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Non, vous n’êtes pas accro au sexe

C’est la nouvelle addiction préférée des réseaux : les fous du cul se compteraient en milliers, voire en millions de personnes, et ils adorent en témoigner. On vous explique pourquoi la notion “d’addiction sexuelle” n’existe pas selon la science, et pourquoi cette expression est problématique.

Par
Maud Le Rest
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Sur TikTok, le hashtag #SexAddiction avoisine les 30 millions de vues. Il est accolé à des vidéos de témoignages, d’explications de “thérapeutes” ou de défis pour réduire sa consommation de pornographie et “maîtriser ses pulsions”. “Assume que t’es accro au sexe”, “Une relation entre deux accros au sexe, c’est l’avenir” ou “Les trois signes astrologiques complètement accros au sexe”, voilà le genre de titres associés à ces pastilles face cam, sûres de faire au moins plusieurs milliers de vues.

Qu’on le dise tout de suite : “l’addiction au sexe”, ça n’existe pas. Et pour cause, ce concept aguicheur ne repose sur aucune base scientifique, contrairement aux addictions dites classiques comme celles à l’alcool ou aux drogues. “L’addiction sexuelle” n’est même pas reconnue dans les classifications officielles des troubles mentaux comme le DSM-5 (le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) et la CIM-11 (la Classification internationale des maladies). “Le terme addiction sexuelle a été introduit dans la version révisée de la troisième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (1987), puis a été exclu du DSM-IV (1994) en raison d’un manque de données empiriques”, précise la professeure de psychiatrie spécialisée en addictologie Florence Thibaut. En 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) propose donc une nouvelle catégorie diagnostique appelée “trouble du comportement sexuel compulsif”, finalement intégré à la CIM-11 en tant que trouble du contrôle des impulsions.

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Ce n’est pas pinailler que de rappeler ces différences sémantiques : les mots ont leur importance. Dans une addiction à la cocaïne par exemple, la prise de substance peut faire monter la dopamine – une hormone associée à la motivation, à l’envie et à la recherche de récompense – jusqu’à 10 fois son niveau habituel dans le noyau accumbens (ndlr : un ensemble de neurones situés à l’intérieur de la zone corticale prosencéphalique, aussi appelée cerveau antérieur). De plus, la prise de drogue entraîne une dépendance physique et son arrêt un syndrome de sevrage physiologique. Ce n’est pas ce qui se passe avec la sexualité : si on constate une libération de dopamine, elle est bien plus modérée (de deux à trois fois la normale). Du reste, il n’y a ni dépendance physique, ni syndrome de sevrage physiologique.

Pour ces raisons, les experts s’entendent davantage sur le terme de comportement sexuel compulsif, même s’il ne fait pas non plus consensus. Il “se caractérise principalement par des comportements sexuels mal régulés. La personne concernée a fait des tentatives répétées et infructueuses pour contrôler ou réduire ces comportements et persiste dans ceux-ci, malgré des conséquences négatives dans plusieurs domaines de sa vie”, définit la professeure Thibaut dans son étude. La compulsion sexuelle est en réalité une conséquence, comme cela peut être le cas lors de la phase maniaque d’un trouble bipolaire, dans un trouble obsessionnel-compulsif, en cas de trouble de la personnalité borderline, après une lésion cérébrale, un traumatisme…

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Autre problème majeur que pose la notion “d’addiction sexuelle” : qui fixe le cadre d’une sexualité “normale” ? De nombreux experts regrettent que la morale vienne s’immiscer dans la science, au risque de pathologiser des comportements via des critères subjectifs. Pas de quoi décourager les influenceurs mascus toutefois, qui ont récupéré la notion “d’addiction sexuelle” pour faire monter leur nombre de vues. “J’ai 31 ans et je pense que je suis accro au sexe. […] Je fais l’amour une fois par jour, parfois plus. Ça, c’est sans compter la masturbation pour combler les blancs”, se confiait par exemple en 2019 l’ancien candidat de télé-réalité Bastos sur sa chaîne YouTube aux près d’un million d’abonnés, dans une vidéo sobrement intitulée “LE SEXE RUINE MA VIE”. La popularité de cette notion pseudo-scientifique a également été étendue à la consommation de pornographie et à la masturbation. La tendance NoFap (“pas de masturbation” en anglais argotique) est ainsi née vers 2011 avec un site dédié, où l’on trouve des “conseils” et des témoignages. Aujourd’hui, le forum Reddit r/NoFap compte plus d’un million de membres. (Note : seuls les hommes sont concernés, à croire que les femmes ne se masturbent pas.)

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Ainsi, ce que certains appellent “l’addiction sexuelle” est devenu un terme très vaste. Il faut dire que la pop culture biberonne les hommes à cette idée. En 2008, l’acteur de Californication David Duchovny, qui campe justement dans cette série un “accro au sexe”, déclare intégrer une clinique de désintoxication pour se débarrasser de cette addiction qu’il aurait développée dans la vraie vie. En 2011, Steve McQueen sort le glauquissime Shame, dans lequel Michael Fassbender interprète un homme soumis à ses pulsions, qui ruinent ses relations sociales. Deux ans plus tard, Joseph Gordon-Levitt joue un accro au porno dans Don Jon. En 2017, les avocats du violeur multirécidiviste Harvey Weinstein annoncent qu’il entame une thérapie pour lutter contre son “addiction au sexe”. Non seulement les bases scientifiques de ces soi-disant addictions sont floues, mais un côté écorché, showbiz et rock and roll y est immédiatement associé. Baiser énormément, pour un mec (avec ou sans consentement), c’est avant tout être stylé.

De l’essentialisation des compulsions sexuelles à l’essentialisation des hommes, il n’y a qu’un pas, et la manosphère l’a bien compris. On peut identifier, chez les mascus, deux manières d’utiliser le prétexte de l’hypersexualité. La première est de s’en servir pour excuser les violences sexistes et sexuelles (VSS) des hommes envers les femmes, censées être liées aux “pulsions”, comme chez les pick-up artists. C’est précisément ce qu’affirme le célèbre auteur misogyne Rollo Tomass dans sa bouillie de vomi son best-seller The Rational Male, publié en 2013 : “Les hommes en bonne santé possèdent entre 12 et 17 fois plus de testostérone (l’hormone principale de l’excitation sexuelle) que les femmes, tandis que les femmes produisent beaucoup plus d’œstrogène (qui joue un rôle dans la prudence sexuelle) et d’ocytocine (qui favorise les sentiments de sécurité et de besoin de prendre soin) que les hommes.” (Source : “T’inquiète.”) La seconde et de mobiliser ce concept afin de valoriser une vision hyper-contrôlée du masculin, dans laquelle un homme, un vrai, est supposé maîtriser ces fameuses “pulsions”. Ainsi, le roi des tocards Andrew Tate affirme que “tout homme ayant des rapports sexuels avec une femme parce que ça lui fait du bien [sous-entendu sans but reproducteur] est gay”.

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On pourrait en rire si ce genre de discours n’était pas précisément de plus en plus populaire chez les hommes, en particulier les plus jeunes, comme le relève le Haut commissariat à l’Égalité entre les femmes et les hommes dans son dernier rapport. Finalement, faire circuler des idées douteuses autour d’une supposée “addiction sexuelle”, c’est implicitement signifier que les hommes ont des besoins que les femmes n’ont pas et qu’ils doivent de ce fait être violents pour les assouvir. Un discours qui fleure bon l’air du temps, à l’heure où les tradwives ont le vent en poupe et où 9 femmes sur 10 déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel.

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