambon-beurre), je tente de me mettre dans un bon état d’esprit pour ce voyage de 13 heures, train de nuit puis TER, bus, voiture, me permettant d’arriver à destination. Non, je ne râlerai pas sur les grévistes. Et prendrai ce trajet à rallonges +++ comme une aventure. Une dame me bouscule, visiblement pressée de s’enfermer dans sa voiture-couchettes minuscule à six places. Rester zen, surtout.
Je lève la tête. À trois mètres de là, se dresse l’objet de mon reportage, vissé sur le crâne dégarni d’un homme âgé. Plus loin encore, c’est une femme d’une vingtaine d’années qui l’arbore dans une couleur plus flashy. Couvre-chef en laine tricotée et feutrée, de forme circulaire et plate, symbole cliché de la France au même titre que la baguette ou la marinière… Vous avez ? Direction les Pyrénées pour découvrir l’histoire mais surtout la résistance du béret, objet utile devenu ultra-stylé.
De la messe du dimanche à la soirée Miss France
Le lendemain, me voici donc devant l’usine Laulhère à Oloron-Sainte-Marie, après une nuit blanche rythmée par les changements de transports. Créée en 1840, à l’époque où on dénombre une quarantaine de fabricants dans la région, elle est désormais la dernière survivante de cet artisanat d’exception en France. L’entreprise béarnaise a su préserver ses gestes ancestraux. Après la première étape du tricotage, vient celle du feutrage. Faire une machine est pour vous la pire des corvées ? Alors ne devenez pas foulonneur. Dans d’immenses machines à laver, Philippe surveille toutes les 15 minutes que les couvre-chefs trempent à bonne température dans l’eau savonnée, permettant d’obtenir une texture feutrée au bout de plusieurs heures (parfois toute une journée !). Les bérets sont ensuite plongés dans des bains de teinture.
« Je trouvais aberrant que les touristes du monde entier viennent ici pour acheter un béret chinois »
Dans cette boîte, Marie-Hélène fait (presque) partie des murs. « Il y a 40 ans, j’entrais dans l’entreprise le 1er septembre et je fêtais mes 20 ans le 19 septembre », se remémore celle qui est désormais responsable du service LAB (où le béret est mis en forme, gratté puis rasé). Jadis, on portait un béret « pour travailler » et un autre « pour la messe et les enterrements » le dimanche, rapporte Marie-Hélène. Samedi dernier, il était sur toutes les têtes des prétendantes au trône de Miss France. Avec des broderies, des perles, mais aussi de nouvelles formes et de nouvelles couleurs, le béret est en effet progressivement (re)devenu à la mode.
Gentrification du béret
Face à l’industrialisation textile, la concurrence de l’Asie et Zara & co, Laulhère a pourtant bien failli couler, avec un dépôt de bilan en 2012. « Je trouvais aberrant que les touristes du monde entier viennent ici pour acheter un béret chinois », ironise Rosabelle Forzy, repreneuse in extremis de la manufacture. Contre la fast fashion, la Gersoise d’origine brandit la slow fashion. En moyenne, entre le fil de laine qui commence à être tricoté et l’accessoire prêt à pimper nos tenues, deux à trois jours de travail sont nécessaires. Un temps très long dans l’univers ultra-mécanisé du textile, mais nécessaire pour garantir la qualité du béret. « Il y a déjà assez de produits sur la planète. On veut que le béret soit un produit durable et de qualité », argue la PDG. La marque collabore avec plusieurs maisons de luxe (dont les noms sont un secret très bien gardé) et a ouvert une boutique dans la non moins chic rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. Prix: entre 49 et 1000 euros. Elle continue également de fournir l’armée française et celles d’autres pays du monde.
Plus qu’un accessoire intergénérationnel (Laulhère assure notamment une collab’ avec Hello Kitty !), la fabrique béarnaise a contribué à transformer le béret en un objet “interclasse”. Comme le bleu de travail ou la salopette, le béret s’est embourgeoisé, devenant même un pur cliché français (Emily in Paris l’a largement saigné dans la série, en le portant rouge et une baguette de pain sous le bras). Mais s’il est devenu le chouchou des stars, Rihanna, Bella Hadid mais aussi Isabelle Huppert, les bergers l’utilisent toujours en haut des montagnes. « Ils l’ont gardé sur la tête même lorsque la mode n’était plus là », souligne Rosabelle Forzy, attachée à la dimension locale de son produit.
Couvre-chef de Che Guevarra
Mais alors comment porter ce fichu béret ? Le mien, gris, trouvé en fripe, traîne depuis des années dans une corbeille à chapeaux. Crainte de mal le porter et de paraître ridicule aux yeux des fashionistas comme Emily. De travers ou droit ? Enfoncé ou posé délicatement sur la tête ? Pour Rosabelle Forzy, il n’y a pas de règle. « Mon meilleur conseil, c’est de vous mettre devant un miroir et de faire selon votre envie du moment. On peut le porter enfoncé comme un bonnet, sur le derrière de la tête avec une mèche qui traîne, sur le côté… Mais aussi comme le Béarnais : très en avant, en pointe », liste la patronne de Laulhère.
Quel modèle choisir ? « Le béret est un produit qui doit à la fois nous ressembler et nous permettre d’être quelqu’un d’autre, interprète Rosabelle Forzy, qui recommande d’en essayer plusieurs en magasin. Pour un look très frenchie, le béret rouge de notre collection “Le Véritable” est parfait. Pour une allure plus rock, c’est le béret de type militaire “Rosa” qui conviendra le mieux. Si l’on est exubérant, alors je conseille le béret “Éridan”, orné de tous les écussons historiques de notre maison. » Fans du “Che”, il est également possible de revêtir le même couvre-chef que celui visible sur son cliché le plus célèbre… le dernier béret du révolutionnaire sud américain ayant été fabriqué chez Laulhère. Rien que ça.