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On a parlé avec Pinkydoll, la reine des lives TikTok façon PNJ

On a discuté avec la créatrice de contenu qui explose tous les records.

Par
Malia Kounkou
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« Et juste par curiosité : combien est-ce que tu gagnes? », m’aventurais-je à questionner Pinkydoll, la tiktokeuse montréalaise de 27 ans tout récemment devenue virale dans le monde entier.

« Par stream ou par jour? » me demande-t-elle à son tour.

S’ensuit un silence puis, d’un bout à l’autre de la ligne, un même éclat de rire. Parce que, mine de rien, le ton est donné : Pinkydoll se situe dans une tout autre ligue que la nôtre, tant sur le plan financier que sur celui du contenu.

Si sa carrière TikTok culmine désormais à des hauteurs stratosphériques, elle a paradoxalement à remercier un méchant bad buzz sur Twitter pour ce fulgurant décollage.

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« Certaines d’entre vous […] sont littéralement psychotiques », écrira lundi dernier une usagère de la plateforme d’Elon Musk en accompagnant ses propos de l’extrait vidéo d’un des derniers directs de Pinkydoll.

Dedans, et en l’espace d’une seule minute, Pinkydoll fera éclater des grains de maïs sur les plaques chaudes d’un fer à lisser, le tout avec la gestuelle fluide et rebondissante d’un personnage de Xbox qui attendrait d’être sélectionné par son joueur, et répètera sur une intonation aussi robotique qu’enfantine des phrases anglaises comme « mmh, coconut so good! », « gang gang », « fire fire fire fire » ou encore en léchant une glace invisible dans les airs.

Beaucoup d’informations à encaisser en même temps, donc.

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Une machine bien huilée

Pourtant, cette apparence de chaos obéit à des règles bien précises que permettent les envois de cadeaux virtuels et payants sur TikTok. Si un spectateur offre donc des ballons à Pinkydoll, la créatrice de contenu s’exclamera aussitôt « balloon! » avant d’imiter (avec un réalisme assez troublant, je dois dire) le bruit de plusieurs ballons qui éclatent. En parallèle, sa cagnotte s’enrichira de 6,36 $, soit 50 % du don initial (TikTok empoche toujours la moitié des commissions).

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Et mine de rien, une fois mis bout à bout, ces cadeaux alignent quelques jolis petits zéros. « Par stream, je peux faire de 2 000 à 3 000 $. Combiné à OnlyFans, ça me fait 7 000 $ par jour », énumère celle qui consacre six heures quotidiennes à cette profession.

Ce montant n’est jamais fixe, car en constante expansion depuis ce soudain succès que même le New York Times suivra de près. Ainsi, entre le moment de notre entrevue et celui de la publication de cet article, il est fort probable que le barème de revenus de Pinkydoll ait déjà augmenté de 1 000 $ supplémentaires.

« Je pense que je vais faire dans les 10 000 $ par jour », projette-t-elle d’une voix calme et assurée.

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Un montant ahurissant, mais fort réaliste au vu de la popularité grandissante de celle qui qualifie affectueusement ses admirateurs de véritable « armée ». Mais en parallèle du commun des mortels, la créatrice montréalaise a aussi tapé dans l’œil des célébrités américaines À titre d’exemple, le producteur et rappeur américain Timbaland, à qui l’on doit notamment l’intemporel Promiscuous Girl, n’est autre que son plus grand donateur sur TikTok.

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« Il est venu m’écrire et m’a envoyé de l’argent en live. Ça m’a tellement aidée ! Cardi B aussi m’a mise sur sa page et ça aussi, ça m’a aidée », raconte Pinkydoll, me mentionnant au passage être fréquemment contactée par des joueurs de hockey ou de la NBA.

Peu étonnant, donc, que de nombreuses autres streameuses à travers le monde se soient elles aussi lancées dans cette pratique, depuis. En France, ce sera Nadjélika, créateur.ice de contenu franco-ivoirien.ne et non binaire, qui reprendra le flambeau, mais aussi les codes du genre, en enchaînant les « Une rose pour moi ? Merci ! » tout en s’étonnant du nombre de spectateurs que ce type de contenu rameute :

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D’autres diversifieront le registre en insérant de nouveaux effets, tels que l’électrocution par la foudre :

Sans bien sûr oublier la version silencieuse, quitte à se demander s’il ne s’agit pas d’intelligence artificielle :

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Sans aussi oublier les fans de l’univers Marvel déjà nostalgiques du dernier Spider-Man.

J’arrête ici, mais vous l’aurez compris : cette niche est bel et bien infinie.

Fétiche or not fétiche?

