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On a testé pour vous : le LSD à petite dose
« Ça va, François? On dirait que t’es comme pas là aujourd’hui. » Ma boss Rosalie a vu clair dans mon jeu autour de la machine à café : les 20 microgrammes de LSD m’ont cogné plus que je le croyais et ça se voit sur ma tête. Non, je ne suis pas en train de me péter un trip d’acide au bureau pour le fun. Croyez-le ou non, cette expérience s’inscrit dans une démarche journalistique.
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Depuis quelques années, on voit des finances bros (sorte de machos du monde des finances) de la Silicon Valley vanter les mérites d’une prise quotidienne d’une microdose de LSD pour stimuler leur créativité et leur acuité mentale. Pour vous donner une idée, une dose dite « récréative » tourne autour de 100 microgrammes tandis qu’une microdose équivaut à peu près à 20 microgrammes ou moins.
Le phénomène du microdosage de psychédéliques comme la psilocybine (l’élément psychoactif des champis) s’est tranquillement démocratisé dans la société pour ses potentiels effets bénéfiques sur la santé mentale, et on parle même de la possibilité d’intégrer ces substances dans certaines pratiques médicales dans un avenir assez rapproché.
Mais concrètement, qu’est-ce que le microdosage peut apporter dans la vie de tous les jours ? Est-ce aussi miraculeux qu’on le prétend pour booster l’efficacité et la créativité et même réduire l’anxiété ?
Pour le savoir, j’ai entrepris une expérience cobaye pendant un mois où j’ai ingurgité une petite dose de LSD plusieurs fois par semaine, en augmentant graduellement les doses au fil de l’expérience.
Avant de crier à la propagande pro drogues illicites par l’équipe éditoriale d’URBANIA, il est important de mentionner que ce dossier ne se veut pas une apologie de l’utilisation de cette substance, mais plutôt un exercice de documentation du phénomène de microdosage de LSD dans toutes ses nuances, ses limites, et même ses potentiels dangers pour la santé.
Une panacée ou un placebo plus ou moins efficace?
Jean-Sébastien Fallu ne s’en cache pas : il consomme de la drogue de manière récréative depuis 35 ans, dont du LSD. « Pour moi, l’usage de substances psychoactives n’est pas un problème en soi, dit-il. Tout le monde fait ça depuis la nuit des temps. Ça fait partie de l’expérience humaine au même titre que la sexualité et le jeu », raconte celui qui est professeur agrégé de l’Université de Montréal spécialisé en prévention des toxicomanies et fondateur de l’organisme de prévention GRIP
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À travers ses années de recherche, Jean-Sébastien Fallu s’est particulièrement intéressé aux drogues de synthèse, aux psychédéliques et au cannabis. Si le microdosage n’a rien de nouveau pour lui, il témoigne toutefois aux premières loges de l’essor du phénomène. « En 2022, c’est vraiment répandu dans plusieurs cercles. Il y a une démocratisation de ces substances-là et c’est très, très populaire. J’en entends parler même auprès de gens que je n’aurais jamais pensé », explique le chercheur régulier à l’Institut universitaire sur les dépendances.
Le LSD a longtemps eu une réputation « plus négative » que les champignons magiques dans l’imaginaire collectif. Pourtant, Jean-Sébastien Fallu rappelle que les deux substances se ressemblent sur le plan moléculaire, bien que les effets de l’acide peuvent être plus forts et durer plus longtemps. « Il faut aussi se dire que, contrairement à des drogues de synthèse comme le crystal meth ou la cocaïne, on sait que le LSD pris en dose récréative ne présente pratiquement pas de nocivité pour le corps et ne provoque pas de dépendance physique », mentionne-t-il.
Dormirait-on alors sur une panacée miraculeuse depuis tout ce temps ? « On ne peut pas affirmer ça à l’heure actuelle », nuance Jean-Sébastien Fallu. Le chercheur explique qu’il peut y avoir des risques psychiatriques avec la consommation de ce psychédélique, surtout chez celles et ceux qui ont une santé mentale précaire ou des prédispositions à développer des troubles mentaux. « Pour ce qui est du microdosage, on voit une sorte de “surenchère” de son efficacité pour la santé mentale », estime Jean-Sébastien Fallu. Comme la recherche sérieuse sur le sujet n’en est qu’à ses « premiers balbutiements », on ne peut pas tirer de conclusions pour le moment, explique le spécialiste.
