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Ode aux seins qui tombent

Pour en finir avec l’idéal de la "demi-pomme".

Par
Capucine Japhet
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En tapant “seins qui tombent” dans ma barre de recherche Google, je me suis retrouvée à consulter un florilège de solutions pour raffermir ma poitrine. Sans parler des suggestions de chirurgie mammaire. Tout indique à première vue, qu’avoir une poitrine qui s’affaisse, c’est anormal et disgracieux. Pourtant nombreux·ses sont celleux dont les corps et les poitrines ne correspondent en rien à une plastique « parfaite ».

Lorie se souvient très bien de la sensation qui l’a traversée en salle de réveil, après l’opération de sa poitrine. Ce moment de “bonheur intense” a ainsi acté la fin d’une adolescence à complexer. « J’ai l’impression que physiquement, les gens sont prêts à tout accepter mais une poitrine qui tombe, c’est dégueulasse pour eux. »

Au début de sa puberté, Lorie a les seins qui poussent vers le bas. Elle comprend très vite que sa poitrine ne correspond pas à l’idéal présenté par la société. « À l’époque, je n’avais aucun modèle de poitrine qui tombait, en tout cas je n’étais pas au courant, car personne ne le dit, personne ne le montre. J’allumais la télé, je voyais des poitrines toutes grosses ou toutes petites mais rondes. »

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Au quotidien, la jeune femme fait tout pour remonter ses seins. « Au début, c’était les méthodes naturelles de l’eau froide, des massages. » Elle en vient à se scotcher le buste avec du ruban adhésif, trouvé dans les affaires de son père, électricien. « Quand je rentrais en fin de journée, certes j’avais la poitrine qui tenait, j’étais contente mais j’avais très mal quand j’enlevais le scotch. Toute ma vie, ça n’a été qu’illusion auprès des gens. »

Lorsqu’elle commence sa vie sexuelle et amoureuse, il lui est impossible de se déshabiller entièrement. « Je ne pouvais pas enlever le soutien-gorge, je ne pouvais pas enlever le haut, la personne ne devait pas me toucher la poitrine et je devais faire l’amour dans le noir », explique-t-elle. « Dans ma tête j’étais convaincue que même si c’était mon copain depuis un an, si cette personne allait voir ma poitrine, elle allait me quitter, elle allait me trouver laide, c’était obligatoire. »

A 17 ans, Lorie décide alors d’opter pour la chirurgie. « C’est pas le message que je veux faire passer, “Faites-vous opérer, vous irez beaucoup mieux” mais moi je sais que si pendant toute ton adolescence, tu complexes, t’as pas de modèles de seins qui tombent, faire une opération, c’est comme une potion magique, ça a changé toute ma vie. »

Visibiliser les seins dans leur diversité

Depuis quelques années, le mouvement #SaggyBoobsMatter met à l’honneur des poitrines tombantes sur les réseaux sociaux. Lorie avait découvert cette tendance peu de temps avant son opération. « Je ne pouvais pas revenir en arrière mais ça m’a fait du bien de comprendre qu’il y avait des jeunes filles et des femmes a peu près de mon âge qui avaient aussi des seins qui tombaient et qu’elles trouvaient ça beau, assure-t-elle. J’aimerais vraiment aujourd’hui qu’on montre aux gens que tu peux être jeune et avoir une poitrine qui tombe. »

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Ludovica participe à ce mouvement. La lycéenne de 17 ans tient un profil Instagram où elle y parle de son ressenti et invite des personnes à lui envoyer des photos de poitrines tombantes pour les mettre en valeur. « J’ai appris à aimer mes “saggy boobs” petit à petit. J’ai créé ce compte Instagram et commencé à échanger avec d’autres femmes. Cela nous a permis d’avancer, d’avoir une meilleure relation avec notre corps, explique-t-elle. Aujourd’hui, je peux vous dire que j’aime énormément mes seins, je peux me regarder dans le miroir sans aucun problème. » Malgré tout, en dehors des réseaux sociaux, les poitrines sont pour elle, peu représentées dans leur diversité : « La première fois que j’ai vu des seins tombants, c’était les miens ! Une seule forme de poitrine est mise en avant : une poitrine ronde et haute. »

C’est que la philosophe féministe et professeure de science politique Camille Froidevaux-Metterie qualifie de “demi-pomme idéale.” Dans son livre, Seins. En quête d’une libération, l’autrice est allée à la rencontre d’une quarantaine de femmes pour décortiquer le rapport qu’elles entretiennent avec leur poitrine : « L’une des principales motivations qui m’a portée durant cette enquête, c’est la volonté de montrer l’infinie diversité des formes de seins. Pas plus aujourd’hui qu’hier, ceux que l’on expose publiquement ne correspondent à la réalité des corps des femmes. »

« Les seins de ma fille existaient à peine qu’on lui signifiait déjà qu’ils étaient insuffisants, imparfaits, décevants. »

