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Noble, raciste, homophobe et pété de thunes : on a trouvé la caricature de l’ultra-riche

Ou quand le monde de la finance ouvre enfin les yeux sur ses actionnaires.

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Depuis l’émergence du mouvement #metoo en 2017, le monde a énormément changé. Que ce soit dans le cinéma, la musique, le sport, les médias ou encore la politique, de nombreuses corporations ont dû faire leur introspection et changer de paradigme. Bien sûr, tout est loin d’être parfait, mais toutes ces composantes de notre société tentent d’évoluer pour le mieux et un monde plus inclusif.

Toutes ? Non ! Car un domaine peuplé d’irréductibles réacs résiste encore et toujours au changement. Six ans après les premières vagues de dénonciations sur les réseaux sociaux, le monde de la finance a été relativement épargné par les différents scandales. Sentant le vent tourner, certaines institutions financières ont décidé de prendre les devants et de faire le ménage parmi leurs riches contributeurs.

Entre la France, le Luxembourg et les États-Unis, Stéphane* s’occupe de l’un de ces fonds d’investissements qui a décidé de devenir plus éthique et d’être plus rigoureux avec le choix de ses actionnaires. « Il serait peut-être temps que la finance rentre dans les clous et ne tolère plus les comportements intolérables », confie-t-il.

« Le roi du propos homophobe, raciste, antisémite, misogyne »

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Après avoir fait son audit interne, le groupe décide de se séparer d’un certain Xavier Del Marmol, un baron belge plus que problématique. « Mon patron l’a viré car le type est insupportable à bien des égards. Il est le roi du propos homophobe, raciste, antisémite, misogyne : c’est la totale. Et il n’est pas seulement abject quand il parle, on a des preuves écrites », nous raconte Stéphane, avec qui on s’est longuement entretenu.

Par exemple : « Arrêtons de perdre notre temps avec tous ces miteux arabes. Concentrons-nous sur nos gènes et trouvons des investisseurs que nous méritons », écrit en toute détente le bourgeois dans une conversation WhatsApp professionnelle aux relents de nazisme. Et de transférer par mail à ses collaborateurs un article à la gloire de Geert Wilders, homme politique islamophobe de l’extrême-droite néerlandaise adepte de la théorie du grand remplacement, avec ce petit commentaire : « So realistic ».

Résident à Gstaad, fameuse station de ski suisse et haut lieu du luxe fréquenté par l’élite mondiale et les évadés fiscaux, Xavier est aussi adepte de jeux de mots discriminants. « Un PD qui nous tient par les couilles, c’est fort :) », écrit-il avec fierté à l’un des partenaires du fonds d’investissement. L’insulte homophobe est d’ailleurs utilisée dans différents messages du baron belge allant du “petit PD” au “vieux PD”.

En exhumant avec son patron les différents échanges écrits, Stéphane n’en revient pas de tomber sur autant de dingueries : « C’est vraiment une caricature du gros con riche. Pour lui, toutes les filles sont des putes, les arabes sont des voleurs et les juifs aiment l’argent. » Il nous cite un message reçu sur WhatsApp de la part de “XDM” : « Comment ce grand avocat du bien, impliqué dans ce monde d’investisseurs juifs, n’a jamais réussi à nous ramener un Kopeck. Nouvelle question, mais tellement réelle et réaliste. »

« Je veux que cette pute soit virée sur le champ. »

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Le richissime belge sait aussi se montrer très poétique avec la gente féminine. « Quand il parle de la directrice de cabinet de Xavier Niel, il ne peut s’empêcher de dire “cette pute de”. Ce n’est pas arrivé qu’une seule fois, c’est régulier. C’est sa manière de parler », souligne Stéphane. Le gestionnaire du fonds d’investissement franco-luxembourgeois nous a transféré d’autres messages WhatsApp tout aussi fleuris : « Qui répond à cette petite pute ? / Ma réponse à cette pute. / Je veux que cette pute soit virée sur le champ. »

Face à un tel comportement, le patron du fonds a donc décidé d’exclure cet actionnaire de la gouvernance, puis de dénoncer publiquement ses propos discriminants. « Zéro tolérance pour les insultes et propos antisémites et homophobes. Pas nos valeurs », précise le CEO qui a littéralement “mis en vrille” le baron belge avec cette révocation.