« Pour ce qui est du microdosage, on voit une sorte de “surenchère” de son efficacité pour la santé mentale. »
« Oui, il y a des gens qui rapportent anecdotiquement des effets bénéfiques, poursuit-il. La grande question, c’est : quelle est la part de placebo dans tout ça versus l’effet réel ? Certains chercheurs disent que l’efficacité des psychédéliques serait due en bonne partie aux effets placebos qui rendent le cerveau dans un état réceptif. Il faudra conduire plus d’études rigoureuses sur le sujet. »
L’automédication et ses dérives
Dans le dossier du LSD, il y a également toute la notion de « contrôle de qualité » des produits qui fait taper du pied le milieu scientifique, puisque la production de la substance est encore à ce jour illégale. Ce dernier point horripile d’ailleurs particulièrement Olivier Bernard, vulgarisateur scientifique et pharmacien, mieux connu du public sous le pseudo de Pharmachien.
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« Qu’est-ce qui nous dit que le produit que vous vous êtes procuré est réellement ce que vous avez acheté et que ce n’est pas complètement quelque chose d’autre ?, s’interroge-t-il Le seul moyen de le savoir, ça serait de l’examiner dans un laboratoire indépendant avec des tests coûteux. Je doute que le consommateur moyen se rende jusque-là. »
«Qu’est-ce qui nous dit que le produit que vous vous êtes procuré est réellement ce que vous avez acheté ?»
Tout comme Jean-Sébastien Fallu, le pharmacien, qui a d’ailleurs animé une série podcasts sur les dérives de certaines tendances comme les cérémonies d’ayahuasca, remarque une forte tendance à l’automédication dans la société actuelle. Un phénomène qu’il juge inquiétant, surtout en ce qui a trait à la prise de psychédéliques en microdose.
« Il y a très peu d’études avec une méthodologie crédible sur le sujet, souligne-t-il. Après, ce n’est pas parce que les recherches ne sont pas concluantes en ce moment qu’il faut affirmer que le microdosage ne fonctionne pas. Mais rien ne nous dit que c’est réellement efficace non plus. »
Un aspect du microdosage dont on ne parle pas assez est ses effets potentiels sur le corps, selon Olivier Bernard. « On sait que les psychédéliques vont toucher à des récepteurs de la sérotonine qui ne sont pas touchés par des médicaments traditionnels. En ce moment, on n’a aucune idée de l’impact que ça peut avoir si on vise ces récepteurs à répétition pendant des mois ou des années. Ça pourrait peut-être changer la manière dont le cerveau fonctionne de façon semi-permanente ou permanente. »
Le “Pharmachien” explique également que certains récepteurs de sérotonine situés sur les valves du cœur pourraient être affectés par une microdose constante de psychédélique échelonnée sur une longue période de temps. « Je pense qu’il y a une grande sous-estimation des risques possibles chez les gens qui se lancent là-dedans. On ne sait carrément pas quels sont les risques encourus parce qu’il n’y a pas de données probantes sur le phénomène. »
Avec toutes ces incertitudes un peu bad trippantes, comment expliquer que le microdosage soit aussi populaire ? « Il y a d’énormes besoins en soins de santé mentale qui ne sont malheureusement pas comblés à l’heure actuelle par le système, donc les gens prennent les choses entre leurs mains et se tournent vers des alternatives qu’ils croient bénéfiques sans vraiment savoir tout ce que ça implique », estime le Pharmachien, qui comprend pourquoi ces personnes se lancent dans le microdosage sans pour autant encourager cette pratique. « Le phénomène est bien présent et il est là pour rester. Maintenant, qu’est-ce qu’on fait en tant que société ? »
De microdoseur à dealer
Nathan* est un aguerri des gros trips d’acide, s’autoqualifiant de psychonaute, un « explorateur de la psyché ». « J’ai commencé à m’intéresser aux drogues psychoactives vers l’âge de 13 ans, raconte-t-il. Du cannabis, j’ai ensuite essayé les champignons. Ç’a été une révélation. »
