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On a discuté de la série Maid avec une survivante de violence conjugale
Rien n’aurait pu me préparer émotionnellement à regarder la série Maid.
Adaptée du mémoire de Stephanie Land Maid: Hard Work, Low Pay and a Mother’s Will to Survive, la série raconte l’histoire d’Alex, une jeune femme qui est aussi maman et qui recommence à zéro après s’être enfuie d’une situation de violence conjugale. Elle se bute à un nombre absurde d’obstacles : le manque de ressources financières, la quasi-absence de soutien, la rigidité du système légal et j’en passe.
Quand on n’a jamais vécu cette réalité de près ou de loin (comme moi, par exemple) on a des idées très arrêtées sur le sujet. On pense à de la violence physique très claire, à des interventions policières et à une prise en charge presque immédiate par le système. Bref, on aime imaginer qu’on gère ce genre de situation au meilleur de nos capacités en tant que société, mais la réalité est tout autre.
Une survivante de violence conjugale qui a vu la série a bien voulu en discuter avec moi.
Plus qu’un problème du système
« Ce qu’on voit dans Maid, c’est pas 100 % réaliste. C’est 1000 % réaliste », me raconte au bout du fil la survivante en question. Appelons-la Stéphanie, son nom a été modifié pour des raisons évidentes. « On a tous une expérience qui nous est propre, mais vis-à-vis de la mienne, c’est difficile, voire impossible de faire plus réaliste que cette série. »
« Quand je suis allée chercher de l’aide, je n’aurais pas pu dire en quoi ça consistait, la violence. C’était ma vie. J’avais peur et j’avais besoin d’aide. C’est tout ce que je savais. »
Une scène qui m’a profondément bouleversé, c’est lorsque Alex va chercher de l’aide auprès des services sociaux et qu’ils sont incapables de l’accommoder parce qu’elle n’arrive pas à répondre clairement à leurs questions et ne cadre pas dans une définition précise d’une victime de violence conjugale. « Quand je suis allée chercher de l’aide, je n’aurais pas pu dire en quoi ça consistait, la violence. C’était ma vie. J’avais peur et j’avais besoin d’aide. C’est tout ce que je savais. Je ne pouvais pas encore comprendre l’ampleur et la gravité de ce que j’avais vécu », m’explique Stéphanie, visiblement encore hantée par son expérience.
Dans Maid, on voit Alex coincée entre le système et les êtres humains. Elle rencontre plusieurs personnes qui ont une bonne idée de ce qui se passe, mais qui ne veulent pas prendre de responsabilités au-delà de leur job. C’est grâce à la bienveillance d’une travailleuse sociale découragée de ne pas pouvoir l’aider qu’elle trouve de quoi s’accrocher dans la tourmente : un boulot d’entretien ménager.
Cette opportunité résout un problème, mais en crée un autre. Alex doit trouver quelqu’un de fiable et flexible pour garder sa petite fille pour qu’elle puisse travailler pendant de longues heures. Elle confie Maddy à sa mère instable, qui la renvoie chez le père instable et violent de la petite après qu’Alex ait dû faire un ménage imprévu. Ce dernier lance les procédures légales pour en réclamer la garde. Alex doit suivre des cours de « parentage » même si elle est visiblement une bonne mère qui doit composer avec des conditions impossibles.
« On ne nous croit pas », précise Stéphanie lorsque je lui parle de cette scène du troisième épisode. « On ne nous prend pas au sérieux. Je suis allée moi-même faire une plainte, mais on m’a dit de ne pas en espérer grand-chose. Tu t’imagines ? »
Se refaire socialement, mais mentalement aussi
Stéphanie tient à préciser qu’une personne qui passe à travers des épreuves comme Alex, doit rebâtir plus que sa confiance en elle-même. Elle mentionne l’épisode où Alex fait référence aux bons moments qu’elle a vécus avec son copain : « Un homme violent et manipulateur va se servir de ça. Il vous fait vivre les plus beaux moments de votre vie afin de créer une emprise sur vous et une confusion dans votre esprit. On fait nous-même des excuses à la personne en se disant qu’elle ne peut pas être méchante si on partage tant de beaux souvenirs avec elle. »
Si Maid est aussi brutale et anxiogène à regarder, c’est qu’Alex ne doit pas seulement s’enfuir de son conjoint violent : elle doit recréer un rapport au monde extérieur qui a été endommagé par des années d’abus et d’isolement.
« J’ai eu mal. Il y a des blessures qui ont été rouvertes. Ça m’a donné de la force aussi. Comprendre à quel point j’avais parcouru du chemin. »
« Ça a été très difficile de regarder la série au début. J’ai eu mal. Il y a des blessures qui ont été rouvertes. Ça m’a donné de la force aussi. Comprendre à quel point j’avais parcouru du chemin. Ça m’a donné envie de récupérer d’autres parties de moi que cette relation m’avait volées. Après avoir vu Maid, j’ai décidé de reprendre mes études et de reprendre la trajectoire de vie que j’ai eue jadis », raconte Stéphanie, la voix empreinte de fierté.
Je vous conseille très fortement de regarder Maid. La créatrice Molly Smith Metzler a un don pour créer de la tension de scène en scène. Sa série a aussi une valeur documentaire. Elle est basée sur un fait réel et fait écho à l’expérience de plus d’une survivante de violence conjugale. Ça remue de la meilleure façon possible. Ça ouvre les yeux.