A-t-il décidé de faire profil bas le temps que les choses se tassent comme dans la plupart des affaires de dénonciations médiatiques ? Loin de là, puisqu’il a décidé de répondre avec son avocat François Zimeray en évoquant un conflit d’administrateurs. Ce qui interpelle Stéphane : « J’aurais un client accusé de ce dont on parle, je lui demanderais de faire le dos rond pour ne pas faire trop de vagues. Pas une fois, il a pensé que ce serait bien de s’excuser. Il ne demande pas à son avocat de minimiser ou d’écarter ces propos, il les assume totalement. »

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Un cas loin d’être isolé

Et d’ajouter : « 90 % des gens font gaffe, ils ont intériorisé qu’il y a des choses qui ne disent pas. Mais lui ? Il est intéressant car il incarne tout ce qui n’est pas acceptable. » Il faut croire que l’ultra-richesse permet de se sentir au- dessus des lois, c’est en tout cas la théorie d’Alizée Delpierre, docteure en sociologie.

« La manière dont les grandes fortunes exercent leur pouvoir reflète le fait qu’elles se sentent autorisées à jouer avec le droit parce qu’elles sont outillées pour ça, par leurs études, leurs postes professionnels, leur entre-soi, et elles se sentent finalement au-dessus de l’appareil juridique », explique la spécialiste de la domesticité chez les ultra riches chez Usbek&Rica.

France Culture rapporte ainsi l’expérience de Damien, domestique pendant 2 ans et demi auprès d’une comtesse dans un immense château. Puisque le jeune homme devait remplacer une “bonne à tout faire”, il a été rebaptisé Murielle par la noble et devait porter un uniforme féminin. Le pire dans tout ça ? C’est qu’il devait parfois faire ses besoins dans une couche.

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« Nous n’avions pas le droit d’utiliser les toilettes de nos maîtres, donc lorsque nous avions une envie, il fallait traverser tout le château et monter dans nos chambres, ce qui était trop long pour eux. Ils voyaient ça comme une perte de temps, c’est pour cette raison qu’elle nous faisait porter des couches. Au début, il était hors de question que je l’utilise, et puis au bout d’un moment, on est forcément obligé. C’est une sensation qu’on n’oublie pas la première fois qu’on le fait. C’est une humiliation terrible », raconte Damien dans le podcast Les Pieds sur terre.

Pour son enquête Servir les riches, Alizée Delpierre n’a pas hésité à devenir nanny et aide-cuisinière à temps partiel. Elle a pu ainsi infiltrer ce monde où règne le mépris, le sexisme, le racisme et la domination de manière totalement décomplexée. « Ce que les riches font au cœur de leur domicile est le reflet d’un système libéral et capitaliste contemporain qui assoit les inégalités sociales, raciales et sexuées sous couvert d’une réussite et d’une liberté individuelles illusoires », écrit-elle dans son ouvrage.

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Un actionnaire qui n’était plus sortable

Sauf que dans le cas de notre membre de la noblesse belge, il ne s’agit pas d’un comportement problématique qui serait restreint dans le confort de sa demeure de Gstaad. Il s’agit là d’échanges professionnels qui ont donc poussé un fonds d’investissement à ouvrir les yeux sur son éthique. Doit-on alors parler de l’un de ces ultra-riches totalement déconnecté de la réalité, comme on a pu le voir récemment dans The White Lotus ?

Pas vraiment pour notre interlocuteur Stéphane : « Il n’est pas en dehors de notre époque. Il pense que #metoo c’est de la merde, que la lutte contre l’homophobie est bête, que modérer les propos racistes est un peu débile. Il est symbolique d’une partie de ces gens qui ont beaucoup de blé, qui en vivent très bien et qui ne sont pas super malins. »

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Alors que le monde de la finance vivait hors de la société et des contraintes, le fonds d’investissement a décidé d’en faire un exemple. La preuve que le monde change, y compris dans ce secteur qui doit respecter depuis 2021 le règlement SFDR qui vise une transparence accrue des fournisseurs de produits financiers. Pour Stéphane, le baron belge n’était plus viable économiquement : « On ne peut pas faire des présentations à des investisseurs, faire des affaires et avoir un mec qui fait sursauter l’audience. […] Il y a des normes qui s’imposent dans le monde de la finance, comme on a chassé l’argent sale de la drogue. »

Ultime question : pourquoi reste-t-il imbu de lui-même ? Différentes études menées entre 2009 et 2016 ont démontré que les personnes fortunées ont moins de compassion et ont tendance à totalement ignorer les plus pauvres et leur quotidien. « Les riches se préoccupent moins d’autrui que les autres classes sociales », précise Pia Dette, autrice de l’une de ces enquêtes.

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Ça n’explique pas le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie et le sexisme, mais bon, ça donne déjà un bon indice.

*Le prénom a été changé.