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Se concentrer sur les seins était aussi un moyen de les mettre en lumière face à ce que la philosophe nomme le “tournant génital du féminisme.” Si depuis plusieurs années, les sujets intimes et sexuels ont été réinvestis par les luttes féministes, les seins en ont été quelque peu oubliés alors que cet organe condense l’objectivation corporelle des femmes, c’est-à-dire leur assignation à la double fonction sexuelle et maternelle. « Parmi toutes les femmes que j’ai rencontrées, seules deux m’ont dit être en accord avec leurs seins, toutes les autres en étaient insatisfaites, explique-t-elle. Il est donc temps, grand temps, de révéler ce scandale du formatage des seins qui est aussi celui de leur appropriation par ceux qui savent en faire leur profit et qui empêchent les femmes de les vivre et de les apprécier tels qu’ils sont. »

Ce “formatage des seins” apparaît dès la puberté. L’autrice se rappelle du jour où elle a emmené sa fille de 12 ans acheter son premier soutien-gorge. La vendeuse lui avait alors proposé un modèle rembourré. « Elle a eu beau m’expliquer que le rembourrage était amovible, je suis restée sidérée, se souvient-elle. Les seins de ma fille existaient à peine qu’on lui signifiait déjà qu’ils étaient insuffisants, imparfaits, décevants. »

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Vivre sans soutien-gorge

Julia, 25 ans, se rappelle bien des premiers soutiens-gorge : « C’était vraiment pour avoir la forme bien ronde qui ne pointe pas, sous mon t-shirt en sixième. » Depuis quelques années, elle a décidé de plus en porter pour plus de confort. « Comme je fais du 95E, ils ne sont pas parfaits, hyper ronds, hyper relevés comme on le voit à la télé mais j’ai pas vraiment complexé », confie-t-elle. « C’est comme ça, ce sont mes seins, je les assume assez pleinement. Je trouve que je suis bien plus à l’aise comme ça. »

« Je considère que c’est une injonction dans le sens où on fait porter des soutifs à des gamines de 12 ans alors qu’elles n’ont pas de seins. »

En faisant le choix de vivre sans soutien-gorge, Julia essuie au départ des remarques de son entourage. « Les seins qui tombent, j’en ai beaucoup entendu, genre que j’aurai la poitrine au niveau du ventre quand je serai vieille ou que ça allait détendre la peau de mes seins, que c’était pas élégant de voir des seins pas “maintenus”, mais je sais pas, je n’ai jamais trop pris ça au sérieux. » Elle se réjouit aujourd’hui que d’autres personnes quittent leurs soutiens-gorge, dans la lignée du mouvement no bra. « J’ai pas envie que ce soit une mode mais ça me fait plaisir de voir qu’il y en a qui se libèrent de cette injonction. Je considère que c’est une injonction dans le sens où on fait porter des soutifs à des gamines de 12 ans alors qu’elles n’ont pas de seins. »

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Chloé a aussi récemment sauté le pas depuis qu’elle vit dans un petit village en Grèce. « La vision “moche” de mes seins qui tombent, je pense que j’y suis habituée et je pense que le regard que les autres me renvoient ici est tellement cool que je n’analyse plus la situation. »

Très tôt, elle grandit avec l’idée que ses seins sont en forme de “petites poires.” Si dans l’intimité et au quotidien ce n’est pas un complexe, elle peine à laisser apparaître sa poitrine sans soutien-gorge. « C’est pas le regard d’un mec quand je suis toute nue. Limite quand je suis nue, je m’en fous, c’est vraiment plus à travers un t-shirt avec des gens lambdas. »

« C’est un sujet dont on ne parle pas suffisamment, peut-être parce que c’est tabou mais je pense qu’il faut savoir briser la glace pour éviter que de nouvelles générations vivent dans l’ignorance de la diversité des corps. »

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Elle raconte avoir une fois vu les tétons d’une amie qui ne portait pas de soutien-gorge et se souvient s’être dit que ce n’était pas très esthétique : « C’est fou de penser ça, pourquoi tu juges ? Pourquoi tu penses que c’est moche ? J’ai intériorisé le fait que la beauté était associée à deux seins bien rapprochés et bien ronds mais la plupart du temps, les gens n’ont pas des seins comme ça ! »

Ludovica, elle, avait finalement retiré son soutien-gorge dès ses 14 ans. « On m’avait dit qu’il fallait porter un soutien pour ne pas avoir les seins qui tombent mais vu que mes seins tombaient, je n’y voyais plus aucun intérêt. » La lycéenne qui a dû faire face à des remarques désobligeantes aimerait que les différentes formes de poitrines soient représentées dans les cours d’éducation sexuelle et que la découverte d’autres seins ne se limite pas à internet. « C’est un sujet dont on ne parle pas suffisamment, peut-être parce que c’est tabou mais je pense qu’il faut savoir briser la glace pour éviter que de nouvelles générations vivent dans l’ignorance de la diversité des corps. »

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