.jpg)
Ode à Sylvie Grateau, la vraie héroïne d’« Emily in Paris »
« Cette série veut-elle que je me moque d’Emily parce qu’elle représente un type particulier de milléniale candide et débrouillarde? Ou dois-je applaudir son refus (très américain) de s’adapter, quelles que soient les difficultés qu’elle rencontre à Paris? »
C’est la question très légitime que pose la journaliste du New York Times Iva Dixit à propos d’Emily in Paris, « cette série que l’on regarde compulsivement, avec détestation et qui est devenue un phénomène ».
Je plaide coupable : j’ai dévoré les trois saisons d’Emily in Paris, que j’ai adorées autant que détestées.
Emily Cooper (Lily Collins), une jeune American établie à Paris for work, est unidimensionnelle, exaspérante à souhait et d’une vacuité abyssale. Mais que voulez-vous, cette carte postale on ne peut plus clichée de Paris, la succession invraisemblable de tenues griffées, les intrigues prévisibles et les chansons interminables de Mindy Chen (Ashley Park) (if you know, you know!) ont su me charmer dès les premiers instants.
Mais au-delà des petits drames bourgeois et des romances bon chic bon genre sur les quais de la Seine, un personnage a retenu toute mon attention cette saison : Sylvie Grateau, interprétée par Philippine Leroy-Beaulieu.
Patronne un brin caractérielle, femme d’affaires redoutable, Parisienne par excellence, la directrice d’agence de marketing de luxe aurait mérité que la saison porte son nom : Sylvie in Paris.
Où sont les femmes (de 50 ans et plus)?
Bien qu’il revête les clichés américains de la Parisienne chic, élancée, juchée sur des stilettos, clope aux lèvres, le personnage de Sylvie Grateau porte en elle un combat beaucoup plus vaste : les injonctions que la société impose aux femmes de plus de 50 ans.
Dans la culture populaire contemporaine, il est rare de voir un personnage féminin d’âge mûr aussi fort, sexy, indépendant, sans enfant et avec une telle liberté d’esprit que la femme d’affaires interprétée par l’actrice française de 59 ans.
On voit Sylvie Grateau en bikini ou vêtue d’une chemise ample, jambes nues, au sortir du lit, en pleine possession de ses moyens physiques, sexuels, professionnels.
« Le message sous-jacent de la série, c’est que peu importe l’âge et l’histoire des gens, Darren Star [le créateur d’Emily in Paris et de la série culte Sex and the City] prône une certaine liberté des personnages », a récemment confié Philippine Leroy-Beaulieu à l’AFP. « Ces personnages disent qu’il faut briser certaines étiquettes, que les gens sont multifacettes, on n’a pas à les juger. »
.jpg)
Et quand on vous dit qu’elle brise des étiquettes, on ne parle pas de celles qu’elle découpe avant d’enfiler ses tenues Chanel, Vivienne Westwood ou Elsa Schiaparelli.
À plusieurs reprises, la série nous donne à voir Sylvie en bikini, au naturel ou vêtue d’une chemise ample, jambes nues, au sortir du lit, en pleine possession de ses moyens physiques, sexuels, professionnels. Elle dit ce qu’elle veut, porte ce qu’elle veut, couche avec qui elle veut, en faisant bien fi de son âge. Un véritable vent de fraîcheur (et de chaleur!), qui enflamme les Vogue, Vanity Fair et Grazia de ce monde.
La revanche des femmes dans la cinquantaine
« Les femmes puissantes ne sont toujours pas acceptées dans notre société », mentionnait récemment Philippine Leroy-Beaulieu dans le magazine Bazaar. « Une des principales qualités de Sylvie est qu’elle se fout royalement de ce que les gens pensent. Je suis un peu comme elle : je ne pourrais pas plus m’en ficher! »
Dès la saison 2, Sylvie Grateau entame une liaison amoureuse avec un photographe plus jeune qu’elle, et envoie balader une serveuse qui la prend pour sa mère.
Sylvie incarne la fougue et la puissance des femmes dans la cinquantaine qui n’ont pas froid aux yeux et n’ont pas peur de prendre des risques.
Mais ce n’est que dans la troisième saison que le personnage campé par Philippine Leroy-Beaulieu prend véritablement son envol. Décolleté plongeant, tenues flamboyantes, sexualité assumée et carrière prolifique : Sylvie incarne la fougue et la puissance des femmes dans la cinquantaine qui n’ont pas froid aux yeux et qui n’ont pas peur de prendre des risques. Il faut toutefois reconnaitre qu’au delà de son âge mûr, Sylvie est blanche, mince, aisée et qu’elle correspond somme toute aux standards de beauté occidentaux.