Mais d’ailleurs, de quelle niche parle-t-on exactement, ici? De celle du « PNJ », ces « personnages non-jouables » secondaires qui, dans les jeux vidéo, ne peuvent être contrôlés, car ils n’ont pour fonction soit de ne figurer qu’en arrière-fond, soit de ne prononcer que les mêmes phrases de dialogues scriptées dans le but d’agrémenter le récit principal.

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Cette essence utilitaire donne donc à leurs actes une répétition mécanique que la communauté de « NPC streaming » s’efforce d’imiter à la lettre.

Les premiers murmures de cette tendance remontent à début 2022, selon l’encyclopédie virtuelle KnowYourMeme, lors de lives de la tiktokeuse japonaise natuecoco durant lesquels elle ne réagissait qu’à l’envoi de nouveaux cadeaux. Dans sa course vers le succès, elle sera très vite rejointe par Cherry Crush, une autre créatrice extrêmement suivie pour ses contenus adultes que certains définissent comme étant « du fun mélangé à des thirst traps ».

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En l’espace d’un tweet et deux clignements d’yeux, Pinkydoll est devenue la mascotte officielle du genre en 2023. L’ironie veut toutefois qu’elle n’ait rien connu de l’univers PNJ avant la semaine dernière.

« C’est vraiment drôle. J’étais en train de faire un live et j’ai bugué, puis quelqu’un dans les commentaires a dit : ‘oh my God, elle a l’air d’un PNJ, se souvient-elle. Puis là, les gens ont commencé à me donner beaucoup d’argent. À partir de là, je me suis dit : ‘Ok, tu sais quoi? Je vais tester le PNJ. »

« C’est ça que les gens veulent, donc je vais leur donner ce qu’ils veulent. »

Mais qu’est-ce qui attire autant de public vers ce type de vidéos, justement? À cette question, les réponses sont variées. Toutes semblent cependant converger vers des sous-tons érotiques.

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Après tout, il y a dans certaines de ces expressions faciales à la fois candides, sensuelles et déconnectées quelque chose de l’ordre de l’« ahegao », ces illustrations japonaises d’extase sexuel tout droit sorties du hentai. Et surprise, surprise : le « Ahegao Face Challenge » était aussi une tendance virale sur TikTok jusqu’à peu.

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« Il est difficile de ne pas voir que ces streameuses dépeignent des poupées interactives objectifiées qui obéissent à vos ordres », écrit Gene Park, journaliste au Washington Post, au sujet du rapport entre l’envoi de cadeaux et l’action que cela dicte chez la personne qui les reçoit.

Une pensée à laquelle l’usagère Twitter @vibraslapathon fera écho en ces termes : « Je me suis abstenue de dire cela parce que je ne suis pas la plus éloquente au sujet de la pensée féministe mais; ces ‘fétiches PNJ’ semblent être construits sur la suppression du libre arbitre ».

« Ce sont juste des robots de présentation féminine, Elles ne peuvent pas dire non. »

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Le spectateur serait donc habité par le fantasme du marionnettiste qui contrôlerait les faits et gestes de son jouet et cette impression est grandement renforcée par le côté jeux vidéo, selon Rachel Kowert, psychologue spécialisée en la matière. Paraphrasée dans un article de The Daily Beast, elle rappellera qu’il existe depuis longtemps « une fascination dans le monde du jeu pour repousser les limites des personnages non-joueurs et voir ce que le jeu permettrait aux joueurs de faire [avec] ».

La rançon du succès

Cette critique n’est ni la première ni la dernière entendue par Pinkydoll dont la viralité n’a pas apporté que des admirateurs. Mais si la Montréalaise peut essuyer la plupart des tacles avec ses billets de banque, certaines craintes légitimes viennent par moments briser cette impénétrable carapace entrepreneuriale.

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« Il y a des gens qui n’aiment pas [ce que je fais], qui sont jaloux, qui m’envoient des menaces : ‘On va faire fermer tes réseaux sociaux’; ou sinon : ‘On va venir kidnapper ta mère et ton enfant’ », me partage la mère de famille par-dessus une jeune voix fluette en arrière-fond.

« Quelques fois, quand j’ai envie de sortir, je me dis : ‘Est-ce que je fais bien d’aller dehors aujourd’hui?’ »

À ce jour, son enfant est d’ailleurs l’une des rares personnes pour lesquelles la créatrice de contenu sort temporairement de son personnage lors de ses lives.

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Je lui demande si gérer les deux vies est chose facile pour elle, surtout avec cette récente effervescence tout autour d’elle.

« J’essaie. C’est pas si pire. Des fois, quand t’as pas le choix, t’as pas le choix », raisonne Pinkydoll qui se dit toutefois très heureuse de l’attention et des opportunités qui s’ouvrent à elle. « J’aimerais ça, viser le top et arriver là où je dois arriver. Level up, you know? »