Ce que Nathan affectionne particulièrement, c’est le côté spirituel qui vient avec la prise de champis. En s’informant sur le mouvement hippie des années 70 et en consultant des œuvres de Hunter S.Thompson comme Las Vegas Parano, le psychonaute s’intéresse de plus en plus aux effets planants de l’acide. « J’ai attendu avant d’en faire parce que j’ai entendu des histoires de gens qui en faisaient trop et qui se “grillaient” le cerveau avec ça. Ça m’a fait peur. »
Nathan s’est alors informé sur des forums de Reddit, où des utilisateur.trice.s donnent des conseils sur la quantité de microgrammes à ingérer pour obtenir tel type d’effets, où acheter la marchandise, etc. Il a fait le saut vers le microdosage de LSD à 23 ans. « Finalement, j’ai seulement microdosé quelques fois parce que je trouvais que ça affectait trop mon sommeil et ça ne provoquait pas vraiment ce que je voulais, dit-il. Je me suis plutôt tourné vers les macrodoses de LSD, étant donné que je connaissais déjà les gros trips de champignons. »
En plus de devenir un consommateur de psychédéliques, Nathan s’est également mis à la vente de ces substances. S’il note un intérêt plus marqué pour les champignons de la part de sa clientèle depuis quelques années, il remarque aussi une curiosité croissante pour le LSD. « Je vois de plus en plus de gens qui ont essayé des méthodes “traditionnelles” s’intéresser au microdosage pour améliorer leur qualité de vie, que ce soit pour de l’anxiété ou du stress. Des personnes qu’on ne se douterait jamais qui consomment de la drogue. »
« Je vois de plus en plus de gens qui ont essayé des méthodes “traditionnelles” s’intéresser au microdosage pour améliorer leur qualité de vie »
Afin de s’assurer que la marchandise qu’il vend est de bonne qualité, le vendeur la teste lui-même. Une méthode maison de contrôle du produit à l’heure où le phénomène prend de l’ampleur. « Je ne dis pas qu’il faut que les psychédéliques remplacent les antidépresseurs ou d’autres types de médicaments pour des personnes qui en ont besoin. Mais je suis content de voir qu’il y a un plus grand intérêt pour ces moyens alternatifs, qui sont, au bout de la ligne, plus “sains” que d’autres afin d’aller mieux », estime Nathan.
Décriminaliser pour avancer
S’il y a une chose sur laquelle Jean-Sébastien, Olivier et Nathan s’entendent, c’est qu’il faut mieux éduquer la population sur les psychédéliques et assouplir les cadres législatifs afin que de meilleures recherches puissent voir le jour.
« Le fait que ces substances soient criminalisées n’aide rien, estime le Pharmachien. Une personne utilisatrice ne peut pas consulter un professionnel de la santé, à moins de cas très précis, pour avoir des conseils sur leur utilisation. Ça rend donc le suivi impossible et l’utilisateur peut se mettre en danger. Le jour où on va en savoir plus et où j’aurai le cœur net que c’est sécuritaire d’en utiliser dans certains paramètres, je serai la première personne à accompagner les gens là-dedans. »
« Je rêve qu’on soit un jour dans une société où on accepte l’utilisation du LSD à l’extérieur d’un cadre médical très strict, mentionne pour sa part Jean-Sébastien Fallu. Bien sûr, il y a des risques à ça et il faudrait trouver un moyen pour que tout fonctionne comme il faut, mais je pense que plusieurs personnes pourraient en bénéficier. »
Personne ne peut prédire quand la justice relâchera son étau autour des psychédéliques, mais on peut tout de même espérer que ce jour viendra bientôt. « Dès cet automne au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, puis à l’Institut du cerveau de la Pitié-Salpêtrière et aux CHU d’Amiens et de Clermont-Ferrand, des malades testeront des substances hallucinogènes visant à soigner de graves troubles psychiques », annonce le JDD.
De mon côté, j’ai tiré un trait sur les microdoses de LSD sur une base quotidienne après mon expérience cobaye. Même si les effets ont été somme toute assez positifs pour moi, l’idée d’avaler quelques gouttes d’une substance pratiquement inconnue à répétition m’a finalement déplu. J’aime mieux passer à travers mes journées, parfois difficiles mentalement, en étant à jeun que de mettre mes élans d’humeur sur le dos d’une infime dose d’acide.