Néanmoins, j’ai été tout particulièrement séduite par la scène où elle et son (ex-)mari Laurent, afin de fuir des abeilles, courent nus dans un champ de lavande avant de se jeter dans une piscine. Ça a l’air d’une blague, mais ça m’a fait un bien fou de voir une femme de cet âge se comporter de la sorte, librement.
.webp)
« C’est très empowering de jouer un personnage comme Sylvie », déclarait Philippine Leroy-Beaulieu au Los Angeles Times en décembre dernier. « L’interpréter m’a apporté beaucoup et de confiance en moi. Ça m’a fait grandir et ça m’a permis de prendre conscience d’une force et d’un courage que je ne savais pas que j’avais en moi. »
Grâce à son rôle dans Emily in Paris, l’actrice que l’on a pu voir dans l’excellente série française Dix pour cent effectue un véritable retour dans la lumière, à l’orée de la soixantaine.
« Il y a encore plein d’histoires à raconter, la vie n’est pas terminée à 40 ou 50 ans! », comme l’a brillamment affirmé Philippine Leroy-Beaulieu sur les ondes de France Inter. « On peut se réinventer en permanence.»
.jpg)
Balance ton porc
Là où j’ai été soufflée, et où mon amour pour Sylvie Grateau a atteint des sommets, c’est lors de ses interactions avec Louis De Leon (Pierre Deny), un riche homme d’affaires français, propriétaire de JVMA, une entreprise détenant des marques de luxe, dont nouvellement Pierre Cadault (Jean-Christophe Bouvet).
Dans le huitième épisode, afin de protéger les intérêts de son client, Sylvie demande une rencontre avec Louis De Leon, un peu plus âgé qu’elle.
Sylvie Grateau se range plutôt du côté des militantes des mouvements #MeToo, #BalanceTonPorc et autre #TimesUp, la tête haute.
Après avoir vouvoyé Sylvie pendant la première partie de la conversation, Louis de Leon, non sans rappeler les Harvey Weinstein de ce monde, passe au tutoiement et affirme : « Je me souviens de toi quand tu n’étais qu’une assistante. Tu es toujours aussi belle et combative. Ça me fait plaisir de voir que tu n’as pas changé. »
Après un court silence, le regard de Sylvie s’assombrit et elle répond : « Oui, moi aussi je me souviens très bien de vous quand j’étais une assistante. Je me souviens de tout… Et j’espère que vous avez changé, vous. »
D’instinct, on devine que le puissant homme d’affaires a abusé de son pouvoir, alors qu’il était en position d’autorité face à une jeune Sylvie en début de carrière. Je ne m’attendais pas à avoir le cœur brisé en regardant Emily in Paris.
Après avoir promis à Sylvie de l’aider dans sa démarche, Louis de Leon ajoute : « Vu les circonstances, ce n’est qu’une question de respect. J’espère qu’on se souviendra de moi comme d’un homme respectueux. »
Achète-t-il son silence en échange d’une faveur professionnelle? J’en ai bien peur.
.webp)
Mais ça ne s’arrête pas là. Un peu plus tard, lors du stunt de Pierre Cadault (I mean, cet homme!) qui aura coûté un gros contrat à l’Agence Grateau, Louis de Leon s’adresse à Sylvie : « Avez-vous la moindre idée de ce que vous venez de sacrifier? », ce à quoi la professionnelle du marketing rétorque : « Oh oui. Quelque chose que je n’ai jamais voulu : avoir une relation avec vous. »
Loin des Catherine Deneuve, qui défendait la « liberté d’importuner » en 2018, et des Catherine Millet, qui, la même année, soulignait la capacité à « dissocier son corps et son esprit » lors d’un acte sexuel, allant même jusqu’à affirmer « regretter de jamais avoir violée », Sylvie Grateau se range plutôt du côté des militantes des mouvements #MeToo, #BalanceTonPorc et autre #TimesUp, la tête haute.
Hello my name is « Fabulous »
Dès la fin de mon visionnement d’Emily in Paris, pâmée sur Sylvie Grateau, je me suis dit que la femme d’affaires représentait ce qu’auraient dû incarner Carrie Bradshaw, Charlotte York et Miranda Hobbes dans le très décevant reboot de Sex and the city, And just like that.
Sylvie représente ce qu’auraient dû incarner Carrie, Charlotte et Miranda dans le très décevant reboot de Sex and the city, And just like that.
Si le célèbre trio a malheureusement été perçu comme dépassé, désuet, c’est parce que le public aurait souhaité retrouver des femmes assumées, avant-gardistes, modernes, sexy et en pleine possession de leur moyen. Bien que Kim Cattrall ait déserté son personnage d’attachée de presse new-yorkaise, j’ai bien l’impression que c’est en Sylvie Grateau que Darren Star et le public retrouvent leur Samantha Jones.
.jpg)